Troll du Mois #04 : Toutes vos imaginations sont appartiennent à euxTroll

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Troll du Mois #04
Troll du Mois #04

La rançon de la gloire

Dans le Troll du mois, je n’ai ni le temps ni l’envie de vous gonfler dix plombes avec un sujet spécifique. Je pourrais à loisir développer un propos le temps qu’il faudra pour explorer ses principales problématiques et ses solutions premières, définir les différentes manières d’aborder chacune de ses facettes et résoudre les apparentes oppositions d’une dialectique bien préparée pour enfin enrober le tout d’un style fin et élégant. Mais au final, est-ce que tout cela vous intéresse vraiment ?

Vous êtes ici pour vous amuser et moi aussi, ce qui explique en partie notre bombardement de mèmes. Ces mêmes mèmes qui ont certes fait leurs armes mais qui ne sont pas forcément populaires pour les non initiés : c’est rigolo, ça fait toujours du bien à notre Culture geek. Et c’est là un point important : même si rien n’empêche de réfléchir et d’essayer de dire des choses utiles, simplement et avec une dose raisonnable de fnu il serait dommage malgré tous ces efforts de gâcher notre petite réunion d’adeptes avec des idées trop lourdes à porter après une journée de taff.

Alors en plus de la technique du clown, plusieurs tactiques existent pour permettre d’éluder le fait qu’un discours riche de sens peut devenir abscons au bout de quelques minutes – Ou afin qu’un discours vide de sens ait l’air d’en avoir un – surtout pour celui qui malgré plein de bonne volonté prend place sur le siège du lol plutôt que sur celui de la pensée juste. La force d’évocation d’un symbole, une rhétorique au rythme heureux, des arguments peu nombreux et fallacieux au niveau logique mais frappants pour la sensibilité, une multiplication de liens externes afin de tromper le mental linéaire ou enfin et plus loyalement si j’ose dire, le coup des jardins de Babylone. Cette compé’ consiste à revenir sur un point précédemment cité pour en faire un propos complet afin de ne pas surcharger son idée et en ce sens permettre à son auditoire de digérer plusieurs petits plats reliés par certains connecteurs logiques plutôt que de devoir engouffrer plusieurs bouchées d’un immense plat protéiformiquement dégueulasse. Merci Platon, à défaut d’être ludique tu m’as donné une technique didactique qui certes, ne va pas à elle seule pousser l’Homme à réfléchir mais au moins lui faciliter le processus si l’envie lui venait !

Just win

Epic Platon is Epic…

Alors ouais venons en au fait, nous l’avions par ailleurs déjà évoqué lors du premier article: […] les goûts de chiotte de certains feraient mieux de rester là où ils sont […]On a le droit d’avoir des préférences personnelles quand on a des goûts sûrs […]. C’est un fait, la subjectivité est devenue un argument très probant aux yeux de la plèbe, ça permet de justifier n’importe quel propos rempli d’une arrogante stupidité en mettant en avant le caractère illusoire de la vérité. Bien que le relativisme ait sa place dans toute problématique ce n’est pas en se masturbant avec un rasoir d’Ockham de Cro-Magnon qu’on va avancer : on n’arrive en définitif avec ce genre de démarche qu’à un nihilisme naïf. Même si l’introduction précédente n’a pas respecté la très fameuse règle des Mc Cain, ceci étant enfin posé nous allons pouvoir enchaîner tranquillement suite à ces affirmations apaisantes sur la problématique qui nous intéresse : Mais au juste Pôpa, qu’est-ce qui fait un bon jeu vidéo ?

Erf… Zerg Rush !

Traditionnellement, il existe deux manières de tester un jeu dans la presse et les deux sont bien wtf. Soit on découpe les aspects saillants le caractérisant en plusieurs catégories et tel le colon découpant l’Afrique à la serpe on décortique médicalement le produit pour le placer dans des cases commodes afin de pouvoir ensuite l’analyser à souhait. Graphismes, bande sonore, jouabilité, durée de vie et scénario, ce sont les grands classiques. On y ajoute une synthèse censée prendre en compte la subjectivité de l’auteur et le tour est joué. Dans le second cas, on se casse encore moins l’arrière train – à moins que ce ne soit la « maturité » du public qui lui permette de se contenter d’une analyse désinvolte – il s’agit simplement de dire à l’aide d’un petit texte ce qu’on a trouvé cool et ce qui nous a ramolli les selles lors du jeu. C’est devenu de nos jours le modèle le plus courant, le premier ayant effectivement un peu vieilli après ton centième numéro de PC Jeux ou de Joystick. Ces deux manières de procéder sont accompagnées d’un système de notation : note sur dix, vingt ou en pourcentage, système de baromètre à cinq dessins mimis genre étoiles ou canards.

Des techniques tout à fait académiques, parfaitement adaptées pour décrire un produit de consommation : Saturne réduira en cendre ces ânonnements matamores car en effet, même si le lecteur fait l’effort de replacer ces commentaires moribonds avant l’heure dans leur contexte temporel, il n’en reste pas moins que lettre écrite est devenue lettre morte. La faute à ce verbe qui n’a pas su transmettre ce vivant dont je parlais dans mon premier article. Au lieu de se faire témoin réel de l’objet, on déblatère son exégèse déjà surannée au moment même où elle a été prononcée : infernal pacte social plus ou moins subconscient protégeant la surproduction d’opinions illusoires afin de faire tourner le sampo capitaliste ou simple aveu de médiocrité, à vous de choisir entre la méchanceté et l’idiotie. Par l’entremise du conditionnement, gageons que c’est un peu des deux…

Finalement, qu’attendre de plus des journaleux arrivistes, égoïstes et conditionnés de notre génération ? Nos surdiplômés ne valent pas mieux, alors attendre une quelconque syntonie avec lui-même en même temps qu’avec l’objet où sa conscience se porte, c’est demander au journaliste lambda un processus psychique qu’il ne peut même pas imaginer. Et pourtant, c’est par ce biais que l’on pourrait vaincre le Dahaka : dans un cœur vrai, le temps n’a plus d’importance et le verbe devient éternel… et l’éternité, c’est tout ce que recherche l’Homme. Putain mais quelle révélation ! C’est comme quand après dix ans, à l’instar de mes premières heures devant ma bécane, je reprends conscience que le pointeur de ma souris existe : C’était devant moi et je voyais que dalle. Comme si l’évidence ne me sautait pas aux yeux pendant que je culbutais ma promise, mince c’est vrai, faut être en syntonie. Mindfuck !

Vault Boy

Welcome to the Vault dude…

Mais si un avis personnel aussi pointu soit-il ne suffit pas – même basé sur une expérience certaine – et si une analyse objective aussi détaillée soit-elle ne suffit pas non plus – même basée sur une profondeur sincère – par quels biais peut-on tenter d’exprimer plus avant une forme d’éternité critique ? Ou une critique qui aura au moins le mérite de se détacher d’un contexte spatio-temporel aussi réduit que « En France, dans le jeu vidéo, en 1989 » et qui peut tenter d’approcher une fenêtre type « Dans le monde, dans le jeu vidéo, pour toujours » ? Surtout, on sera certain d’échapper au diktat de la société de consommation !

L’idéalité comme but et comme fin

Plus précis que des laconiques « Jouabilité » ou « Durée de vie », on peut commencer par écarter quelques points qui ne seront pas utiles à notre objectif : Au delà de l’originalité d’une production qui est induite par l’imagination des concepteurs, de la rejouabilité du soft due à sa richesse intérieure et à ses mécanismes déclenchant des effets de surprise inattendus, de la direction artistique introduisant une immersion suffisante et du scénario ou du rythme impliquant des moments de tension bien calculés qui nous rivent sur l’écran; au delà de l’équilibre du jeu ne déclenchant quant à lui pas de sentiment d’injustice ou d’assistanat, des règles de jeu simples mais à la profondeur finale abyssale ou malgré la profondeur de ces dernières, l’influence du joueur est prédominante; au delà en bref de la liberté du joueur qui fait bon ménage avec la vérité véhiculée par la structure du jeu, du rapport entre le contenu et le contenant, entre l’aspect énergie et l’aspect information, au delà du subjectif et l’objectif, est lové le point fondamental que nous recherchons : celui qui permet de qualifier un objet de chef-d’œuvre.

Le chef-d’œuvre comme clef, comme étalon final pour déterminer si un jeu est bon ou n’est pas, pour déterminer s’il est éternel et qu’il n’est pas qu’un produit de consommation destiné à tromper l’ennui et le manque de passion dans la vie : substitut terrible d’une existence morne et sans aucun sens, un loisir de plus qui vient confirmer la vie oisive et vide de ceux qui y jouent. Si le chef-d’œuvre, n’est pas l’étalon de notre mesure, nous tournons en rond, nous n’avançons plus, ce qui vient à nous est dévoré goulûment et on n’en tire aucune substantifique moelle : cela devient un cycle karmique sans fin où notre ego se repaît des mêmes actions, des mêmes sentiments et des mêmes pensées. Nous sommes gelés dans notre médiocrité, passifs et zombifiés comme devant la télévision, avalant tout rond ces petits moments de plaisir illusoires. Tout ce qui est tiède et stagnant finit par dépérir, la Nature elle-même nous l’enseigne et toute production contre-nature est essentiellement démoniaque et par voie de conséquence, néfaste pour celui qui entre en relation avec elle.

See

Your bike is already gone !

Bien entendu, chacun verra midi à sa porte et la lumière des uns est le poison des autres, néanmoins au delà du respectable équilibre et des goûts propres à la nature de la personnalité inhérente à chacun (ainsi que de l’éventuelle catharsis psychologique qu’il peut résulter de l’emploi du jeu vidéo – point qui est souvent la raison des préférences – il s’agit de l’admettre sans s’en offusquer outrageusement) il faut savoir aller vers le meilleur afin de pousser le monde vidéoludique dans ses derniers retranchements : fixer son désir sur le chef-d’œuvre comme seul vecteur de notre plaisir et ne plus consommer pour consommer du jeu, cédant ainsi aux douces avances de la putain de Babylone. Définir le chef-d’œuvre et exiger l’idéal, ne plus céder aux foutages de gueule de ceux qui voudraient indirectement mais malgré tout pour leur profit personnel faire de nous des machines.

UnrealTournamentLogo

« Tir… à la tête ! -> COMME UN DIEU !! »

Ce qui fait un bon jeu ? Sa transcendance vis à vis du relatif et en même temps son analogie vis à vis de ce dernier. Œuvre Humaine, elle dépasse l’Homme dans son essence tout en étant à sa ressemblance dans ses fonctions comme un message nous poussant à rejoindre l’idéalité qu’elle véhicule par sa perfection de forme et de fond sur un instant et un être en particulier. Elle devient le pont entre le nous-même actuel et le nous-même transcendé. C’est un chef-d’œuvre parce qu’elle apporte réellement quelque chose; l’amusement, la détente, c’est une friandise, une conséquence collatérale de ce qu’il faut exiger du jeu vidéo : je l’ai déjà dit, qu’il nous crée réellement. Alors critiquer un jeu, c’est critiquer une œuvre, ce n’est pas une machine qui peut faire ça à coup de catégorie, mais un Homme qui le fait avec sa prose et son cœur orienté non vers le ludique pour le ludique mais vers sa réalisation au travers du ludique. Car c’est bien connu : on apprend plus vite en s’amusant et le jeu, loin de n’être qu’un véhicule pour dégager notre frustration, peut être un chemin initiatique en lui-même.

Si vous êtes arrivés jusqu’au bout de ce petit papier, c’est que je me suis trompé et que Malraux avait tord : c’est peut-être que des sujets un peu plus spécialisés et une formulation un peu plus élégante vous intéresse vraiment au final (sinon c’est tout autre chose mais ça me va aussi). Merci mais je ferai bien ce que je veux, le prochain article sera débile, ou ne sera pas !
Sinon, vous devez connaître Bourdieu, ben j’ai récupéré un tableau réinterprété à la sauce jeux vidéo de notre bande de hipsters favoris :

Tableau3615Usul

C’comme vous voulez hein…