MoctezumaEmpereur historique de la "Civilization" Aztèque

La description détaillée ci-dessous peut comporter du spoil.

 


MOCTEZUMA

Empereur des Aztèques


 

L’empereur Moctezuma II, d’après une gravure du XVIe siècle.

Moctezuma, ou Montezuma ou encore Motecozuma (et encore autrement en langue aztèque), est le dirigeant emblématique du peuple méso-américain des Aztèques. Il apparaît logiquement dans les jeux de gestion-stratégie dès le premier Civilization, développé en 1991 par Sid Meier et édité par MicroProse, et il reste le seul et unique dirigeant de sa civilisation jusqu’au dernier en date, Civilization VI, sorti en 2016, développé par Firaxis Games et édité par 2K Games.

Une variation, voire confusion, du personnage existe entre Moctezuma Ier et Moctezuma II, le petit-fils du premier, empereurs historiques des Aztèques ; le premier entre 1440 et 1469, le second entre 1502 et 1520.

Une exception particulière existe dans Civilization II puisque le joueur peut choisir entre un régnant ou une régnante. La personnalité féminine est alors Nazca, figure inventée à partir de la civilisation (historique, elle) de Nazca.

 

 

ÉVOLUTION DES CARACTÉRISTIQUES DE JEU ENTRE LE PREMIER ET LE SIXIÈME CIVILIZATION (1991-2016)

Comme le jeu l’exige, la civilisation, lorsque celle-ci n’est pas jouée par le joueur, agit d’elle-même. Elle se gère, se développe, déclare la guerre, fait la paix, etc., toute seule. Ses actions, la forme et sa façon de se développer, sont influencées par la « personnalité » du dirigeant. Ainsi, chaque dirigeant de civilisation a des traits de caractères particuliers. Ces traits de caractères sont des bonus ou des malus. Chaque civilisation a aussi ses originalités qui vont influencer également le jeu du joueur. Ces objets de gameplay apparaissant dès le premier jeu ne vont pas arrêter d’être améliorés et repensés de jeu en jeu. Aussi, une évolution de ces caractéristiques est notable dans le temps.

Faisons un tour d’horizon en ce qui concerne Moctezuma :

Les différentes formes/visages de Moctezuma entre Civilization, II et III.

Moctezuma dans Civilization IV.

Moctezuma dans Civilization V.

Partant de personnages historiques (sauf exception) et de civilisations attestées et vu que ces Civilization prennent une tournure réaliste franche et sincère, il serait bon de faire un parallèle entre ce que les développeurs successifs des Civilizations retiennent de Moctezuma et des Aztèques et ce que l’on peut connaître à partir des recherches historiques. Y a-t-il une frontière entre la culture des jeux vidéos et la culture historique ?

L’HISTOIRE SÉRIEUSE AVEC UN GRAND « H »

Pour reprendre l’introduction, il y a deux dirigeants historiques qui se nomment Moctezuma. On manque de sources et de renseignements sur le premier qui a pourtant étendu la sphère d’influence de sa ville, Tenochtitlán, sur un espace immense (le centre, centre-est du Mexique actuel, soit 450 000 km²) ; en deux mots c’est l’Empire aztèque. Mais cette volonté de conquête n’est pas née avec Moctezuma, elle remonte à la Triple Alliance des villes de Tenochtitlán, Texcoco et Tlacopan de 1428, une alliance de défense mutuelle et de conquête avec une répartition égalitaire du butin. Le jeu intelligent des souverains de Tenochtitlán a usurpé dans les faits tout le pouvoir et par là la richesse des terres et des populations conquises. Grâce à ces ressources, Moctezuma Ier est aussi connu pour avoir bâti des édifices dans Tenochtitlán pour que la ville concentre un prestige équivalent à son nouveau rang. La ville étant construite dans une lagune, à cheval sur des îlots et à même l’eau, elle est constituée de milliers de canaux de circulation où les habitants se déplacent en pirogue. Les quartiers eux sont construits sur des plateformes sur pilotis. Sur certaines plateformes est déposé un limon fait de terre et de roseaux sur lequel il est possible de cultiver, ce sont les « jardins flottants », appelés Chinampas. Sept récoltes annuelles auraient été possibles dans ces jardins cultivés, expliquant par là la population possible de la ville, plusieurs centaines de milliers d’habitants.

La ville de Tenochtitlán, détail de la fresque La Grande Cité de Tenochtitlan, peinte par Diego RIVERA en 1945 dans le Palais National de Mexico.

Moctezuma II, le neuvième empereur Aztèque, n’avait pas pour ambition d’être à la tête de l’empire, le pouvoir était entre les mains de son oncle Ahuitzotl. Ce dernier est mort précipitamment, et le pouvoir a changé de branche dans l’arbre familial. La raison, d’un côté, a fait de Moctezuma II un excellent successeur de son grand-père puisqu’il a continué l’expansion de l’influence de Tenochtitlán jusqu’à ses limites extrêmes. D’un autre côté, il a transformé son pouvoir de simple dirigeant d’une cité-Etat parmi 38 autres, en souverain absolu. Par ses faits et gestes Moctezuma II a changé son image en celui d’un dieu, un dieu souverain vivant.

Hernán Cortés et Moctezuma II, peinture de Gallo GALLINIA, vers 1820, tirée du livre Le costume ancien et moderne de Guilio FERRARIO, publié en 1829 à Milan.

Hernán Cortés, le Conquistador espagnol, décrira les fastes de la cour de Moctezuma II et quelques historiens aujourd’hui aiment à comparer cet empereur Aztèque aux pharaons d’Egypte ou encore Tenochtitlán à Babylone, pour l’étalage de richesses et de volupté. Enfin, pour finir les présentations, Moctezuma II est l’empereur Aztèque présent lorsque les Européens sont arrivés aux Amériques et ont exploré ces terres pour eux parfaitement inconnues. La confrontation sociale, diplomatique et guerrière entre Moctezuma II et Hernán Cortès mènera à la disparition de l’empire Aztèque. Moctezuma II lui-même meurt assassiné la nuit du 30 juin soit par une pierre jetée par l’un de ses sujets (une révolte populaire grondait parmi les Aztèques) soit par un espagnol. Il est impossible de savoir quelle est la véritable version. La même nuit, contre l’avis de Hernán Cortés, les espagnols massacrent 10 000 aztèques parmi les nobles avant de s’enfuir : c’est la « Noche Triste », la triste nuit, qui précède une guerre rapide et sans merci. Les Aztèques n’ont cependant pas disparu, avec le temps et l’avancée de la conquête européenne, ils se sont assimilés et ont formé une force soumise.

 

On peut parler d’une culture de la guerre chez les Aztèques. Elle se traduit par un concept particulier : il doit toujours y avoir la guerre. Si les Aztèques n’ont momentanément pas d’ennemi, ils font alors une « guerre fleurie », une guerre amicale, avec leurs voisins (on revient à cette expression plus tard). Pourquoi cet esprit guerrier, que les jeux Civilization mettent judicieusement en scène du premier au dernier opus ?

Parce que la guerre est un devoir sacré dans un premier temps : Huitzilopochtli, dieu de la guerre, est la divinité tutélaire de Tenochtitlán et, dans le mythe des Cinq Soleils (on y revient aussi plus loin), si les quatre précédents Soleils ont été tués par des éléments naturels (les jaguars pour le premier, le vent pour le deuxième, le feu pour le troisième et l’eau enfin pour le quatrième) c’est le sang des morts au combat aussi bien que celui des sacrifiés qui nourrit le cinquième Soleil et repousse sa mort.

Bas-reliefs de Tula, capitale des Toltèques (900-1200 de notre ère), représentants un coyote, un jaguar et deux aigles. Les Aztèques se disant héritiers des Toltèques cachaient subtilement le fait qu’ils n’avaient rien à eux. Rituels religieux et culture de guerre viennent des Toltèques.

Et parce que la guerre est la nécessité d’un Empire. A raison politique en effet, les villes de la Triple Alliance se disaient être peuplées des descendants des illustres Toltèques, ceux-ci pouvaient alors trouver une légitimité de droit d’être les maîtres du vaste monde méso-américain. Ils pouvaient ainsi faire la guerre sur tout le territoire. Cependant la guerre ne se faisait pas sans de véritables règles acceptées par les deux camps. D’une part la guerre était le moyen de régler un litige seulement si la diplomatie n’en était pas capable, d’autre part il fallait une raison à chaque fois (ce qui est souvent définit par l’expression « casus belli », « l’occasion de guerre »). L’insulte diplomatique fut souvent le déclencheur : lorsque la Triple Alliance exigeait la soumission par un tribut régulier d’une cité-Etat et que celle-ci refusait, c’était une insulte suffisante pour la guerre. Après quoi la bataille se faisait en règles, par un jour convenu ensemble.

 

Illustration de l’armée Aztèques avec la prise de la ville par son temple incendié, illustration de Adam Hook.

Les troupes assiégeantes avaient pour but de pénétrer dans le temple et d’y mettre le feu, c’était le symbole de l’abandon du dieu tutélaire de la cité au profit du dieu adverse. Religion et réalité sont toujours étroitement mêlées.

Ce mode de vie qui met en avant la guerre à tous les plans de la civilisation, sonne rustre et barbare au regard des observateurs européens qui débarquent aux Amériques au début du XVIe siècle. Aussi, si l’on ne doit retenir que deux ou trois traits de la civilisation Aztèque, la violence, la barbarie et la guerre, seront parmi les premiers choisis : d’où « Militaire » et « Agressif  » des traits de caractères de Moctezuma selon Civilization III et IV. Les deux précédents Civilization ne sont pas innocents, l’agressivité se retrouve dans les fondations pratiques du jeu des Aztèques et le restera jusqu’au VI.

Pour renverser cette image négative et péjorative des Aztèques, les historiens ont souvent fait des comparaisons plus ou moins heureuses avec l’Europe comme par exemple de comparer le nombre de sacrifiés Aztèques aux morts durant les guerres de Charles Quint (en admettant que les deux sont à peu près contemporains). Ce qui a pour objectif de décrédibiliser le mauvais regard que l’on porte pour les Aztèques et les traits spécifiques de leur civilisation en essayant de nous ouvrir les yeux sur les légitimités atroces que l’on peut souvent donner à « nous », les Européens. Ce n’est pas la logique appliquée ici : on va y revenir juste après, pour comprendre Moctezuma et ses Aztèques pour mieux réfléchir à ce que Civilization propose d’eux ensuite, il faut essayer de comprendre les Aztèques. Cela implique de changer de vision de l’univers, de perdre des siècles de culture modelée et de s’ouvrir à une façon exotique de penser la vie et la mort : de les penser comme étant les deux faces complémentaires de l’existence.

 

Les clichés et les idées reçus ont la vie dure, celui de l’affreuseté des sacrifices humains chez les Aztèques en fait partie. A juste titre, puisque les sacrifices humains étaient sanglants. Pour les comprendre il est nécessaire de renverser notre compréhension du monde pour saisir celui des méso-américains : le Soleil est un dieu affamé. Pour qu’il accomplisse son cycle dans le ciel, les Hommes doivent veiller à le nourrir de chair et de sang. Les Hommes ici ne sont pas les victimes du Soleil et ne vivent pas sous son joug ; aussi bien les sacrifiés que les prêtres sacrifiant font partie de la marche du monde et la suivent. Les Hommes sont ainsi des dieux agissant sur le monde en donnant, sacrifiant, une part de ce qu’ils ont. Les sacrifices pouvaient n’être qu’un peu de sang, cela n’impliquait pas toujours la mort du sacrifié. Les Empereurs donnaient régulièrement de leur personne, au sens propre comme au figuré.

Représentation d’une cérémonie sacrificielle, selon le Codex Magliabechiano, XVIe.

Les sacrifiés n’étaient alors pas des victimes mais des volontaires et on compte parmi eux des femmes et des enfants (souvent des malades ou des handicapés). Des systèmes se sont mis en place pour sélectionner les volontaires. Deux exemples :

– La « guerre fleurie » est le nom donné aux batailles amicales auxquelles pouvaient se livrer deux armées alliées. Les soldats avaient alors pour objectif de capturer les adversaires afin de les emmener au temple de leur cité en guise de sacrifices. Il n’y avait ici ni vainqueur ni vaincu dans la bataille, chaque armée repartait avec son lot de prisonniers et sans ses pertes laissées à l’armée adverse.

Les matchs joués au Tlachtli sont des compétitions sportives autant que des cérémonies. En effet, le capitaine de l’équipe gagnante avait l’insigne honneur de donner son cœur et son sang au Soleil à la fin du match. Le sacrifice n’a rien d’horrible, d’injuste, ni même de barbare, dans l’esprit Aztèque. Il est un sacrifice spirituel avec une application physique pour objectif de la continuité de la vie.

Représentation d’un repas anthropophage après sacrifice, selon le Codex Magliabechiano, XVIe siècle.

Cependant, les sacrifices pouvaient prendre une dimension politique et matérialiste. La « guerre fleurie » entre la capitale aztèque et une quelconque cité-Etat soumise pouvait-elle être sans arrière-pensée ? Il est fort probable que cela avait pour objectif d’affirmer et réaffirmer la supériorité de la première ville sur la seconde, celle qui avait la meilleure armée repartait avec le plus de prisonniers. Sans parler de l’illustration de la force de Tenochtitlán qui faisait là des exemples pour toutes les cités-Etats. Des raisons autrement sociales sont aussi évoquées : une purge des mauvais éléments dans l’armée par exemple et l’élévation hiérarchique des meilleurs. Que penser aussi de cette exception spectaculaire des dizaines de milliers de sacrifiés en 1487 à Tenochtitlán ? La fin de la restauration du Grand Temple du dieu du Soleil justifiant officiellement l’événement, la raison de la réaffirmation de la suprématie de la ville sur le reste du monde Aztèque est aussi envisageable. Cependant, le fait exceptionnel ne doit pas être généralisé et cacher la logique naturelle d’une religion solaire et élémentaire où l’Être Humain doit jouer un rôle moteur.

Représentation du sacrifice au dieu Xipe Totec, dieu du renouveau de la nature, selon le Codex Borbonicus, daté du XVe-XVie siècle. Le prêtre, à gauche, déguisé en Xipe Totec se revêt de la peau du sacrifié et la porte quelques jours sur lui, pour la symbolique du renouveau.

En ce qui concerne le jeu Civilization, l’application de l’image préconçue des sacrifices humains se voit d’abord dans Civilization IV où le bâtiment « Autel Sacrificiel » apparaît et remplace le Tribunal. Une façon d’interpréter la place des sacrifices dans la cité d’une drôle de manière : est-ce que faire des sacrifices est le moyen de résoudre les problèmes judiciaires ? Et que dire des bonus de ce bâtiment : augmenter le bonheur des citoyens et faire diminuer la force de la révolte lors de la prise de la ville. Cela sous-entend-il que les sacrifices humains canalisaient le bonheur des citoyens ? Cela peut effectivement se défendre, il s’agissait des cérémonies qui pouvaient divertir la population. Mais concernant la baisse de révolte d’une cité nouvellement conquise, on pourrait interpréter que les sacrifices permettaient de faire subtilement disparaître les fortes têtes de la révolte, idée qui est caricaturale, sauf, une fois de plus, si on trouve ici ou là dans l’Histoire de l’Empire Aztèque l’exception politique faite pour affirmer la puissance de Tenochtitlán. Les « Sacrifiés propitiatoires » de Civilization V sont aussi un problème pour l’interprétation que l’on pourrait en faire : quel point de vue adopter sur ce bonus de culture gagné à chaque élimination d’unité ennemie ? Fait-on ici référence à la « guerre fleurie » et son aspect de victimes volontaires (puisque le combat était amical), ou est-ce une mise en scène de la guerre sanguinaire et des sacrifices des prisonniers innocents que l’on retient par méconnaissance ? Enfin, dans Civilization VI, le Tlachtli fait son apparition comme bâtiment unique à la place de l’Arène pour donner un bonus de Foi à la cité. On s’aperçoit tout de suite de l’implication spirituelle du bâtiment et non pas de l’utilité physique et sportive qu’il pourrait avoir (d’autant plus assimilée à l’Arène).

L’appréhension du sacrifice humain est ainsi oubliée pour la relativité de son existence au sein de la civilisation Aztèque.

Figuration du Grand Temple de Tenochtitlán dans Civilization VI.

 

Représentation du Guerrier Jaguar dans le Codex Magliabechiano, XVIe siècle.

Les guerriers jaguars et les guerriers aigles formaient l’élite nobiliaire de l’armée Aztèque (les Otomis et les Cuauhchiques étaient les ordres guerriers pour les non-nobles). Constitués des soldats parmi les nobles, ils étaient souvent primés après avoir ramené personnellement plusieurs prisonniers à la cité, les soldats se revêtaient d’une armure spécifique pour ressembler à l’un des deux animaux les plus symboliques de leur pays. Il est plus que certain, en effet, que l’anthropomorphisme se faisait uniquement avec des animaux symboles de quelque chose d’important. Le jaguar par exemple était le prédateur terrestre qui hantait les forêts du Mexique, plus largement d’Amérique Centrale et Sud. Plus encore, son lieu de prédation était le même que celui des Hommes, le jaguar était donc concurrent des Hommes. Vif, agile, silencieux, l’Homme, par le costume de jaguar, veut symboliquement prendre ces caractéristiques animales pour lui.

Concept-art du Guerrier Aigle de Civilization VI.

De l’autre côté l’aigle est, on peut le dire, le seigneur des cieux comme le jaguar l’est sur terre. Mais la symbolique de l’aigle et du jaguar est plus puissante que cela : l’aigle n’est rien de moins que le centre de tous les mythes majeurs des croyances Aztèques et est très importants aussi chez les autres populations. L’aigle symbolise les forces positives de la cosmogonie tandis que le jaguar représente les forces négatives et destructrices. Aussi, si le « Guerrier Jaguar » est l’unité unique de la civilisation Aztèque depuis Civilization III pour changer en « Guerrier Aigle » dans Civilization VI, on doit en trouver la raison dans cette dualité, le jaguar est négatif, guerrier et terreur des Hommes, l’aigle est positif et plus symboliquement représentatif de ce que sont les Aztèques. Dans la réalité, il n’est pas évident de trouver une différence de traitement entre les deux ordres militaires. Ils ne devaient être qu’un rappel de l’existence des deux forces dans l’univers.

 

Le lac Texcoco et les cités-Etats à proximité en 1519, carte tirée de Christine NIEDERBERGER BETTON, Paléo-paysages et archéologie pré-urbaine du Bassin de Mexico, publié au Mexique en 1987.

Le penchant théorique ou dans la pratique pour les systèmes de gouvernement tel que « Despotisme » dans Civilization III, « Etat Policier » dans Civilization IV, ou encore « Autocratie » dans Civilization V, laisse à penser que le gouvernement Aztèque est fondamentalement méchant, parce que tyrannique et militaire. L’Empire Aztèque n’est pourtant pas né dans le sang de la guerre mais dans le sang d’alliances matrimoniales. Par des alliances maritales avec les régnants des autres villes autour du lac Texcoco, les premiers chefs de Tenochtitlán ont su centraliser le pouvoir local à un seul endroit, dans un harem d’une vingtaine d’épouses et d’autant d’enfants. Ensuite, par alliance de défense mutuelle avec les autres grandes cités, les Aztèques ont su former une force militaire sans faire la guerre à outrance. Là sont les bases de l’Empire Aztèque. Certains empereurs, les deux Moctezuma par exemple et entre autres exceptions, se sont néanmoins tournés à maintes reprises vers la guerre de soumission et vers un pouvoir impérial outrancier. On pourrait ainsi nuancer les attraits de la civilisation Aztèque vers la domination unilatérale de ses sujets. L’origine de l’Empire Aztèque est autrement plus fine et sa domination armée n’est pas une politique qui s’inscrit dans le long terme (l’Empire Aztèque n’a duré que 92 ans). Le Despotisme ou l’Autocratie allaient bien aux Moctezuma, moins aux Aztèques plus anciens.

 

L’apparition des « Chinampas », du « Tlachtli » et l’utilisation de la « Légende des Cinq Soleils » montrent que les développeurs ont décidé de mettre en avant le folklore et les curiosités de la civilisation Aztèque qui n’ont pas de rapport avec le cliché de la violence de ce peuple. Au contraire, ce sont de vraies tranches de vie que l’on peut découvrir avec ces objets de gameplay.

Les jardins flottants, ou Chinampas, sont des quartiers de Tenochtitlán. La ville était construite à même la lagune ouvrant sur le lac Texcoco, ces quartiers d’agriculture étaient comme artificiels. Les habitants pouvaient cultiver les principaux fruits et légumes pour approvisionner la ville et ses marchés, dont le vaste marché du quartier de Tlatelolco qui était à lui seul, dira Hernán Cortés, deux fois plus large que la ville de Salamanque. Avec ces jardins flottants, Civilization V permet de faire découvrir l’aspect agricole des Aztèques, loin des aspects guerrier et politique dont nous sommes toujours et avant tout friands.

Représentation d’un marché, autre détail de la fresque La Grande Cité de Tenochtitlan, peinte par Diego RIVERA pour le Palais National de Mexico en 1945.

Le Tlachtli, complexe sportif méso-américain et probablement d’origine Maya, lui, montre deux faces. Il y a le raffinement de la population qui se dote du loisir de faire d’un sport de balle comme le volley-ball (le principe était d’envoyer la balle toucher terre dans le camp adverse à l’aide des genoux, des coudes, des hanches ou encore des fesses). Et il y a le côté très cérémoniel du complexe sportif. Le Tlachtli à Tenochtitlán était accolé au Grand Temple et les joueurs faisaient leur match pour sélectionner le prochain citoyen volontaire au sacrifice : le capitaine de l’équipe gagnante donnait son sang et son cœur à la fin de la partie. Tranche de vie disons moderne du sport et relativité du sacrifice humain, c’est ce que raconte ce bâtiment du Tlachtli porté par Civilization VI.

Figuration du Tlachtli, le complexe et son stade en forme de H, dans Civilization VI.

Enfin, la « Légende des Cinq Soleils », expression utilisée dans Civilization VI, résume une grande part des croyances religieuses populaires des Aztèques. La légende des Soleils est le mythe racontant la naissance du premier Soleil par la métamorphose d’un dieu puis du sacrifice de tous les autres pour le faire avancer dans le ciel. Ce Soleil est voué à vivre un certain nombre d’années (un multiple de 52, la durée d’un siècle Aztèque) pour laisser la place au Soleil suivant. Ce mythe cyclique très ancien décrit la vie de quatre Soleils jusqu’à ce qu’une version de langue Aztèque évoque un cinquième Soleil, celui des Aztèques, et le peuple doit se sacrifier quotidiennement pour repousser la mort prophétique de l’astre. Construisant une expression à partir d’un très grand mythe, Civilization VI semble, ici, ne pas savoir tout à fait quoi faire avec, puisque le lien du mythe avec le bonus en jeu de fin de construction d’un bâtiment n’est pas évident à faire. L’expression elle-même n’est pas naturelle, au contraire de « Tlachtli » ou encore de « Tlatoani », le titre du souverain, la « Légende des Cinq Soleils » n’a jamais existé nommée ainsi, la preuve étant que l’expression n’est pas en nahuatl.

La Pierre du Soleil, qui a servi d’autel sacrificiel, découverte en 1790 à Mexico, représente, entre autres, les quatre soleils du mythe. On voit dans le deuxième cercle central quatre figurations (jaguar, vent, feu et eau) les causes de la mort des précédents soleils. La Pierre du Soleil est conservée au Musée national d’anthropologie de Mexico.

 

On va finir ces commentaires par deux dernières informations. Moctezuma s’exprime dans la langue aztèque dans Civilization V et Civilization VI à la différence qu’il parle le nahuatl moderne dans le V et le nahuatl classique dans le VI. On peut parler d’une recherche par les développeurs d’authenticité plus profonde dans le VI que dans le V puisque la langue aztèque moderne est imprégnée d’espagnol, elle est donc la langue parlée par les Aztèques après l’invasion des Européens (et elle existe encore aujourd’hui), tandis que le nahuatl classique est la reconstitution de la langue antérieure. Il est donc plus facile pour les développeurs d’incorporer le nahuatl moderne même s’il est moins réaliste, et il est au contraire plus difficile d’utiliser la langue classique parce qu’elle a disparu mais elle reste plus proche de la réalité, d’autant plus si on parle de Moctezuma Ier qui n’a jamais rencontré un espagnol.

Comparaison des portraits de Moctezuma dans les jeux.

Parlons enfin des dessins de personnages et d’arrière-plans des portraits au fil des jeux, surtout entre Civilization IV, V et VI. L’arrière-plan dans le IV et le VI semble à peu près le même, rien n’est clairement montré, on aperçoit ce qui semble être un temple et des bâtiments avec de la verdure d’arbres à allure de jungle. Moctezuma, lui, est devant l’image où on ne voit presque que lui dans Civilization IV et il laisse à peine plus d’espace dans le VI. Tandis que Civilization V nous montre un Moctezuma faisant partie du décor sombre, lugubre et macabre du monument aztèque nommé Grand Tzompantli, proche du Grand Temple, qui met en avant les crânes des sacrifiés. La première impression donnée par ce Moctezuma change ainsi radicalement d’un jeu à l’autre et le retour en arrière est intriguant entre Civilization IV et Civilization VI. On notera aussi qu’entre ces deux jeux, Moctezuma se pare d’éléments de costumes plus fastes dans le VI comparés au rudimentaire habit du IV. On pourrait alors parler d’une facilité de développement dans Civilization IV, d’une recherche du sensationnel et de l’intriguant dans le V puis d’une rationalisation dans le VI.

On va conclure sur l’utilisation du terme « Tlatoani » qui n’a pas été commentée jusque là. Le terme apparaît et est utilisé dans les outils de gameplay du jeu Civilization VI relevés ci-avant dans la première partie. L’authenticité est ici pure puisqu’à la place d’utiliser le terme européen de « Empereur », du latin Imperator (commandant victorieux de légion), qui n’a pas de sens en dehors de l’Europe de culture romaine, le mot aztèque est directement utilisé. Ce n’est certes pas grand chose et c’est longuement débattre sur un seul mot, mais il est significatif combiné avec tous les autres éléments que les développeurs, s’appuyant sur les informations historiques, créent et recréent continuellement la culture vidéoludique. On apprend en s’amusant, on parle nahuatl en jouant, on vit comme les Aztèques avec leur Grand Temple et leur Tlachtli en explorant les mécanismes du jeu.

 

Reste à savoir si le constat est le même avec les autres peuples et les autres personnages.