CRITIQUEGHOSTRUNNERCritique réalisée à partir d’une version presse.
Dès son annonce lors de la Gamescom 2019, Ghostrunner est devenu un jeu attendu, tant par les joueurs que par la presse. Un an plus tard, sa version démo était disponible et a confirmé cette attente. Le jeu est devenu une véritable hype sous l’égide de nombreux vidéastes qui ont vite crié au génie. Si l’univers cyberpunk particulièrement maitrisé de Ghostrunner est une composante majeure de son succès, son gameplay particulièrement nerveux l’est tout autant. Qualifié tantôt de mélange entre Mirror’s Edge et Dishonored par la presse spécialisée, ou entre Superhot et Titanfall par d’autres, Ghostrunner revêt en réalité une personnalité propre et ne peut être limité à être décrit comme un simple mélange d’autres titres, même si certaines influences sont évidentes. Disponible dans sa version complète depuis le 27 octobre 2020, le verdict peut enfin tomber pour la nouvelle création des développeurs de One More Level. Alors finalement, cette hype et cet engouement sont-ils justifiés ? Ou alors le jeu s’avère-t-il décevant ?
Incarnons le Ghostrunner et penchons-nous sur la question.

Artwork officiel du jeu. On remarque assez vite l’ambiance cyberpunk et on distingue l’immense tour que le joueur doit gravir durant l’aventure.
UNE NARRATION QUI AURAIT PU ÊTRE INTÉRESSANTE…
Dans Ghostrunner, tout n’est que vitesse, réflexe et adaptation. Une histoire a été pensée et construite autour pour enrober cette recette, malheureusement, on se rend très vite compte que celle-ci n’a sûrement pas bénéficié du même soin que les autres aspects du jeu. D’ailleurs, dans l’ensemble de l’aventure, il n’y a que deux ou trois cinématiques, pas une de plus. En tant que joueur, on a vraiment du mal à se sentir investi dans la mission du Ghostrunner, puisque on n’est jamais réellement plongé dans l’univers. Impossible également de s’attacher aux personnages, si ce n’est celui que vous incarnez, puisque vous ne rencontrez aucun PNJ. Vos seules interactions se limitent à des conversations audio avec deux personnages qui sont « dans votre tête ». Nous avons tout un monde à sauver, mais quel monde ? Nous ne rencontrons personne, nous ne voyons personne, pas même la seule humaine avec laquelle nous entrons en contact ! C’est un point particulièrement décevant du jeu, du moins, pour ceux qui réclament une histoire… En effet, Ghostrunner est un jeu profondément pensé autour de son gameplay, et plus particulièrement, autour de de la pratique du speedrun. Cette réalité dessert la compréhension de l’histoire pour ceux qui ne maitrisent pas totalement l’anglais puisque, même si le jeu bénéficie d’un sous-titrage en français, l’audio est quant à lui exclusivement en anglais. Le problème qui en résulte, c’est que l’action permanente vous empêche de pouvoir lire tranquillement les dialogues. Vous pouvez vous arrêter pour les lire, mais cela a tendance à casser le rythme, et ce n’est franchement pas instinctif.

On aperçoit ici une « affiche publicitaire » qui décrit plutôt bien le dessein de l’antagoniste principal.
Tout n’est cependant pas à jeter au sein de la narration. Des choses intéressantes sont à relever, avec des questionnements d’ordre éthique qui sont particulièrement pertinents aussi bien dans l’univers du jeu qu’au sein de notre société moderne. Malheureusement, on reste sur notre faim, ces bons aspects ne sont pas assez exploités. A mon goût, c’est la dualité entre l’homme et la machine qu’incarne notre personnage qui m’a le plus fait réfléchir. Malheureusement, le jeu ne nous livre que très peu d’éléments qui servent à nourrir et enrichir ce questionnement, à mon grand regret. En effet, comme le rappelle votre « créateur », l’Architecte, vous êtes la parfaite incarnation de l’union entre la chaire et la machine. D’abord dénué de volonté propre et de sentiments, vous devenez déviant suite à diverses réparations qu’ont mené sur vous les Grimpeurs, une faction rebelle, qui vous donnent la capacité la plus humaine qui soit : le libre-arbitre. Les deux voix qui vous accompagneront lors de cette aventure cristalliseront cette dualité.
Finalement, on regrette de ne pas pouvoir saisir toute la complexité de l’univers de Ghostrunner, qui bénéficie pourtant de plusieurs sources intéressantes à exploiter. L’histoire du jeu apparait profondément secondaire et la narration s’en retrouve appauvrie et largement prévisible, malgré un potentiel certain. Malgré cela, il faut souligner que Ghostrunner n’est pas un type de jeu qui fait de l’histoire sa principale qualité, et ce n’est pas sur ce volet que nous l’attendons. Face aux homologues du genre, on peut même dire qu’il s’en sort plutôt bien. Alors désormais, intéressons-nous à l’essence de cette œuvre : son gameplay.
ONE MORE LEVEL MAÎTRISE SON SUJET
Jouer à Ghostrunner, c’est mettre ses capacités à l’épreuve en permanence, tout le charme du jeu réside dans ce gameplay parfaitement réussi par les développeurs. Dès le premier niveau du jeu, vous vous rendrez compte qu’il faut respecter un adage qui semble avoir été inventé pour décrire la subtilité du jeu : ne confondez pas vitesse et précipitation.

Vous devrez mettre à profit votre environnement pour venir à bout de vos ennemis.
Je l’ai dit plus tôt, le jeu est dédié particulièrement au speedrun, mais n’empêche qu’il reste parfaitement accessible aux novices, à force de persévérance… car oui, vous allez en baver ! Vous allez mourir un nombre incalculable de fois avant de réussir un niveau, mais quand vous y parviendrez, la satisfaction est immense et vous pousse à toujours continuer, sans jamais penser à abandonner. A force de progresser dans le jeu, vous vous sentirez de plus en plus affuté, des situations qui vous paraissaient complexes auparavant ne seront qu’un jeu d’enfant ensuite. Egalement, le jeu apparaît comme punitif, mais jamais injuste. A aucun moment la frustration ne vous envahit, puisque vous êtes parfaitement conscient que les erreurs viennent de vous, et c’est en cela que les équipes de One More Level maîtrisent parfaitement leur sujet : Ghostrunner est un Die & Retry qui vous pousse constamment à réfléchir à vos techniques d’approche, et l’étendue des possibilités qu’offre le titre fait office d’un véritable terrain de jeu où toutes les manières de réussir un combat sont abordables, tant que votre skill répond présent…
Le jeu oscille tantôt avec des phases de plateforme où vos compétences en parkour seront mises à rude épreuve, tantôt avec des phases de combat particulièrement complexes, où vous devrez choisir votre approche et vos focus avec soin si vous voulez en venir à bout. D’une certaine façon, on peut dire que ces deux aspects se rejoignent puisque pour vaincre vos ennemis, vous devrez parfois exceller dans la maîtrise du parkour. Manette en mains, le plaisir est garanti : les combats donnent lieu à des enchainements stylés, qui procurent des sensations de satisfaction énormes. En plus de votre katana pour venir à bout de vos ennemis, vous disposez également de quatre capacités spéciales déblocables durant le fil de l’aventure. Chacune d’entre-elles est pensée pour répondre à divers types de situations, aucune n’est surpuissante même si elles viendront parfois vous sortir de situations périlleuses. Ce qui est plaisant avec ces capacités, c’est qu’elles s’intègrent toutes naturellement au gameplay et viennent renforcer votre style tout en apportant une multitude de nouvelles approches dans les combats.

Aperçu du cybervoid. On peut ici remarquer la conception originale des développeurs pour envisager le « cybermonde ».
Petit point d’ombre cependant, mais qui n’en est pas vraiment un puisqu’il s’intègre logiquement dans la trame du jeu. Le Ghostrunner que vous incarnez est l’individu idéal pour mettre fin au règne de Mara, le tyran de l’humanité : vous êtes capable de vous battre dans le monde physique, dans l’immense tour où se déroule le jeu, et dans le cybermonde, appelé Cybervoid dans Ghostrunner. Les phases de jeu dans le Cybervoid ont tendance à ralentir le rythme, avec des énigmes plutôt simplistes au vu de la difficulté générale du jeu. Malgré cela, la conception de ces phases dans le Cybervoid est originale et retranscrit une approche intéressante de l’univers du codage, où il vous faudra réfléchir dans un environnement où le temps et l’espace ne sont pas les mêmes que dans le monde physique.
UNE AVENTURE ATYPIQUE, MAIS PAS PARFAITE
L’aventure de Ghostrunner n’est pas marquante en émotions, mais bien plus en sensations. Celles-ci sont assurées par un gameplay réussi comme nous venons de le voir, mais aussi par un tas d’autres éléments qui m’ont saisi lors de cette aventure, marquée par son caractère atypique mais ternie parfois par des déceptions.

Zone d’un niveau de Dharma Ville, décor de la deuxième partie du jeu.
Déjà, l’univers cyberpunk dont se revendique le titre est extrêmement réussi. L’ambiance physique du jeu, grâce au décor, a sûrement été l’objet d’une attention toute particulière de la part des développeurs, même si on est parfois sorti de cette immersion à cause de textures un peu grossières, la faute à des graphismes qui ne sont pas transcendants sur PS4 Pro. La qualité des décors du jeu m’a cependant fait regretter de ne pas en voir assez, car ceux-ci ne se renouvellent que trois fois durant l’ensemble de votre épopée : la Base, Dharma Ville puis les Laboratoires. Ce qui est aussi quelque peu décevant, c’est la disparité qui règne entre la qualité des décors de ces trois zones, Dharma Ville étant une réussite presque parfaite, qui s’intègre parfaitement à l’histoire du jeu et à ce qu’on en attend, tandis que les Laboratoires s’affichent comme plutôt répétitifs et moins plaisants à parcourir. Dommage, car en tant que dernière zone du jeu, on est en droit à s’attendre à une apogée qualitative. Cependant, toutes les zones bénéficient d’un level-design aux petits oignons, ce qui assure au joueur un plaisir de jeu garanti qui s’emboite naturellement avec la vitesse d’exécution que requiert Ghostrunner.
L’un des autres points réussis de Ghostrunner est sa bande son, qui reflète vraiment ce qu’est le jeu : une expérience enivrante et survoltée. Laissez-vous emporter par la musique lorsque vous jouez, et votre manière de jouer s’adaptera parfaitement aux mécaniques du jeu. C’est une sensation qui, je pense, n’est saisissable uniquement que manette en mains. C’est selon moi un point majeur de la réussite des développeurs qui a rendu Ghostrunner si unique, et c’est ce pourquoi je me refuse à le qualifier de simple mélange entre tel ou tel titre. Une symbiose parfaite entre bande son et gameplay a été réalisée, l’une n’allant presque pas sans l’autre. Malgré tout, ce point noir récurrent de la répétitivité demeure aussi dans ce domaine, les musiques ne se renouvelant que trop rarement à mon goût, mais n’empêche qu’elles resteront toujours efficaces.
Enfin, ce sont les différents ennemis du jeu qui font son charme. Là encore, Ghostrunner se distingue par son soupçon d’originalité, tout en restant cohérent avec son univers. Ils se renouvellent à un rythme plutôt constant autour du jeu, puis sont adaptés dans leur difficulté grâce aux environnements où ils sont intégrés : les développeurs ont su habilement utiliser les propriétés de chacun pour ne pas les rendre redondants malgré leur réutilisation. Je ne peux malheureusement pas éviter d’exprimer ma déception au sujet des boss du jeu, qui ne se démarquent finalement que par l’extrême difficulté à en venir à bout. Ils ne sont que très peu en comparaison de la durée totale du jeu, et ne sont franchement pas marquants, au point qu’il en est difficile d’en parler tellement ils manquent de substance, hormis les deux derniers boss. C’est, de mon propre avis, le pire défaut du jeu.
DES PETITS DÉTAILS QUI FONT LA DIFFÉRENCE…
Malgré certains défauts, Ghostrunner est un jeu indéniablement réussi, et notamment grâce à quelques petits détails qui contribuent à démarquer le titre et à lui apporter une plus-value. Par exemple, le menu d’amélioration du personnage est original dans sa conception et amène le joueur a faire des choix pour optimiser son personnage, mais il amène aussi le joueur à réfléchir à l’agencement des améliorations pour pouvoir l’améliorer au maximum : contrairement à la plupart des jeux, il ne vous suffira pas de débloquer un point de compétence pour progresser !

Le menu d’améliorations de Ghostrunner. Choisissez judicieusement vos compétences et insérez-les intelligemment pour optimiser au maximum votre personnage.
La nouvelle œuvre de One More Level propose aux joueurs la possibilité de ramasser des éléments collectables, qui vous serviront à mieux saisir le lore de Ghostrunner, via des objets ou des enregistrements audio. Si ce n’est pas une nouveauté, le jeu excelle en la matière car ces différents éléments cachés servent directement le gameplay du jeu et révèlent toutes les subtilités du level-design. Pour trouver tous ces éléments, vous devrez mettre à l’épreuve votre sens de l’observation, votre logique, et votre maîtrise des déplacements. Parmi ces éléments collectables, les plus intéressants pour moi étaient les skins de l’épée que j’ai trouvés plutôt réussis : on est toujours très satisfait de découvrir un nouvel aspect pour notre seul et unique arme du jeu.
Ghostrunner est un jeu à la rejouabilité illimitée, car vous pourrez encore et toujours améliorer votre temps. De plus, après avoir débloqué toutes les techniques, vous pouvez refaire le jeu avec celles-ci puisque votre personnage est amélioré de façon permanente, compétences comprises. A savoir également que vous n’aurez sans doute pas réussi à trouver tous les collectables du jeu lors de votre première partie, et il peut être intéressant de refaire le jeu pour tous les trouver : voilà qui peut être une autre source de motivation pour les joueurs ne visant pas des temps records, même si l’essence de la rejouabilité réside indéniablement dans la recherche de la performance.
L'avis général
- Un level-design particulièrement réussi
- Des mécaniques à la fois nerveuses et intuitives
- Une bande-son qui s'intègre parfaitement au gameplay
- Une rejouabilité quasi illimitée
- Un système de compétence original et bien pensé
- Une histoire bancale et pas assez exploitée
- Des personnages qui manquent de substance
- Des décors parfois répétitifs
- Des phases qui ralentissent le rythme général du jeu