Durée de vie des supports et des jeux vidéo #03 – la conservation et préservation des jeuxCapsule Technique


Durée de vie des supports et des jeux vidéo #03 : CONSERVATION ET PRÉSERVATION DES JEUX
Il y a une vérité indétrônable dans notre existence c’est que le temps passe. Avec le temps, poussent les cheveux blancs, mais plus important que cela, toute matière autour de nous connaît l’usure du temps. Cela est le cas des supports physiques des jeux vidéo.
Faisons un aperçu de cette thématique dans une série d’article. Après avoir vu la durée théorique des supports consoles [premier article], puis la durée de vie des jeux selon leur technologie (CD, disquette, cartouche)[deuxième article], voyons ensuite les organismes et acteurs qui tentent de sauvegarder, chacun avec leur procédés, les jeux vidéo face à l’usure du temps.
Il sera aussi regardé ici la longévité des consoles et des jeux selon les lois du marché, qui se comprennent par les ambitions mises sur l’exploitation commerciale des choses pour un temps avant qu’elles soient détrônées par la génération suivante puis oubliées. Nous allons mettre en parallèle les lois physiques de la finalité de la matière. Le lien entre la loi du marché et la finitude des consoles/jeux existe puisque l’entretien/maintenance, le SAV, les màj’s, l’engouement social, font partie du tout qui aide à ce que la console/le jeu perdure le temps qu’il faut. Et nous aborderons évidemment les phénomènes d’émulation, de portage, de remake, etc. qui sont aussi des outils d’augmentation de la durée de vie des jeux.
Je remercie en avant-propos la communauté discord de l’association MO5 qui m’a apporté beaucoup d’informations sur ladite usure physique des jeux vidéo.
Enfin, pour éclairer et diffuser ce qui sera une des conclusions de cette série d’articles, les quelques images d’illustrations de ces derniers seront comme un tour du monde des expositions et musées des jeux vidéo, prouvant ainsi que le jeu vidéo est un objet culturel inséparable de notre société avec ce que cela implique sur sa diffusion des savoirs, sur la défense de son histoire et ses interactions sociales et sur les missions liées à sa sauvegarde et sa préservation.
LES TRAVAUX DE SAUVEGARDE ET D’ARCHIVES
Face au temps, l’Humain ne peut pas lutter, les supports physiques s’usent et le temps les fait disparaître. Mais les acteurs et les fans néophytes comme experts du Jeu vidéo s’activent depuis déjà un moment pour préserver la mémoire et le patrimoine vidéoludique. Le jeu devient également objet culturel, il est alors plus que nécessaire d’avoir des structures de préservation du jeux vidéo comme il y en a pour la préservation du reste de l’Histoire humaine. Nous allons voir dans cette partie trois axes, les actions de sauvegarde du jeu vidéo qui ont vu le jour grâce aux fans en premier lieu puis par les professionnels, ce sont l’émulations, le portage, le rétrogaming, puis nous verrons les associations françaises qui ont pour vocation la préservations, l’archive, la conservation du jeu vidéo, et enfin les musées et le fond de jeux vidéo conservé par la Bibliothèque National de France (BNF).
1. L’émulation, le portage, le remake : en somme le rétrogaming
Si l’émulation a pour première définition : « Sentiment, considéré comme noble, louable, qui pousse à surpasser ses concurrents dans l’acquisition de compétences, de connaissances, dans diverses activités socialement approuvées » (source CNRTL), l’émulation en informatique consiste à remplacer une console de jeux (souvent qui n’est plus en vente) en simulant son environnement à l’aide d’un logiciel. Le premier émulateur de l’histoire est produit par IBM dans les années 1960, jusque là, les ordinateurs et machines ne sont compatibles qu’avec elles-mêmes, après cette avancée technique, les compatibilités technologiques facilitent les choses. Dans l’univers du jeu vidéo, ce sont des « pirates » qui popularisent le principe de l’émulation, en développant des logiciels d’émulations de consoles, ils permettent par exemple de jouer sur l’ordinateur à une GameBoy Advance.
D’autres techniques permettent le rétrogaming. Par exemple le portage (principe de rendre disponible un jeu sur une autre console que celle pour laquelle il a été développé) et le remaster (portage d’un ancien jeu sur une console récente avec un travail surtout graphique). Le remake est également possible, le principe est de retravailler complètement un ancien jeu pour le porter sur une console récente, touchant à toutes les facettes du jeu (graphique, scénario, gameplay), mais on parle ici de faire quasiment un nouveau jeu.

Photo de The MADE, pour The Museum of Art and Digital Entertainment, à Oakland, Californie.
Pour aller plus loin :
- voici un article Culture-Games sur le portage : ICI
- voici un article Culture-Games sur le remaster : ICI
- voici un article Culture-Games sur le remake : ICI
Un autre concept existe, appelé « abandonware » (ou Logiciel abandonné), qui entend qu’un logiciel/jeu vidéo qui n’est plus vendu et plus entretenu par les propriétaires, peut être reprit par la communauté, partagé et transmit sans contrainte. L’équipe de Abandonware France, qui propose un site internet sur lequel il est possible de récupérer des jeux PC et MAC dit abandonnés, se sont donnés quelques critères de sélection des jeux partagés, maximisant les chances de ne pas être en tort face à la propriété intellectuelle :
Actuellement, pour Abandonware France, plusieurs paramètres rentrent en compte pour qu’un jeu puisse être considéré comme un abandonware :
- Sa date de première distribution ne doit pas être postérieure à 2005.
- Il ne doit plus être commercialisé, du moins dans sa version francophone. Si le jeu est encore commercialisé mais à l’étranger, un consensus au sein de l’équipe peut amener à ce que le jeu soit tout de même diffusé sur Abandonware France dans sa version francophone.
- Les ayants droit ne se sont pas positionnés contre sa distribution gratuite.
- Il faut que l’équipe d’Abandonware France soit d’accord pour le considérer comme abandonware.
Le concept d’Abandonware est donc la sauvegarde par le partage des jeux qui n’existe plus sur le marché officiel. Voilà une autre idée de la conservation. Le concept est théoriquement illégal en France mais toléré.

Image de la couverture du dossier de presse de l’exposition Game Story, en ce moment à Versailles, du 19 octobre 2024 au 13 avril 2025
2. La conservation et l’archivage
A côté de l’émulation et l’abandonware une autre activité de sauvegarde et de conservation des jeux à vue le jour.
Au fond, la mission de préservation de la culture du jeu vidéo, disons informatique au sens large du terme, est née le même jour que son objet en lui-même. Ou du moins il aurait dû naitre en même temps ; un premier codage informatique est tout de même pensé en 1936 (ça fait beaucoup de cheveux blancs). En France, ce sont avant tout des associations bénévoles de passionnés qui commencent à penser patrimoine numérique et à le pratiquer, passant de collectionneurs individuels à des communautés officielles :
- ACONIT a été créée à Grenoble en 1985 sur une idée et à l’initiative de Michel Jacob, épaulé par Roger Gay, dont le but affiché est « de créer les structures permettant l’étude et l’illustration de l’évolution de l’Informatique au sens large en faisant revivre son histoire passée et en suivant ses développements futurs« .

Vue du Dauphiné Libéré de 2015 avec un article de presse sur Aconit
- en 1988 est créée l’association WDA, par Mathieu Charreyre, dont la raison est « Collecter, Préserver et Restaurer le patrimoine numérique dans toute sa diversité« . Cette association avance sur son site internet avoir une collection de matériel numérique de 1950 à nos jours.
- en 1994, l’association toulousaine Silicium voit le jour, avec la présentation suivante : « conserver les consoles de jeu et les ordinateurs anciens pour les montrer au public. Une collection de milliers de pièces nous permet de répondre aux demandes d’expositions, de conférences ou d’animation« .

Image de recrutement pour l’association Silicium
- en 2003 est fondée l’association MO5 par Philippe Dubois, qui se donne pour but de « préserver le patrimoine numérique« , avec le rêve affiché de monter « Le Musée National du Jeu Vidéo et des Cultures Populaires« , qui aurait comme objectif de proposer « un parcours à la fois chronologique et thématique des technologies numériques« .
- en 2016, le Conservatoire National du Jeu Vidéo, association présidée par Bertrand Brocard, est née et à pour vocation de « rassembler en son sein les collections industrielles et personnelles pour les préserver, les archiver, en faciliter l’étude et la valorisation« .
Pour donner cette poignée d’exemples, parmi beaucoup d’autres (notamment des projets comme l’association BIOS de Rouen qui a disparue en 2019 mais les collections ont été sauvées par WDA), qui servent à présenter les activités de conservations. Car la problématique n’est pas forcément évidente : l’activité du jeu vidéo, par exemple, est plurielle, en évolution et expansion constantes et bourrée de contraintes commerciales tant qu’il y a des enjeux financiers. Le jeu vidéo est à cheval entre une création artistique (littéraire, graphique, musicale), une création logicielle (codage, base de données, système d’exploitation) et purement matériel (ordinateur, consoles, manettes), mais également commerciale, journalistique et sujet de recherche scientifique. Celui qui se lance dans la conservation du patrimoine, se met à collectionner les jeux, les consoles, les manettes et autres joysticks, les revues, magazines, interviews et journaux, les manuels techniques et les études. On ne conserve pas ces choses de la même façon et dans les mêmes lieux. Chaque association a pour activité de conserver le maximum d’objets, avec toutes les spécificités de conservations (à l’exemple de retirer et mettre de côté les pièces comme les piles qui avec le temps peuvent casser l’électronique voisin), mais également de tenter de restaurer et réparer ce qui n’est plus actif (de la même façon qu’un musée de peinture fait de la restauration de tableau) et encore de valoriser les objets et les logiciels en participant à des expositions temporaires dans des musées ou événements particuliers ponctuels. Voilà donc cette multitude de missions que ces associations font au quotidien, merci à elles pour tout cela et bon courage !
3. Les musées et la BNF
Selon le Conseil International des Musées, le terme « musée » se définit de cette façon : « Un musée est une institution permanente, à but non lucratif et au service de la société, qui se consacre à la recherche, la collecte, la conservation, l’interprétation et l’exposition du patrimoine matériel et immatériel. Ouvert au public, accessible et inclusif, il encourage la diversité et la durabilité« . En théorie et en pratique, les cultures numérique et vidéoludique entrent des deux pieds dans cette définition. C’est pourquoi des musées du jeu vidéo existent à certain endroit du monde. Un article GamingCampus a fait une liste, mise à jour récemment (décembre 2024), des musées du jeu vidéo : il y a des musées au Japon, aux Etats-Unis, en Australie, en Angleterre, en Belgique (le Pixel Museum qui était à Strasbourg jusqu’en 2020), en Italie, en Allemagne, en France et un musée entièrement en ligne.

Photo du musée japonais sur le jeu vidéo, intégré au Huis Ten Bosch Museum, à Sasebo, Nagasaki
Pour la France, il y a eu un « musée de l’Informatique » à la Défense à Paris, de 2008 à 2010, jusqu’à ce que le Ministère de l’Ecologie récupère les locaux. Il y a eu dans ce musée une partie consacrée aux jeux vidéo qui est resté active du 14 au 24 avril 2010. Les collections ont été récupéré en 2017 par les associations WDA et MO5, après avoir à peu près survécus en participant à des expositions temporaires ici ou là en France. En 2017, du côté de Strasbourg en Alsace, l’association Ludus Institut, association de collectionneurs passionnés, après avoir créée une formation initiale de développeurs, s’était également lancé dans les œuvres de musée du Jeu Vidéo pour ouvrir le Pixel Museum. Il est resté actif trois ans pour 75 000 visiteurs, jusqu’en 2020 où le muséum s’est établit à Bruxelles (Ludus Institut y a déjà une école là-bas). 2020 est également la date de création du Musée savoyard de jeu vidéo, Pixminds Furusato, dont voici les mots de présentation :
D’une salle à l’autre, venez découvrir une collection rare et impressionnante qui retrace son développement, de Pong à League of Legends, en passant par Super Mario Bros, Daytona ou encore Sonic. Revivez et partagez vos émotions en retrouvant au FURUSATO votre premier PC (conçus en France !), votre première console, ou en approchant l’antre de nos joueurs de l’équipe eSport Valiant, nos champions de France Valorant et champions d’Europe Fortnite.
Pour retrouver vos sensations d’ados, ou partager un bon moment en famille ou entre amis, le PIXMINDS FURUSATO offre à ses visiteurs un espace de jeu inédit et entièrement gratuit.
Enfin, il y a autour de l’idée d’un musée du Jeu Vidéo, beaucoup d’entités qui ont le vœu d’avoir un grand et beau musée national. L’association MO5 par exemple, déjà cité, ou encore l’association museereplay et en attendant la concrétisation de leur souhait, ces associations proposent, participent, créent et font vivre des événements et des expositions consacrées aux jeux vidéo où elles amènent une partie de leur collection. Le Conservatoire National du Jeu Vidéo s’axe aussi autour de l’organisation et la gestion de conférences et colloques pour faire bouger les choses dans le domaine scientifique. Récemment, le projet de création du plus grand musée du Jeu Vidéo de France, nommé Musée Odyssée et mené par Ludovic Charles et Benoît Theveny (alias Tev de Ici Japon), s’est vu concrétiser avec une campagne de Crowdfunding à plus de 2 millions d’euros et le soutien de la ville de Bussy-Saint-Georges, en Île de France. Il devrait se situer à Bussy-Saint-Georges. Le descriptif du projet donne ces quelques mots :
Au-delà du divertissement, Odyssée sera un phare culturel, une plateforme où les communautés se rassemblent pour célébrer l’héritage vidéoludique. Ce lieu mythique invitera chaque génération à revivre ses souvenirs et à découvrir les nouvelles tendances, transformant chaque visite en une odyssée inoubliable. Le Musée Odyssée est une association portée par une communauté passionnée, dédiée à la préservation du patrimoine vidéoludique. Grâce au soutien d’une initiative privée, nous assurons la pérennité du musée et son développement, tout en restant fidèles à notre mission et à nos valeurs d’origine.
Ce qui revient à dire que l’avenir du Jeu Vidéo au musée semble être radieux pour la France.

Image du concept du musée Odysée.
Une autre grande histoire se construit et c’est à la Bibliothèque Nationale de France (BNF) que cela se passe : depuis 1992, la BNF tient un fond documentaire constitué entre autre de jeux vidéo. Ce fond est à l’appui de l’obligation légale pour les éditeurs français de donner une copie à la BNF à toutes les nouvelles sorties de jeux, à partir de là, la Bibliothèque les référence avec la même précision que n’importe quel autre document. La BNF propose pour les jeux anciens surtout de l’émulation mais il y a aussi la conservation d’une cinquantaine de consoles. La BNF met à disposition pour jouer des jeux et des consoles récentes. La Bibliothèque Nationale de France, institution sérieuse, officielle et publique, organise également des colloques ou journées d’études sur les thématiques des jeux vidéo. A lire, notre article Culture Games de 2015 sur la BnF.
Après ces trois articles, passons à une dernière partie en guise de conclusion et d’ouverture, abordant notamment le sujet de la dématérialisation des jeux et consoles.