Quand le minimalisme sert le fantastique
Après quelques essais dispensables sur tablettes et smartphones, citons en passant Dungeon Defiler, les développeurs espagnols de The Game Kichen nous livrèrent en 2013 un point and click étonnant misant sur un minimalisme absolu pour créer une ambiance oppressante doublée d’un récit fantastique. Amis de Cthulhu, venez dans mon antre.
Un héritage provenant de la littérature fantastique
Le fantastique et le jeu vidéo, c’est une vieille histoire. On connaît tous les grands marqueurs du genre tels Alone in the dark de Fréderick Raynal (1992) ou Resident Evil (1996). D’innombrables petits monstres ont pris la suite avec plus ou moins de succès. The Last Door s’inscrit dans la continuité de ces jeux traitant de phénomènes surnaturels. La différence ici ? Point d’actions sensationnelles, un travail sur l’ambiance avant tout.
Le fantastique, c’est une question de décalage subtil entre la réalité et un monde irréel surgissant en son sein. Une porte qui se ferme toute seule, un bruit étrange venant du grenier et j’en passe. Découpé en quatre épisodes d’une durée d’une heure trente/deux heures environ, The Last Door saison 1 emprunte aux grandes figures de la littérature comme Edgar Allan Poe (Le Chat noir, Le Corbeau, etc.) ou Lovecraft (Necronomicon, etc.) pour distiller une ambiance angoissante. L’essentiel est bien plus le malaise s’installant au cours de la session de jeu qu’une quelconque volonté de faire sursauter le joueur.
Une ambiance servie par un minimalisme absolu
La musique joue énormément sur cette ambiance. Je ne peux que vous recommander l’écoute de l’OST du jeu signé Carlos Viola tant les morceaux sont sublimes. Des musiques orchestrales à base de piano et de violon, à écouter un casque sur les oreilles pour s’immerger parfaitement au coeur de cette vieille Angleterre perdue entre la raison du progrès et les chimères des superstitions. L’habillage sonore, tout en subtilité, participe lui aussi à l’expérience du jeu.
The Last Door ne tombe jamais dans le grotesque ou dans l’hommage forcé
Ce qui est fascinant, c’est que le jeu réussit avec une économie absolue de moyens à nous captiver et à nous faire ressentir quelques frissons. Une preuve que l’absence de graphismes full HD et d’un budget exponentiel n’empêche nullement de créer un grand jeu vidéo.
Si l’aspect sonore est primordial pour créer l’ambiance si singulière du jeu, l’esthétique choisie n’est pas en reste. Proposant des graphismes simplistes à base de gros pixels, à la manière des premiers jeux d’aventure sur PC, The Last Door ne tombe jamais dans le grotesque ou dans l’hommage forcé. Il joue la carte de la simplicité pour servir son propos et le fait bien.
Entre enquête policière et surnaturelle
Que dire de l’intrigue sans trop en dévoiler ? Vous incarnez Jeremiah Devitt dans une Angleterre du XIXème siècle. Vous recevez un jour une étrange lettre d’un ami de longue date. Intrigué par la teneur de la missive, vous vous rendez sur les lieux pour découvrir…que votre cher ami s’est suicidé. Pourquoi ? Aucune justification ne vous vient. C’est le temps de fouiller ce vieux manoir anglais pour éclaircir ce mystère.
Si le jeu se veut très narratif, à la manière d’un Telltale Game, il n’oublie pas pour autant de donner quelques casse-tête aux joueurs. Heureusement, ces derniers s’insèrent sans artifices dans le récit. Il faut par exemple, dans l’épisode 1, trouver un moyen d’ouvrir la trappe du grenier où se trouve le corps de votre ami. Le plus souvent, il s’agira de découvrir le bon objet ou la bonne combinaison, donc peu d’énigmes à base de calculs savants. Les développeurs de The Game Kitchen valorisent le récit et surtout sa fluidité, donc une certaine accessibilité et une valorisation de la logique, pour éviter de faire sortir le joueur de son immersion. Tout cela fonctionne à merveille.
Le gameplay est là encore au service de cette fluidité. L’icône de la souris se transforme en fonction du contexte : parler/agir ou attraper. Le jeu prend le pari de la simplicité. Un vrai saut à rebours en ces temps d’innovations technologiques et de premières expériences de réalité virtuelle.
S’il peut rebuter les inconditionnels des jeux AAA, amateurs de textures lisses et de jeux repoussant les techniques de nos consoles et ordinateurs, on ne peut pas reprocher à The Last Door de raconter et proposer quelque chose de personnel. Une ambiance, un récit, un questionnement sur les mondes parallèles. Le tout avec élégance, intelligence et un parti pris esthétique fort. Que demander de plus à un jeu si ce n’est avoir de la personnalité ? The Last Door en a et pas qu’un peu. Et pour les plus indécis, il est possible de jouer aux deux premiers épisodes gratuitement et en ligne. Que demande le peuple ?
L'avis général
- L’ambiance, à la fois angoissante et fantastique, qui ne cherche pas forcément à faire sursauter
- L’esthétique “gros pixels”, hommage aux créations d’antan
- Le récit surnaturel dans une Angleterre victorienne empruntant beaucoup aux codes initiés par Edgar A. Poe et Lovecraft
- Certains épisodes moins intéressants que d’autres
- Une trop grande facilité pour les amateurs d’énigmes retorses
- La visibilité de certains objets dans la bouillie de pixels