Les échecs #01 – Le Nintendo 64 Disk DriveCapsule Temporelle


L’histoire du N64 DD se situe à la fin des années 90. Après une suprématie sans conteste dans la deuxième moitié des années 80, Nintendo perd du terrain face à la PlayStation et se doit alors de contre-attaquer.. L’arme ultime ? Le Nintendo 64DD, extension de console permettant bien des miracles. Mais alors comment Nintendo s’y est-elle prise pour que ce qui devait être une révolution dans l’industrie du jeu vidéo devienne un échec retentissant, allant même jusqu’à faire pire que le Virtual Boy…
Les prémices
Hiroshi Yamauchi, président de Nintendo de 1949 à 2002, mentionna l’idée d’une extension en novembre 95 alors que la console n’était pas encore sortie. Mais aucune information n’est lâchée, excepté le nom de code « Bulky Drive ». À la presse de se faire ses propres fantasmes ! Le 64DD (Disk Driver) est présenté au public pour la première fois le 23 novembre 1996 à Tokyo lors du SpaceWorld (alors appelé Shoshinkai). Cette dernière appellation succède à « Dynamic Drive ». L’utilité d’un tel accessoire est de palier aux faiblesses des cartouches de jeux N64. Là où ces dernières plafonnent à quelques Mo en début de vie de la console, le 64DD permet d’augmenter leurs capacités de stockage à 64 Mo. À titre d’exemple Super Mario 64 pèse 8 Mo.
De nombreuses promesses sont faites à la presse et parmi elles on se rappelle volontiers de Miyamoto parlant de nouveaux concepts irréalisables jusqu’alors, du développement du nouveau Zelda pour ce support, qui finira sur la machine principale, de la pléthore de jeux d’éditeurs tiers et surtout de la connectivité à un réseau privé grâce à un modem.
L’année 97 est une désillusion pour beaucoup de joueurs et peu d’informations filtrent, à part le report sur cartouches d’une grosse partie des jeux annoncés sur le 64DD. Octobre 1997 permet un regain de curiosité avec l’envoi des kits de développement aux studios partenaires et avec l’annonce de la console comme étant « hot-swappable » – c’est-à-dire qu’un jeu peut tenir sur plusieurs cartouches. Une date de sortie pour l’été 98 aux États-Unis est même annoncée mais sera reportée quelques petites semaines plus tard lors du SpaceWorld 97, pendant lequel Nintendo ne présentera aucune démo jouable.
L’année 1998 est encore plus dure pour le Nintendo 64DD puisqu’il est une nouvelle fois reporté, mais cette fois à une date indéterminée, laissant les joueurs en attente dans le flou le plus total. La sortie nord-américaine du périphérique est annulée et certains jeux disparaissent des listes de sorties. Ceci est d’autant plus dramatique que la 128 bits de SEGA, la Dreamcast, débarque en novembre 1998 avec plus de promesses que le 64DD de Nintendo. Nintendo a raté le coche mais est maintenant trop avancé pour faire machine-arrière.
En 1999, Nintendo confirme enfin la sortie de l’extension pour le courant de l’année. Les quelques jeux non annulés sont dévoilés au public comme Mario Artist qui se veut le commencement d’une série de jeux d’un genre de création, ou encore F-Zero X : Expansion Kit qui permettra la création de circuits ! En mai de la même année, l’E3 est l’occasion pour Nintendo d’annoncer le développement de sa future 128 bits : le project Dolphin est en cours. Une raison de plus pour les joueurs de ne plus croire au 64DD et d’économiser pour un appareil plus durable. Le Shoshinkai/Spaceworld ’99 en novembre de la même année est l’ultime événement qui sépare le 64DD de sa sortie.
Une distribution à reculons
À sa sortie le 1 décembre 1999, le pack « Randnet Starter Kit » est disponible à la location pour environ 25 € sans Nintendo 64 et 30 € avec la console. Cette première version disponible à la location uniquement par correspondance par la société Recruit est livrée avec une boîte jaune contenant le 64DD, l’expansion pak, le modem, le disque RandNet et son câble pour le relier à la ligne téléphonique. Les services en ligne n’étant pas actifs à sa sortie, l’intérêt de la location est très limité même si Nintendo promet un jeu gratuit par mois à tous les acquéreurs du pack. De plus seulement deux jeux accompagnent sa sortie sur le territoire japonais : Kyojin no Doshin et Mario Artist : Paint Studio. Ce n’est que trois mois plus tard, en février 2000, que l’on peut mettre la main sur l’accessoire pour 30 000 Yens, soit l’équivalent d’environ 250 €. Cette seconde version est le pack « Retail » ne contenant qu’un Nintendo 64DD et l’expansion pak. Il est alors distribué par Nintendo en magasins en quantité infime et accompagné de deux nouveaux jeux : Mario Artist : Talent Studio et SimCity 64.
Lorsque le constructeur prend la décision d’arrêter les frais, il récupère les invendus et les recycle en Nintendo 64. Cependant, le nombre de joueurs ayant loué l’appareil étant très faible, Nintendo leur laisse le matériel, faisant d’eux les heureux possesseurs d’un 64DD et des septs jeux distribués au cours de l’offre Randnet !
En 2013, on le trouve entre 300 et 350 € en loose (c’est à dire sans boîte ni notice) mais le pack complet peut atteindre les 500 €. Une seconde édition existe mais trop rare pour en connaître la cote. Il en va de même pour les prototypes estimés à 200 ou 300 exemplaires et dont la dernière vente remontant à janvier 2013 a été effectuée à 1814,26 €.
Une misérable vie…
L’un des faits les plus marquants de cette extension est son nombre de jeux, qui lui fait forcément défaut puisqu’il est tellement misérable qu’il va jusqu’à être inférieur au nombre de jeux prévus pour le lancement de la machine. Le succès de la machine est proportionnel à son catalogue : quasi nul. Sur les 100 000 exemplaires produits par Nintendo, seuls 15 000 trouveront preneurs, laissant ainsi planer la rumeur sur le devenir des autres n’ayant pas trouvé de propriétaires. Ces ventes correspondent à un échec cuisant : elles sont cinquante fois inférieures au Virtual Boy !
Seuls neuf jeux auront eu « la chance » de voir le jour sur ce support : Doshin the Giant et Mario Artist: Paint Studio à sa sortie le 1 décembre 1999 puis les jeux Mario Artist: Talent Studio, F-Zero X Expansion Kit, Japan Pro Golf Tour 64, Doshin the Giant: Tinkling Toddler Liberation Front! Assemble!, Mario Artist: Communication Kit, Mario Artist: Polygon Studio et SimCity 64 dont les sorties s’étalent sur l’année suivante. Nintendo a donc bien soutenu sa machine mais avec des jeux uniquement de petite envergure, tels des concepts. Seul F-Zero X Expansion Kit sort du lot mais ne suffit pas à donner suffisamment d’attrait à une extension de console qui arrive alors que la PlayStation 2 est sur le point de faire son entrée.
Finalement, c’est en février 2001 que Nintendo jette l’éponge avec une extension qui restera son plus grand échec. Nintendo souhaite toutefois remercier les joueurs ayant soutenu l’appareil et rend son service en ligne gratuit dès décembre 2000 et ce jusqu’à sa fermeture fin février.
Son fonctionnement (matériel et réseau)
Le 64DD s’emboîte sous la Nintendo 64 à l’aide de la trappe « Exit » que l’on retrouve dans tous les modèles de Nintendo 64 exception faite des éditions Pokemon. Il est évidemment indissociable et ne peut fonctionner seul. Le branchement à une Nintendo 64 n’est d’ailleurs pas suffisant puisque le démarrage de l’extension ne se fait qu’en présence de l’expansion pak qui ajoute les 4MB de mémoire supplémentaires indispensables à son bon fonctionnement. La machine ne peut lire que des disques magnéto-optiques, évitant ainsi les temps de chargements.
La lecture des disques se fait en temps réel de façon aussi rapide qu’un lecteur de CD-Rom PC, c’est-à-dire 1 Mo par seconde. Le lecteur permet de lire des animations non compressées en temps réel.
De nombreux accessoires permettent d’augmenter les possibilités de contrôle de l’appareil comme en témoigne la cartouche de capture utilisée par Mario Artist : Talent Studio et qui permet de capturer toute image provenant d’une télévision, d’une caméra ou d’un magnétoscope, pour la retoucher ensuite. Cette cartouche possède trois sorties pour les câbles RCA et une pour un micro fourni pour ce jeu et pour Hey You, Pikachu!. Il permet aux joueurs d’enregistrer des sons pour créer des animations. La souris brandissant fièrement le logo de la console sur son dos permet aux dessinateurs de réaliser des oeuvres de façon plus intuitive qu’avec un stick analogique. Combinée au clavier, elle est surtout très pratique pour naviguer sur Internet ! Le modem qui se place comme un jeu classique dans la Nintendo 64 permettait à l’époque une connexion à une vitesse incroyable de 28,8 kb/s… difficile de s’imaginer qu’une si faible vitesse a bien existé un jour.
Selon Masanori Tanaka, président du service online Randnet, le 64DD devait proposer une console virtuelle NES. Bien en avance sur son temps puisque celle-ci arrive avec la Wii deux générations plus tard !
Résumons :
- Cartouches réinscriptibles (le périphérique pouvait lire la ROM tout en écrivant dans la partie RAM)
- Capacité de 64 mégas (8 fois plus que Super Mario 64)
- Horloge interne permettant de gérer en temps réel les jours, les nuits et les saisons
- Comprenait le réseau RanDetDD permettant de faire des mises à jour (DLC ?)
- La console est « hot-swappable » (un jeu peut tenir sur plusieurs cartouches)
- Date de sortie tardive (imaginez un périphérique repoussé de plus de 2 ans)
- Quasi tous les jeux prévus annulés ou reportés sur d’autres consoles (N64, Gamecube, etc)
- Abandonné un an plus tard (en décembre 2000)
- le service RanDet arrêté le 28 février
- En tout et pour tout seulement 9 jeux sortis
Le Nintendo 64DD est une extension qui avait de quoi faire rêver, et dont la plupart des fonctionnalités sont reprises sur les machines d’aujourd’hui. Elle correspond à un élément central dans la philosophie du N64 dont les jeux devaient être conçus pour être jouables mais permettre des ajouts. L’accumulation des retards entraînera malheureusement le désintérêt d’une part des joueurs envers le périphérique et d’autre part celui des studios de développement, au profit des next-gen.