Aonuma Eiji
Eiji Aonuma est un game designer et producteur de jeux vidéo japonais travaillant chez Nintendo. Il est responsable de la série The Legend of Zelda depuis 1998 et l’épisode Ocarina of Time sur N64. Son travail très remarqué pour l’importante et très populaire série des Zelda fait de lui une des personnalités les plus reconnues au sein de Nintendo, aux côtés de Shigeru Miyamoto ou Kôji Kondô.
Dans l’ombre de Miyamoto
Eiji Aonuma naît en 1963. Il étudie le design en travaillant sur des modèles articulés (essentiellement des marionnettes) au Design Department/Faculty of Fine Arts de la Tokyo National University of Fine Arts and Music, dont il sort diplômé d’un master en composition et design, en 1988. C’est cette même année, à tout juste 25 ans, qu’Aonuma intègre Nintendo. Après avoir participé au design de NES Open Tournament Golf (sorti en 1991 sur NES), Aonuma dirige le développement de Marvelous : Mouhitotsu no Takarajim, sorti sur Super Nintendo en 1996. Le jeu est fortement influencé par The Legend of Zelda : A Link to the Past de Shigeru Miyamoto. Ce dernier, impressionné par le travail d’Aonuma sur le jeu, lui propose de le rejoindre en tant qu’assistant au sein du développement d’Ocarina of Time sur N64. Lors de cette production, il est l’un des quatre directeurs sous les ordres du créateur de la série. La part du jeu que l’on doit à Aonuma est la création des donjons (dont le célèbre Temple de l’Eau). Le résultat plait visiblement à Miyamoto qui propose alors à son équipe un nouveau projet. La Nintendo 64 s’apprête à recevoir un nouveau périphérique du nom de Nintendo 64 Disk Drive permettant de lire des disques magnétiques et d’ajouter ainsi des extensions à des jeux déjà existants sur la console par exemple. L’idée est donc de créer un Ura Zelda qui reprendrait Ocarina of Time pour y ajouter de nouveaux donjons et de nouveaux objets.
Aonuma s’oppose fortement à ce projet car il estime qu’un jeu inédit serait une meilleure solution. Un compromis est rapidement trouvé entre les deux hommes, tandis que le développement d’Ura Zelda continue, Aonuma a un an pour créer un nouvel épisode utilisant le moteur et les ressources du premier épisode N64. Pour l’aider dans cette tâche, Miyamoto lui adjoint son protégé Yoshiaki Koizumi, l’un des autres directeurs du jeu précédent qui influence très fortement le projet en y ajoutant le système des trois jours et le ton plus adulte. Le débat est d’ailleurs constant entre Aonuma et Koizumi. Ils sont tous les deux d’accord pour faire un titre plus mature en partant du principe que mathématiquement les personnes qui ont joué à Ocarina of Time seront plus vieilles à la sortie de ce jeu, mais Aonuma tient à ne pas rompre avec l’innocence de la série. L’échec du Nintendo 64DD au Japon conduit l’équipe d’Ura Zelda à arrêter son travail cependant tout n’est pas perdu pour l’éditeur puisque l’autre projet n’étant pas une simple extension, il pourra être commercialisé sans le périphérique. Au final le pari est réussi pour Aonuma qui parvient à terminer Majora’s Mask dans les temps tout en obtenant un succès à la fois commercial et critique à sa sortie en 2000. L’expérience est plus que bénéfique pour les co-réalisateurs du jeu puisque Koizumi se voit confier la réalisation du prochain Mario tandis qu’Aonuma obtient celle du prochain Zelda.
Le nouveau (presque) patron
Lors de sa conférence Nintendo Space World 2000, le constructeur dévoile plusieurs vidéos techniques censées démontrer la puissance de sa prochaine machine : la GameCube. Celle qui retient l’attention des joueurs met en scène un combat entre Link et Ganondorf dans une direction artistique proche d’Ocarina of Time. Cependant, cette démo est présentée au public peu de temps après la sortie de Majora’s Mask et il ne découvre que trop tard cette réalisation qu’il désapprouve totalement. Sur son jeu précédent, Aonuma voulait pousser plus loin le côté enfantin des graphismes. Il n’est donc pas étonnant de voir que son nouveau projet utilise la technique du cel-shading. Lors de sa sortie en 2002, The Wind Waker divise fortement les fans. Si certains apprécient le charme de ce nouvel univers, beaucoup s’attendaient à retrouver un jeu plus mature dans son aspect tel que montré dans la démo du Nintendo Space World. Le jeu devient donc un succès critique mais il n’atteint pas ses objectifs de ventes. Pourtant, le jeu en lui-même est loin d’être aussi simpliste que certains le prétendent puisqu’il apporte l’une des réflexions les plus profondes sur Ganondorf pour une série qui le limite souvent au rôle de méchant très très méchant. Par ailleurs, Aonuma n’a pas participé non plus aux jeux Oracle of Ages et Oracle of Seasons sur Game Boy Color, que Miyamoto avaient confiés à Capcom tout comme pour le remake Game Boy Advance de A Link To The Past et son mode Four Swords. Ce mode devient d’ailleurs une nouvelle priorité pour Miyamoto et Aonuma. À cette période, les Japonais s’éloignent de l’industrie du jeu vidéo et pour Nintendo, la connectivité Game Boy Advance – GameCube pourrait être la solution. Si de nombreux jeux, dont Wind Waker, utilisent cette fonction, aucun ne la place véritablement au centre de son gameplay. Deux nouveaux Zelda débutent par conséquent leur développement. Le premier à sortir est Four Swords Adventures, la déclinaison du mode multijoueur qui s’avère être un échec, il ne rend pas le jeu vidéo plus attractif mais plus compliqué avec son besoin de posséder une GBA et un Câble Link par joueur.
J’ai vu la démo du SpaceWorld et j’ai pensé : « Non, ce n’est pas Zelda ! Ce n’est pas Zelda du tout !» J’avais l’impression que cela n’avait rien à voir avec l’idée que j’avais de Zelda. Ce n’était pas le Zelda que je voulais faire.
Eiji Aonuma, Interview pour IGN, octobre 2013
Le second jeu est une suite directe à Wind Waker, simplement nommée Wind Waker 2. Le non-retour des Japonais suite à la sortie de Four Swords Adventures pousse Aonuma à se concentrer sur les joueurs occidentaux. Il collabore donc avec Nintendo of America pour comprendre les raisons du succès très relatif du premier jeu. Les différents avis sur les graphismes du jeu marquent Aonuma qui décide de continuer son projet en changeant uniquement la direction artistique du jeu. Cette obsession de la maturité inquiète Miyamoto qui intervient donc pour calmer son remplaçant. Selon lui, un changement aussi drastique ne peut pas se limiter à l’aspect visuel, si les joueurs veulent un nouvel Ocarina of Time avec la puissance de la GameCube autant leur donner. Pour convaincre Aonuma, il lui demande d’ajouter Epona au jeu en cours et de faire ce qu’ils n’avaient pas pu faire à l’époque : le combat à l’épée sur le cheval. Si le résultat lui plait, le réalisateur du jeu doit accepter de repartir de zéro. Avec une résolution nouvelle, il craint d’annoncer à l’équipe ce retour en arrière sur un très long projet en perte de vitesse. Cependant, cette décision était le parfait moyen de les remotiver, eux qui n’étaient pas très emballés par l’idée d’un Wind Waker 2. Après quelques modifications et des reports, Nintendo présente enfin Twilight Princess lors de l’E3 2004 mais aussi sa nouvelle console portable, la Nintendo DS. Alors que, l’équipe de Four Swords Adventures s’apprête à adapter le concept pour cette console, Aonuma leur demande d’utiliser du cel-shading et modifie de plus en plus le projet pour en faire une suite à Wind Waker. Le travail sur l’écran tactile fait comprendre au responsable qu’il aurait bien envie d’un équivalent pour Twilight Princess ce qui se réalise grâce à la nouvelle annonce de Nintendo : la Révolution. Miyamoto demande à Aonuma de commencer à réfléchir à ce que la future Wiimote pourrait apporter à un Zelda. Ce dernier décide donc de simplement adapter le jeu en cours sur ce qui deviendra la Wii afin de les appliquer directement ce qui repousse une fois de plus le jeu qui sort donc en 2006. Comme prévu, le jeu est un immense succès aux USA et en Europe, mais peine au Japon et disparaît en quelques semaines du top des ventes du pays.
L’élève rejoint le maître
Ce succès permet à Aonuma d’obtenir le même rang que Miyamoto sur la série, producteur, titre qu’il avait déjà eu sur The Minish Cap. Son projet personnel de suite à Wind Waker sur DS (Phantom Hourglass) est également un des succès marquant de 2007 et obtient donc un troisième épisode, Spirit Tracks en 2009. Le but de ce triptyque était de renouveler l’expérience Zelda qui est réussi avec l’utilisation du bateau puis celle de l’écran tactile et celle du train pour finir. Entre les deux épisodes portables, le chantier d’un nouveau Zelda Wii est lancé. L’objectif est simple, créer un épisode qui serait le point de départ pour toute la mythologie (tout en se laissant de la marge pour faire d’autres épisodes avant), le scénario est donc terminé avant même que la direction artistique ne soit définitivement choisie. Le gameplay se doit d’aller au bout de ce qui avait été entamé avec Twilight Princess. C’est pour cela que Miyamoto annonce la compatibilité du jeu avec le Wii Motion Plus, décision annulée par Aonuma qui considère que l’apport n’est pas assez important pour l’utiliser et encore moins le rendre obligatoire. Le créateur de la série demande donc à l’équipe de reprendre le gameplay du mini-jeu à l’épée de Wii Sports Resort pour convaincre le nouveau producteur ce qui est fait en empruntant les outils créés pour l’autre jeu. Le jeu, nommé Skyward Sword sort en 2011 à l’occasion des 25 ans de la série parmi de nombreux autres évènements dont le livre Hyrule Historia qui dévoile enfin la chronologie des jeux qui n’était connue que de Miyamoto et d’Aonuma avant cela. Les deux supervisent d’ailleurs l’ouvrage et écrivent respectivement la préface et la postface, asseyant ainsi Aonuma en tant que deuxième père de la série. En trois mois, Skyward Sword s’écoule à 3,42 millions d’exemplaires dont un demi-million aux États-Unis lors de la première semaine, un record pour la série. Ce succès doit cependant être pondéré puisqu’à l’époque, le parc installé de Wii est de 95 millions.
J’ai 50 ans aujourd’hui, il ne me reste qu’une dizaine d’année pour faire des jeux chez Nintendo. J’ai envie d’essayer toutes sorte de choses avant qu’il ne soit trop tard. Je ne veux pas finir ma carrière en ayant uniquement travaillé sur Zelda. Mais à chaque fois que je trouve de nouvelles idées, elles finissent dans un Zelda ! J’ai besoin d’une pause de 6 mois pour quitter le cycle de Zelda et me concentrer sur autre chose. Mais je finirai probablement par faire un jeu à Zelda, après tout, A Link to the Past était ma plus grande influence.
Eiji Aonuma, Interview pour EDGE (via Nintendo Life), juin 2013
Pourtant, le plus grand moment d’Aonuma n’arrive qu’avec le jeu suivant. Alors qu’il travaille depuis près de 15 ans sur Zelda, l’idée de prendre du recul pour créer sa propre série s’impose de plus en plus dans son esprit. Un projet qui ne fait pas le poids face à la nouvelle opportunité qui se présente à lui. Miyamoto souhaite faire un remake 3DS d’A Link to the Past. S’il s’agit du jeu fondateur pour Aonuma, il persuade son confrère non pas de retoucher à l’épisode Super NES mais de faire une suite ce qui est fait avec A Link Between Worlds qui sort en 2013. En parallèle, Nintendo commence à ressortir les anciens Zelda (au grand désespoir d’Aonuma) pour faire patienter les joueurs avant la sortie de nouveaux épisodes dont le remake Wii U de Wind Waker au succès ironique. Le moteur d’A Link Between Worlds est d’ailleurs repris pour créer Tri-Force Heroes, un épisode qui serait l’extension d’une phase de Spirit Tracks en y ajoutant le multijoueur inspiré de Four Swords Adventures ce qui permet de boucler la boucle puisque l’épisode DS était né du détournement d’Aonuma de la suite de l’épisode multi. Dans sa volonté de s’éloigner un peu de Zelda, le producteur a d’ailleurs accepté de servir de superviseur pour Hyrule Warriors à la place de Shigeru Miyamoto. Si l’univers reste le même, le gameplay Musou apporté par l’équipe des Dynasty Warriors a été le bienvenu pour l’homme obsédé par l’idée d’innover avec Zelda. Il ne quitte pas pour autant la série pour qu’il est également producteur du prochain Zelda inédit sur Wii U qui devrait une nouvelle fois dépasser les limites d’Ocarina of Time via des interactions encore plus poussées avec Epona et un monde ouvert de plus de 800 kilomètres carrés. Cinquantenaire, il estime s’arrêter dans une dizaine d’années et cherche déjà une personne capable de lui succéder afin de s’occuper d’un titre plus personnel qui sera selon lui, forcément très inspiré d’A Link to the Past qui reste le jeu le plus important à ses yeux.
Une relation intime avec sa série
Même s’il n’a pas créé la saga, Eiji Aonuma possède un lien fusionnel avec Zelda. Il a notamment confié avoir éclaté en sanglot en écoutant le thème de Twilight Princess en présence de son fils, à l’idée de tout ce qu’il faisait subir à Link dans cet épisode. Il considère le héros comme son deuxième enfant et il n’est pas rare de voir la vie de l’un déteindre sur l’autre. Ainsi, il avoue avoir une tendresse particulière pour Wind Waker qu’il a réalisé juste après la naissance de son fils. C’est pour cela qu’il a fait du Lion Rouge une figure paternelle dans le jeu. Par ailleurs, les autres grands créateurs de chez Nintendo ont un immense respect pour lui. Miyamoto est donc ravi de le laisser seul à la présentation des jeux Zelda lors des conférences depuis quelques années. Masahiro Sakurai déclare même que si Super Smash Bros. Brawl existe, c’est grâce à Aonuma qui lui a personnellement demandé de reprendre du service afin de faire honneur à la série Zelda qui pourrait être mal représentée par quelqu’un d’autre. Sakurai consulte tout autant Miyamoto qu’Aonuma quand il s’agit de Zelda. Les deux hommes ont d’ailleurs en commun leur passion de la musique classique et Aonuma a fondé en 1995 un orchestre d’employés de Nintendo avec cinq autres personnes. Désormais composé de plus de 70 membres, l’orchestre, nommé The Wind Wakers (en référence au jeu qui est lui-même une référence aux orchestres), joue environ trois fois par an pour les autres employés du constructeur. Aonuma dirige l’ensemble et participe aux percussions.