Durée de vie des supports et des jeux vidéo #02 – l’usure des jeuxCapsule Technique


Durée de vie des supports et des jeux vidéo #02 : L’USURE DES JEUX
Il y a une vérité indétrônable dans notre existence c’est que le temps passe. Avec le temps, poussent les cheveux blancs, mais plus important que cela, toute matière autour de nous connaît l’usure du temps. Cela est le cas des supports physiques des jeux vidéo.
Faisons un aperçu de cette thématique dans une série d’article. Après avoir vu la durée théorique des supports consoles (premier article), voyons à présent la durée de vie des jeux selon leur technologie (CD, disquette, cartouche), nous verrons ensuite les organismes et acteurs qui tentent de sauvegarder, chacun avec leur procédés, les jeux vidéo face à l’usure du temps.
Il sera aussi regardé ici la longévité des consoles et des jeux selon les lois du marché, qui se comprennent par les ambitions mises sur l’exploitation commerciale des choses pour un temps avant qu’elles soient détrônées par la génération suivante puis oubliées. Nous allons mettre en parallèle les lois physiques de la finalité de la matière. Le lien entre la loi du marché et la finitude des consoles/jeux existe puisque l’entretien/maintenance, le SAV, les màj’s, l’engouement social, font partie du tout qui aide à ce que la console/le jeu perdure le temps qu’il faut. Et nous aborderons évidemment les phénomènes d’émulation, de portage, de remake, etc. qui sont aussi des outils d’augmentation de la durée de vie des jeux.
Je remercie en avant-propos la communauté discord de l’association MO5 (à retrouver dans le troisième article) qui m’a apporté beaucoup d’informations sur ladite usure physique des jeux vidéo.
Enfin, pour éclairer et diffuser ce qui sera une des conclusions de cette série d’articles, les quelques images d’illustrations de ces derniers seront comme un tour du monde des expositions et musées des jeux vidéo, prouvant ainsi que le jeu vidéo est un objet culturel inséparable de notre société avec ce que cela implique sur sa diffusion des savoirs, sur la défense de son histoire et ses interactions sociales et sur les missions liées à sa sauvegarde et sa préservation.
DURÉE DES JEUX SELON LE SUPPORT
1. Durée commerciale estimable des jeux physiques ?
Autant le dire tout de suite, la durée de vie en ce qui concerne les jeux, au contraire des consoles, est une histoire dépassée (ou du passé) : en 2024 on ne fabrique plus de jeux physiques, ou presque plus (chaque année on en reparle, les chiffres de vente physique baissent de mal en pis : ici pour 2022, ici pour 2023 et un second pour la route, et un article tenait déjà ce discours en 2012). Donc la question de savoir combien de temps se conserve les jeux n’est qu’une histoire de vieux et de vieilles choses… désolé…
Plusieurs données brouillent tout commentaire possible : il y a des jeux développés pour une seule console et des jeux qui sont fabriquées pour être jouable sur plusieurs consoles ou encore des jeux jouables sur les consoles de nouvelles générations de la série de console, les jeux vont donc connaître plusieurs périodes de ventes ; il y a des jeux sortis aussi bien en physique que en version dématérialisée… et que dire de la dématérialisation des jeux qui a pour principe de rendre éternelle la vente immatérielle du jeu ? Et comment considérer les éditions collectors ? les remastered ? les remakes ? et les demakes ?

Photo de l’exposition « De la case au Pixel : une archéologie du jeu vidéo » du musée Suisse du Jeu ; du 10 février 2024 au 6 janvier 2025
En fin de compte on va devoir se poser la question de base de : c’est quoi vendre un jeu vidéo ? Et si le principe de la vente se concentre sur le versement des droits de la propriété intellectuelle, qui est la marque officielle et pratique de la persistance des choses, tout jeu vidéo dure le temps d’existence de son auteur et 70 ans après son décès. Reste à savoir qui est propriétaire des jeux vidéo (voir notre série d’articles sur le sujet en 3 parties) et de manière plus concrète, est-ce qu’il y a quelqu’un qui revendique ou peut revendiquer la propriété d’un jeu. Le concept d’Abandonware joue sur le fait que dès que les jeux ne sont plus vendus sur le marché il y a une chance que le propriétaire n’est pas contre le fait du partage gratuit de ces même jeux.
A propos des jeux mobiles, qui foisonnent follement, un article Les Numériques rapportait que 8 jeux sur 10 durent moins de trois ans selon l’étude « Good Games Don’t Die » menée par SuperScale (en anglais) et publiée en novembre 2023. Seulement 5% des jeux mobiles persistent sept ans.
2. L’usure physique et naturelle
Passons maintenant aux histoires de l’usure physique. Tout comme les consoles, il n’est pas possible de faire une estimation de la durée des éléments physiques des supports pour les jeux, si ce n’est quelques idées théoriques (à l’exemple des CD-Rom qui dureraient 100 ans).

Photo de l’exposition « Une histoire du jeu vidéo » au Musée de la Civilisation à Québec, du 24 avril 2013 au 16 mars 2014
Aussi, faisons comme pour les consoles, un petit tour d’une poignée d’affaires d’usure ou de casse qui a touché une majorité des éléments concernés :
- Cartouche DS et technologie mémoire flash : une grande affaire circule depuis quelques temps à propos des cartouches DS/3DS et peut-être les cartouches Switch. La technologie utilisée pour la mémoire dans les cartouches est de type FLASH. La mémoire flash perdure 10-15 ans avant de devenir illisibles, selon les commentaires, sans une réécriture qui est censé être automatique. Cette réécriture permet en théorie d’effacer les erreurs et corruptions de données mais à deux conditions, d’une part la réécriture doit être régulière et d’autre part les erreurs et corruptions ne doivent pas être trop nombreuses sinon cela ne marche pas. Les cartouches DS, elles, en revanche, utilisent la technologie appelée « mask rom » qui a ses bons et ses mauvais côtés dont le principe est de poser en usine la série de données qu’on souhaite et elle ne bouge plus jamais. On retrouve sur cet article de mai 2021 une petite présentation de l’histoire. Au contraire, un article en anglais du site GBATemp.net daté de juillet 2021, faisant une recherche dans les fiches techniques de Nintendo, produit un autre commentaire sur les technologies employées, discutant si les technologies par mémoire flash de Nintendo sont vraiment ce qu’elles disent être. Le rédacteur de l’article est persuadé d’avoir trouvé pour les 3DS une commande de rafraichissement des mémoires, c’est cette réécriture en cas de corruption des données qu’on a vu. Cela veut dire que les cartouches 3DS sont moins impactées par ce risque d’illisibilité après 15 ans. En revanche, une incertitude peut persister pour les cartouches Switch, d’autant plus que la Switch est trop récente à nos yeux pour que nous puissions voir poindre l’usure des éléments. Cela reste donc en discussion. La fiche technique sur la technologie « NAND Flash memory » indique une conservation de donnée (ou data retention en anglais) de 10 ans.
- Cartouche HuCard de PC Geijin 2 : Une histoire circule sur le jeu PC Geijin 2 (autrement appelé Bonk’s Revenge aux Etats-Unis), sorti en 1991 sur PC Engine. Cette HuCard (format de carte mémoire fabriquée par Hudson Soft dans les années 1980 et 1990) ne fonctionne plus, comparés aux autres jeux HuCard. Il y a ici une discussion sur un forum qui montre l’étrangeté de cette histoire, plusieurs jeux PC Geijin 2 n’arrivent pas à tourner sur la console tandis que d’autres jeux fonctionnent. Evidemment, il y a toujours le bon réflexe à avoir de démonter la console pour constater s’il n’y a pas des soucis d’oxydation de la carte mère avant tout autre problème.

Photo de l’exposition « Game : Le jeu vidéo à travers le temps », dans les locaux de la Fondation EDF, à Paris, du 1er mars 2017 au 27 août 2017
- CD de Saturn, Mega CD et Dreamcast avec problème de disc rot : Autre grande histoire qui touche les jeux vidéo, l’usure nommée « disc rot » en anglais, pour l’érosion de la matière sur les vieux CD. Publié le 2 février 2017, un bon article en anglais faisait la description du phénomène. L’article est traduit en français sur Vice.com, avec quelques défauts de mise en page. En se fiant à un gros producteur de disques anglo-saxon (Philips and Dupont Optical), qui a mis en place un service de SAV spécifique pour remplacer les disques abimés, entre 1991 et 2006, il est suggéré que le disc rot touche les CD fabriqué dès 1988 et que depuis les années 2000 cette usure tend à disparaître grâce à des nouvelles technologies de manufacture. Le disc rot se repère par la coloration par oxydation du CD avec une couleur bronzé et/ou par la lecture impossible dans le lecteur (ou au minimum des erreurs de lectures et des brouillages de sons, de couleurs, ou autres défauts du style). L’article anglais rapportait le témoignage que les CD des jeux de Mega CD, PC Engine, Saturn et quelques jeux de Dreamcast sont touchés par l’épidémie.
- Usure des disquettes et cassettes vidéo, entre moisissure, oxydation et dé-magnétisme : un échange sur le forum de l’association Silicium, daté de 2011-2012, parle du grand risque chez les disquettes et cassettes vidéo de l’usure où de la moisissure (petites tâches sur la piste) peut apparaître. La moisissure, si l’on n’y prête pas attention et qu’on insère notre disquette ou cassettes dans notre Apple II, risque de se répandre aussi dans le lecteur comme le raconte l’utilisateur sur le forum. L’apparition de la moisissure doit se comprendre, évidemment, comme le pourrissement et la mort de la matière. S’il est possible de nettoyer les lecteurs de disquettes et cassettes, il est également possible de nettoyer les supports et de tenter de faire une copie de données pour ne pas les perdre. Une disquette bien nettoyée puis totalement effacée peut être théoriquement réutilisée.
- Système d’émulation par cartouches flash : on pose pour finir une nouvelle histoire qui ne concerne pas directement un exemple d’usure des éléments, mais plutôt une affaire de contournement sain, ou pas, de l’usure par la technologie. Cette histoire est l’invention des cartouches flash (ou Flash Cartridge en anglais) pour faire un émulateur de disque CD-Rom pour des consoles. Une entreprise localisé à Andorre, Terraonion, a fabriqué beaucoup d’inventions dans ce genre : deux articles d’actualités de MO5 fait la présentation, d’un côté du « MODE » (pour Multi Optical Disc Emulator), un émulateur pour Saturn et Dreamcast, de l’autre le « Super HD System3 PRO », un émulateur pour PC Engine. L’inventivité de Terraonion est de proposer des émulateurs qui se fixent le plus facilement possible (ce qui n’est pas une mince affaire) sur la console. Ce genre d’émulateurs permet de faire tourner des Roms de jeux commercialisés, tout comme des jeux créés par des fans (nommé « Homebrew« ). Attention à bien regarder les prix d’achats en plus de livraison de ces émulateurs ; autre point de surveillance, le bon fonctionnement de ces émulateurs qui avaient au départ quelques faiblesses logicielles et n’arrivaient pas à faire fonctionner toutes les Roms des consoles, se sont vues proposer des mise-à-jour efficaces petit à petit. Reste à observer l’usure des éléments de ces ajouts technologiques et découvrir combien de temps ils durent, autant que combien de temps ils durent sur le marché avec son service après-vente.

Photo de l’exposition « Jeux vidéo l’EXPO » qui s’est déroulée entre le 22 octobre 2013 et le 24 août 2014 à la Cité Universcience
Voilà une poignée d’exemples du phénomène d’usure des éléments physiques dont nous parlons. Ce petit tour permet néanmoins de montrer que le phénomène existe et permet d’aborder les enjeux de la perte des données des jeux, ou comment un jeu peut marcher et du jour au lendemain ne plus marcher, ce qui est une perte émotionnelle incommensurable, à nul autre pareil.
Il y a des affaires bien connues car le paradoxe commercial derrière cette usure est flagrant, à l’exemple du disc rot qui a touché les disques CDs de 1988 à 2000, voire jusque 2006, à tel point que des SAV spécifiques ont vu le jour dans l’industrie et le commerce de ces CDs. Il y a, enfin, des histoires et affaires qui sont connues mais restent un peu en suspend puisque nous n’avons pas encore assez de recul pour faire une critique constructive des phénomènes, à l’exemple d’une certaine manière des cartouches DS et 3DS et leur technologie NAND Flash memory, qui fait peur puisque théoriquement les données de jeux peuvent disparaître du jour au lendemain après 10 ans, sans prévenir.

Photo de l’exposition de la 8e édition de l’Open Museum, au Musée des Beaux Arts de Lille, mettant à l’honneur le jeu vidéo, du 13 avril au 25 septembre 2023
Passons dans un troisième article aux actions et activités de conservations menées et par des fans et par des institutions officielles.