Déconstruire pour mieux repenser son oeuvre
Claque phénoménale lors de l’E3 2016 (et on en sait quelque chose, on y était !), God of War est de retour avec une promesse totalement folle : repenser la série tout en conservant ce qui en a fait le succès. On retrouve le Kratos, plusieurs années après God of War 3, dans les contrées nordique paré à déglinguer du Dieu Scandinave comme toi quand tu balances ton meuble Ikea à la benne. Le pari est risqué et nous trépignons d’impatience à l’idée de poser les mains sur l’un des évènements majeur de l’année jeu vidéo.
Un plan sans accroc
Je vais rapidement passer sur l’évidence car vous avez déjà tous pu le constater : God of War est une véritable démonstration technique. Finesse des textures, modélisation exemplaire des personnages, qualité des effets et fluidité exemplaire. Comme avec leurs précédents jeux, Santa Monica Studio démontre toute leur maîtrise du hardware et fait cracher ses poumons à une console railler depuis sa sortie pour ses supposées limitations techniques. God of War tient son rang à ce niveau et s’élève largement au niveau des Horizon et des Uncharted 4. Cela permet à toute la partie artistique de briller de mille feux. C’est d’ailleurs un aspect sur lequel il a bien caché son jeu. On savait qu’on allait visiter les monts enneigés des plus hautes montagnes de la région, sauf que c’est très loin d’être le seul environnement que l’on va parcourir. Des forêts colorés et chaudes aux ruines d’une ancienne cité elfe, les environnements se succèdent au fil de notre aventure et nous émerveille à chaque reprise.
Ce n’est pas un hasard si la séquence la plus forte en émotion du titre se concentre sur son héros
Le véritable tour de force technique et artistique de God of War réside dans sa réalisation. Du début à la fin, cet épisode est un seul et unique plan-séquence. Jamais la caméra ne coupe. Elle voltige autour des personnages, accompagne l’action et rythme les dialogues par des déplacements subtils avant de naturellement venir se placer derrière Kratos pour rendre la main au joueur sans même que ce dernier ne le réalise. Par le passé, des jeux comme MGS V avaient déjà énormément misé sur la réalisation en plan-séquence (le titre de Kojima est d’ailleurs une influence évidente), mais God of War pousse l’idée à son paroxysme. La démesure de la mise en scène propre à la série est de retour et s’avère toujours aussi impressionnante. Le premier combat de boss du jeu donne clairement le ton de ce qui nous attend en nous arrachant la mâchoire sans ménagement. Le jeu dose d’ailleurs savamment les phases d’actions ultras spectaculaires et les moments bien plus intimistes et silencieux. Des silences contrebalancés par une bande son magistrale de Bear McCreary, provocatrice de frisson et utilisée à la perfection pour sublimer la narration.
Dieux du stade
Tous ces éléments artistiques, techniques, audios et visuels ainsi que la réalisation s’articulent autour de l’élément central du jeu: ses deux héros. Kratos et son fils Atreus sont le coeur de ce God of War qui réalise un surprenant travail d’écriture. Au cœur de l’histoire, la relation entre notre Dieu préféré et son fils, inconscient de sa véritable nature. Difficile de s’imaginer Kratos, infatigable tueur de dieu, en papa poule très démonstratif. Cela dit, le titre peine à trouver l’équilibre et met beaucoup de temps à trouver son rythme tant il s’attarde sur un père très bourru et incapable de montrer la moindre compassion envers son fils. Les premières heures de l’aventure s’avèrent donc assez pesantes, avec une certaine lourdeur dans l’écriture. Et quand ça commence à aller mieux du côté de Kratos, c’est le développement d’Atreus qui pose problème. Heureusement le titre fini par s’en sortir avec les honneurs et peut compter sur ses personnages secondaires qui apportent une touche d’humour et de compassion souvent bienvenue. C’est aussi grâce à l’extravagance des dieux nordiques et de son formidable antagoniste principal que le jeu fini par convaincre. Le tout est porté par un casting impeccable, aussi bien en VO qu’en VF, avec en tête les formidables Christopher Judge (Kratos) et Jeremy Davies (l’étranger).
On peut donc pinailler sur les premières heures de l’aventure et ses quelques lourdeurs, il reste un aspect intouchable, constituant la plus grande réussite de ce God of War : la déconstruction du mythe de son héros. D’un côté le titre est parfaitement accessible aux nouveaux venus, ils découvriront l’histoire du point de vue d’Atreus. Le vétéran de la série lui bénéficie d’un niveau de lecture supplémentaire absolument fascinant. Le jeu nous propose de redécouvrir un personnage que l’on pensait connaître par cœur. On découvre de nouvelles facettes d’un anti-héros déterminé à vouloir changer ce qu’il a été et qui lutte inlassablement avec sa vraie nature. Bien évidemment, cela passe par sa relation avec son fils et ce nouveau monde qui l’entoure, mais aussi par des choses plus pragmatiques comme sa nouvelle façon de combattre. Ce n’est donc pas un hasard si la séquence la plus forte en émotion du titre se concentre sur son héros, son histoire et son héritage. Un moment mémorable qui marquera au fer rouge les joueurs à n’en point douter. Rassurez-vous, God of War n’oublie jamais d’être un God of War et s’approprie avec brio la mythologie nordique. Il dépeint un royaume impitoyable, pratiquement mort et délaissé par ses créateurs qui ne s’y aventurent que pour imposer leur vision des choses.
Hache de guerre
Santa Monica Studio a également intégralement repensé le gameplay de sa série. Cela passe bien sûr par cette nouvelle caméra, placée dans le dos de Kratos et très proche de l’action, et plus du tout par ces caméras très éloignées donnant vue sur l’ensemble du champ de bataille. C’est aussi l’occasion pour revoir intégralement le système de combat qui n’a finalement jamais été un point fort des God of War. Outre l’aspect spectaculaire et les nombreuses armes, les attaques manquaient d’impact et le jeu compensait son manque de profondeur par une tonne de combos. Pour repartir pratiquement de zéro, les développeurs ont pioché dans ce qu’il se fait de mieux ailleurs et l’ont adapté à la sauce God of War. Ainsi, on se retrouve avec des affrontements brutaux et viscéraux, où chaque coup de hache porté fait ressentir tout son poids à l’écran. La caméra n’entrave jamais la lisibilité grâce à des indicateurs clairs notifiant d’une attaque imminente et de sa provenance. Ajoutez à cela l’excellent travail sur le sound design et il n’y a aucune excuse pour ne pas se prendre une baffe dans le dos.
God of War n’oublie jamais d’être un God of War
La refonte du système de combat est la meilleure chose qui soit arrivée à God of War depuis la création de la licence. Ce que l’on perd en quantité d’armes et de combo, on le gagne en profondeur et en engagement. Armée d’une hache de givre, d’un bouclier et de ses poings, Kratos est forcé de passer de l’un à l’autre avec dextérité pour éliminer l’opposition. Il peut le faire en lançant sa hache avant de la rappeler tel un Jedi, une technique qu’il ne faudra pas hésiter à utiliser bien souvent tant elle s’avère efficace bien que risquée. On sent la nette influence de beat them all façon From Software sur le jeu notamment avec l’esquive très Bloodbornienne placée sur X. On a aussi un bon nombre de coups spéciaux, appelés runes, qui se déclenchent en appuyant sur L1+R1/R2. Et si la situation se complique, on balance sa Rage Spartiate pour que Kratos passe en mode berserk et détruise tout sur son chemin. Bref, ce ne sont pas les possibilités qui manquent, il est d’ailleurs impératif de maîtriser l’ensemble de la palette de mouvement qui va venir s’agrandir au fil du jeu.
Ainsi le lancer de hache pourra se charger pour exploser à l’impact, Kratos pourra balayer ses ennemis avec son bouclier pour les mettre à terre ou bien sûr, quelques nouveaux combos seront accessibles. En plus de sa vaste palette de mouvement, Kratos peut compter sur son fils Atreus armé de son arc qui sera un soutien de poids dans les affrontements. Son utilisation est hyper intuitive et bien pensée : d’une simple pression sur carré il décoche une flèche. Avec le temps il sera de plus en plus rapide et puissant, permettant d’annuler des attaques ennemies et de mieux gérer les groupes d’ennemis. On regrettera simplement un vrai manque de variété dans le bestiaire qui recycle des ennemis en version feu, glace et autres assez rapidement. C’est encore plus vrai pour les sous-boss qui se comptent sur les doigts d’une main. Un peu triste pour une série qui nous a habitué à multiplier les créatures à démembrer, mais c’est plus un regret qu’un véritable problème.
Forger son avenir
Cet épisode franchit un pas supplémentaire vers la catégorie “action-RPG” en ajoutant de l’équipement, des statistiques et du leveling léger. Ainsi on évitera soigneusement les ennemis niveau 5 et 6 que l’on peut rencontrer dans les zones de départ pour y revenir plusieurs heures après une fois un niveau de puissance suffisant atteint. Oui “zone de départ”, car la série passe sur un monde ouvert qui se dévoile avec intelligence au fil de la progression. Après environ 5 heures de jeu on atteint ce qui sera le HUB central de l’aventure d’où on pourra accéder à différents mondes ainsi qu’à un bon paquet de quêtes annexes. Idéal pour partir chercher de quoi se forger un meilleur équipement ou améliorer son armure pour doper ses statistiques. Explorer la région est aussi l’occasion pour récupérer des améliorations de santé maximale, de jauge de rage spartiate ainsi que de nouvelles runes dissimulées çà et là.
Le crafting ne vient jamais entraver la progression et ne nécessite pas non plus de farmer comme un sagouin. L’évolution de Kratos se fait très naturellement si bien qu’il est tout à fait possible de faire le jeu en ligne droite sans être bloqué par la difficulté du jeu. D’ailleurs, prendre de l’avance sur le niveau de la quête principale ne certifie pas non plus de rouler sur l’opposition. On peut se faire rapidement surprendre par les dégâts des ennemis et une mort est vite arrivée. La courbe de difficulté est suffisamment bien gérée pour proposer un challenge retors et constant quelle que soit notre façon de jouer. Attention à ceux qui vont se lancer directement en difficile (comme votre serviteur), les premières heures sont très violentes mais c’est le mode qui offre le meilleur challenge sur la durée. Accrochez-vous.
God of War frappe encore plus fort qu’attendu. Le titre embrasse son héritage pour mieux reconstruire la série avec le talent et l’intelligence nécessaire pour proposer quelque chose d’aussi unique que familier. En plus de moderniser son contenu avec un monde ouvert et des éléments RPG, il a surtout le bon goût d’enfin offrir à la série un système de combat digne de ce nom. Fascinant de bout en bout, il parvient également à déconstruire son héros pour jouer sur les émotions avec une justesse épatante. Qu’on se le dise, ce genre de jeu n’arrive que trop rarement dans une vie de joueur, alors on peut pinailler sur le bestiaire et les quelques lourdeurs d’écriture, mais on serait surtout avisé d’en profiter au maximum le temps que ça dure.
L'avis général
- Démonstration technique, baffe artistique, claque auditive
- Cette réalisation en un seul plan séquence absolument dingue
- Des combats brutaux et exigeants
- D’une générosité épatante
- Force émotionnelle insoupçonnée pour la série
- Manque de variété dans le bestiaire, surtout pour les sous-boss
- “Bad Dad Kratos” à l’écriture un peu lourde par moment