Pendant très longtemps, Fire Emblem et Shin Megami Tensei ont eu du mal à s’imposer en Occident. Référence absolue du Tactical-RPG pour l’une et saga RPG la plus connue parmi celles que vous ne connaissez probablement pas pour l’autre, leur mariage semblait évident dès son annonce. Un trailer prématuré et quelques années plus tard, le Shin Megami Tensei x Fire Emblem est devenu Tokyo Mirage Sessions #FE (qu’on nommera TMS pour aller plus vite). Son univers ultra-référencé sur la Pop-culture japonaise semble être un vestige de l’aspect « Japan Only » des deux séries. Atlus a donc fait le choix (heureux) de n’avoir que des voix japonaises plutôt que de tout traduire, ce qui serait bizarre pour de la J-Pop, ou de traduire seulement en partie le jeu. L’absence de traduction des textes en français vient quant à lui d’Atlus qui en a fait l’une de ses traditions. On peut tout de même saluer les « Présenté par Atlus » et « Édité par Nintendo » dans le texte des génériques de début et de fin qui signifie que oui, un francophone est en train de jouer mais que ce n’est pas leur problème si vous n’avez pas bien écouté au collège/lycée.
The Idolm@aster

Le cliché des personnages de RPG japonais qui semblent tirés de Boys Bands est cette fois-ci littéralement justifié.
Tout commence par une nuit tragique, cinq ans avant les évènements de TMS. En plein spectacle, l’ensemble du public et des artistes disparaît sans la moindre explication. Une seule petite fille parvient tout aussi mystérieusement à s’en sortir, il s’agit de Tsubasa Oribe, la sœur cadette de la star de la représentation. Désormais lycéenne, elle désire intégrer le star system de Tokyo afin d’enquêter sur l’enlèvement de sa grande sœur. Elle participe donc à une première audition publique à laquelle assiste son meilleur ami (et héros du jeu) Itsuki Aoi. Bien entendu, l’histoire se répète mais cette fois-ci, ils parviennent à se défaire des monstres kidnappeurs dans ce qui semble être une dimension parallèle. Mieux encore, ils détournent deux de leurs ennemis qui deviennent leurs invocations : Chrom pour Itsuki et Caeda pour Tsubasa. En sortant de cet endroit qui s’avère être appelé une Idolasphere, ils font la connaissance de Miss Maiko, une ancienne mannequin qui a ouvert Fortuna Entertainment, une agence de talents, suite aux premières disparitions cinq ans plus tôt. Les humains ont une énergie vitale, aussi nommée Performa, qui déborde chez les individus talentueux. À partir d’un certain niveau, il devient même possible de libérer de son emprise maléfique un Mirage (l’une des créatures) pour devenir son allié. Puisqu’ils sont parvenus à combattre aux côtés de leurs invocations, les deux lycéens sont donc officiellement des Mirage Masters, chargés de repousser les attaques qui ont lieu dans le quartier de Shibuya.
La pop-culture nippone n’est pas seulement le cadre de l’aventure, elle en est le contexte, la raison, l’avant, l’après,…
Fortuna Entertainment est donc une couverture pour les Mirage Masters mais puisqu’elle réunit autant de stars en puissance (ou en devenir), l’agence prend également son rôle public au sérieux. La puissance en combat dépend du talent artistique de l’individu (et inversement), par conséquent former les membres de Fortuna dans le plus de domaines possibles améliore leurs chances de survie. Et si Miss Maiko doit avoir une écurie de jeunes gens beaux, charismatiques et talentueux, autant les faire travailler pour prendre le maximum d’argent au passage. Les Mirage Masters ne font d’ailleurs que défendre Shibuya en cas d’attaque, leur vie est donc principalement axée autour de leur carrière ce qui fait que le jeu semble lui-même beaucoup plus centré sur leur ascension dans la célébrité que sur leur mission héroïque. La pop-culture nippone n’est pas seulement le cadre de l’aventure, elle en est le contexte, la raison, l’avant, l’après,… Les ennemis à vaincre attaquent justement cette culture-là et c’est grâce à elle que l’humanité trouve des héros pour se défendre. L’art est l’autre facette du combat, quand les personnages sont dans une mauvaise situation, ils s’en sortent via la musique ou la danse dans leurs affrontements et via le combat dans leurs carrières. Ce qui amène donc souvent, pour le meilleur ou pour le pire, à des clips situés à des moments étranges avec une mention spéciale pour celui qui amène au boss final.
Il y a un réel respect pour toute forme d’expression et de créativité quelque soit le domaine.
Paradoxalement, le facteur le plus important pour jouer ou non à TMS n’est pas son gameplay ou l’amour pour les séries mélangées mais bien la tolérance envers son univers. Il s’adresse à un public très précis et demande donc de ne pas être bloqué par la J-Pop, les Sentais, les Vocaloids, les Waifus, le Furry et même les relations ambiguës avec les petites filles. Si vous ne comprenez pas la liste précédente ou qu’elle vous donne de l’urticaire, le reste ne parviendra pas à vous convaincre. Si, au contraire, ce postulat de base vous plait, sachez que l’équipe se montre très respectueuse et ne prend jamais de haut son propos. Il y a même un réel respect pour toute forme d’expression et de créativité quelque soit le domaine. Ainsi le seul personnage qui tombe dans les clichés et parfois dans le ridicule est justement Barry Goodman, un Américain qui se veut plus japonais que les Japonais. Ce traitement révérencieux semble logique puisque le jeu a été fait en collaboration avec la maison de disque Avex Trax qui produit les musiques J-Pop mais aussi les clips présents dans TMS. L’industrie culturelle a donc eu une très large part dans la conception de ce titre qui a bénéficié de nombreux consultants que ce soit pour la musique, la chorégraphie, le design, le jeu d’acteur,… Travail qui n’a pas seulement été utilisé pour les parties scénaristiques ou les cinématiques puisqu’on retrouve également ces éléments lors des combats en eux-mêmes.
Youpi ! Dansons la Capoeira !
Les combats de Tokyo Mirage Sessions ont lieu sur une scène qui est entourée par un public. S’il est possible de vaincre par la force brute, les récompenses des combats dépendent principalement de la capacité des joueurs à créer le spectacle. Dans son essence, le gameplay est celui de Shin Megami Tensei et de Persona avec une formule assez classique de RPG au tour par tour. Fire Emblem ne parvient à importer que ses classes et son triangle d’armes qui donne ainsi un arrière-goût de Persona 3 à l’ensemble. La différence se situe du côté de la dimension spectacle avec notamment les Sessions. Toucher le point faible de l’ennemi avec une attaque spéciale permet de débuter un combo. Chaque personnage possède un certain nombre de coups de Sessions. Ces attaques s’enclenchent après un type de coup très précis (un coup d’épée si l’attaque précédente était une boule de feu,…). Il ne faut donc pas seulement renforcer les trois combattants de l’équipe mais aussi ceux qui restent sur le banc puisqu’ils participent également à l’effort. Plus que l’évolution des personnages, c’est l’évolution du groupe qui prime ici. Si la puissance des individus semble rester la même au fil du jeu, la longueur des combos marque bien la progression. Outre les Sessions, passer du temps avec ses camarades permet d’obtenir des attaques Ad Lib aléatoires qui ajoutent des effets bonus aux coups utilisés, des Collaborations qui interviennent pendant les Sessions mais aussi des super attaques qui puisent dans la jauge de Performance qui se remplit à chaque coup donné ou pris. Toutes ces attaques reprennent des passages des œuvres jouées précédemment par les combattants que ce soit dans les clips, spectacles, séries ou films.
On se retrouve donc presque à devoir rentrer après chaque combat.
Comme dans Shin Megami Tensei, l’exploration se fait via le genre Dungeon Crawling. On parcourt les Idolaspheres en affrontant les monstres aléatoires et en cherchant à résoudre l’énigme qui permettra d’atteindre le boss suivant. Ces énigmes sont d’ailleurs étrangement rafraichissantes avec un petit côté à l’ancienne qui fait penser à Zelda. Les donjons sont visuellement très variés mais leur réel problème vient de leur nombre très faible et de leur taille plus que réduite. Le studio assume parfaitement ce fait et fournit même de nombreux points de téléportations au risque de donner l’impression d’en avoir un tous les cinq mètres et ce pour une très bonne raison : l’entraînement des personnages. Ces derniers ont en effet un niveau propre qui définit leurs statistiques, un niveau pour leur arme qui définit leurs attaques et un niveau de synergie avec le reste du groupe. La synergie dépend de la participation des personnages aux Sessions qui dépend de leurs attaques. Chaque arme permet d’apprendre quatre techniques, l’expérience amassée une fois l’arme maîtrisée est perdue. Il faut donc impérativement créer de nouvelles armes en permanence pour ne rien perdre et bien faire tourner son effectif. La création d’armes et les bonus du niveau de synergie imposent de retourner à Fortuna Entertainment une fois les ressources trouvées pour limiter les pertes. On se retrouve donc presque à devoir rentrer après chaque combat. Cela permet aux donjons si petits d’avoir une durée de vie correcte vu que l’on fait du surplace.
Les attaques semblent parfois interminables entre combos à rallonge et petites cinématiques.

Les donjons, l’un des points forts du jeu que ce soit dans la direction artistique et le gamedesign à l’ancienne
Si la rotation incessante de l’équipe est plaisante, elle comporte tout de même un détail assez gênant pour le gameplay : le côté dirigiste. Il n’y a pas réellement de choix à faire dans le jeu. Avec seulement trois places dans l’équipe dont deux de libre puisque le protagoniste doit toujours être dans l’équipe, il n’y a pas de tactiques alternatives. On doit se contenter de prendre les personnages les plus faibles pour les amener au niveau des autres. Chacun possède une classe tirée de Fire Emblem avec son type d’arme et un élément de prédilection. Il y a cependant trop de classes à représenter pour que la composition de l’équipe soit décisive en combat puisqu’il n’y a que très peu de chances pour qu’un groupe d’ennemis soit avantagé vis à vis du joueur. Et même si l’un des héros semble particulièrement en difficulté, il est possible lorsque vient son tour de l’échanger sans que le remplaçant ait besoin d’attendre pour agir (on peut même changer tant qu’on veut pour voir qui serait le plus efficace). Il est très simple de juger des possibilités d’un personnage puisque le jeu indique tout. Le seul fait d’aller dans le menu permet de savoir la conséquence de chaque coup et la longueur du combo. TMS gère d’ailleurs automatiquement les combos en utilisant toujours la solution la plus efficace. On se contente donc de prendre l’attaque qui affiche un point d’exclamation vert et de laisser le tout se dérouler sans réellement y prêter attention vu que les attaques semblent parfois interminables entre combos à rallonge et petites cinématiques. Seuls les occasionnels QTE et autres attaques surprises parviennent à aider à la concentration.
Ruelle de Tokyo Mirage Sessions

Le jeu va vous donner envie d’aller à Shibuya et de courir dans tous les sens pour aller plus vite que les chargements.
En jouant à TMS, Atlus donne l’impression d’avoir fait un RPG pour ceux qui n’aiment pas le genre ou qui en ont un peu peur. En plus de l’aspect dirigiste des combats, il manque d’autres fondamentaux du jeu de rôle. En dehors de l’arme, tout l’équipement est condensé dans un simple accessoire chargé à la fois de faire l’armure, modifier les statistiques et apporter des bonus. La surface de jeu en dehors des donjons se limite à la base, une rue de Shibuya et une allée d’Harajuku. Le titre manque cruellement d’ampleur mais aussi de durée de vie puisqu’il a été conçu pour être bouclé en trente heures pour la quête principale. Ce qui est réellement problématique puisque qu’elle commence à se répéter dès la moitié. On a ainsi l’impression qu’en retirant les espaces à explorer de nouveau, les boss à affronter une seconde fois, les allers et retours pour les armes, le tout se ferait en huit heures. Heureusement, des quêtes secondaires viennent augmenter un peu la durée de vie. Chaque membre de Fortuna Entertainment, qu’il soit jouable ou non, a droit à ses trois missions en tête à tête avec le héros. Comme ses dernières dépendent du niveau de synergie pour les héros, difficile de ne pas penser aux Social Links de Persona vu leur nature et leur importance pour les combats. Autre fait rare pour un RPG, il est possible de sauvegarder n’importe où dans les donjons ce qui est assez pratique mais joue aussi sur la durée de vie. Étant donné que le jeu s’amuse à envoyer aléatoirement des Mirages Sauvages qu’il faut éviter puisqu’ils sont toujours beaucoup plus forts quelque soit le niveau de la zone, la fonction est donc tout de même bienvenue.
Chaque zone est donc découpée à outrance avec à chaque fois des chargements trop longs et trop nombreux.
L’impression d’en faire peu pendant longtemps est également aidé par la technique à cause des temps de chargement. Si TMS est un jeu de fin de vie de la Wii U, la console semble très loin d’être maitrisée par les développeurs d’Atlus. Chaque zone est donc découpée à outrance avec à chaque fois des chargements trop longs et trop nombreux. Ils sont en effet équivalents à ceux de Xenoblade Chronicles X à la différence près qu’ils s’appliquent non pas à un monde ouvert de 400 kilomètres carrés mais à un jeu dont la surface mériterait d’être comparée à celle d’Ocarina of Time. Ainsi graphiquement, la console est capable de mieux et pire encore, on ressent une certaine latence de quelques secondes lors des combats avant que la machine lance les attaques. L’action semble même ralentie lors des combats contre quatre ou cinq ennemis imposants. La faute revient probablement en partie au Gamepad qui est géré à part ce qui joue forcément sur la puissance de la Wii U. L’écran tactile prend ici la place du téléphone portable du héros pour afficher soit la carte soit les textos. Certes, il serait étrange de faire un jeu sur des ados japonais sans accorder de l’importance à leur smartphone mais le harcèlement de notifications au moindre smiley fait qu’on en viendrait presque à regretter le cousin Bellic de GTA IV. En combat, la mablette affiche les statistiques de chacun des participants ce qui est sympathique mais tout aussi gadget surtout que le jeu désactive pour cela la fonction Off TV. Les amiibo sont également absents malgré l’existence d’un certain nombre de figurines Fire Emblem.
L’hommage ne concerne que deux épisodes de la série qui malgré les quatorze Fire Emblem, se contente de ne piocher que dans Shadow Dragon, le tout premier, et Awakening.
Concernant le respect des deux univers mélangés, autant dire que les fans d’une série comme de l’autre seront pardonnés s’ils font l’impasse sur Tokyo Mirage Sessions #FE. La représentation de Fire Emblem tient de l’anecdotique puisque si la saga a eu moins droit à avoir quelques personnages, le rapport est assez limité. L’équipe a en effet voulu réduire au minimum le lien en cachant les visage des invocations et à les modifier pour sous-entendre une nature robotique. L’hommage ne concerne que deux épisodes de la série qui malgré les quatorze Fire Emblem, se contente de ne piocher que dans Shadow Dragon, le tout premier, et Awakening. La plus grosse injure est celle du changement de classe qui change totalement l’apparence des personnages pour les rendre méconnaissable. À l’opposé de cela se trouve l’attention du détail jusque dans l’interface. Même les éléments du menu sont pensés avec les termes du milieu. Ainsi l’équipement devient l’habillage, le groupe devient le casting et les personnages sur le banc de touche des doublures. En combat, le cercle magique qui fait apparaître les différents sorts et techniques est en réalité l’autographe des combattants. Un soin que l’on aurait aimé pour le troisième type de quêtes qui s’obtient en se baladant et qui ne bénéficie même pas d’une place dans le menu pour rappeler ce que l’on doit faire (et le PNJ ne redonne pas toujours les détails). Pour ceux qui désirent aller plus loin, TMS propose un système de succès pour viser le 100% mais aussi un mini-jeu d’arène qui permet d’affronter des vagues de Mirages mais à l’intérêt limité.
Croisons les doigts
Tokyo Mirage Sessions #FE est l’affrontement d’attentes contraires, celles des éditeurs et celles des joueurs. L’intention d’Atlus était de faire son jeu le plus grand public. Intelligent Systems, responsable de Fire Emblem, voulait profiter de l’occasion pour sortir de son univers et visiter le monde moderne. Cette volonté de faire différent se heurte donc totalement à celle des fans qui ont bien entendu envie de retrouver ce qu’ils aiment habituellement. Si l’on oublie le contexte de base de TMS, il s’agit d’un très sympathique RPG qui pourrait être un épisode fondateur pour une grande nouvelle saga. Le titre est loin d’être mauvais malgré ses défauts très présents, et il donne plus envie d’en voir d’avantage plutôt que de se faire oublier. Le projet était à la base une collaboration entre Shin Megami Tensei et Pokémon, ce qui avait été refusé à cause de Pokémon Conquest, un crossover avec Nobunaga’s Ambition. En voyant le produit fini, on se surprend à rêver d’une plus grosse collaboration entre Nintendo et Atlus pour un projet dans l’esprit de Kingdom Hearts. En attendant, Tokyo Mirage Sessions #FE est un jeu correct qui n’est cependant pas au niveau des sociétés impliquées. On conseille donc plutôt à ceux qui ne connaissent pas l’une des deux sagas de faire Shin Megami Tensei IV ou Persona 3 ou 4 pour découvrir Atlus ou Fire Emblem Awakening et Fates pour le Tactical RPG. En revanche, les fans de RPG et de culture japonaise, anglophones et curieux, qui ont déjà fini Xenoblade Chronicles X auront un second jeu à faire sur Wii U.
Critique réalisée à partir d’une version dématérialisée fournie par l’éditeur tout comme les images d’illustration
L'avis général
- La gestion du groupe
- L'univers particulier
- Les donjons old-school
- Le gameplay accessible
- Court et répétitif
- L'impression que tout se passe dans 20m²
- La Wii U mal exploitée
- Les chargements longs et à la chaîne
- Certains moments gênants