Le jeu vidéo, à qui appartient-il ? #01 – propriété intellectuelleCapsule Technique

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Le jeu vidéo, à qui appartient-il ? #01 : PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE


PETIT HISTORIQUE :

Le Statute of Anne (ou Copyright Act) de 1710, conservée aux archives du Parlement de Grande-Bretagne

Le droit d’auteur (en raccourci de « droit de la propriété intellectuelle », avant d’en faire une distinction) commence a être légiféré en Angleterre par le « Statute of Anne » en 1710, qui protège la reproduction de l’œuvre du propriétaire des droits, sur 14 ans. En France, après la Révolution de 1789 et l’abolissement de l’ensemble des privilèges, des lois paraissent en 1791 et 1793 sur le droit d’auteur et, là encore, à propos de la protection sur la reproduction d’œuvre artistique durant toute la vie de l’auteur ainsi que pour ses héritiers jusqu’à 5 ans après sa mort.

Autant dire que le « droit d’auteur » a une longue histoire. Dans cette longue histoire, on retiendra qu’au fil du XXe siècle et de l’apparition des nouvelles technologies, comme le jeu vidéo, dans une société mondialisée de l’information, de nouvelles facettes de ce droit d’auteur et de la propriété intellectuelle toquent à la porte de la législation. Le Droit doit évoluer avec son temps et lorsqu’il prend du retard, la jurisprudence agit en précurseur. C’est-à-dire les actes des Cours et des Tribunaux qui ont dû prendre des mesures fermes souvent là où le Droit n’est, ou n’était, pas encore parfaitement clair.

 

LE DROIT D’AUTEUR À LA FRANÇAISE

Pour la France, une loi du 11 mars 1957 a commencé à statuer sur les œuvres de l’esprit tant que l’œuvre est « de caractère original » et elle liste les typologies d’œuvres (livres, conférences, œuvres de cinéma, de dessins, de photographies, ou encore de logiciels dans un cadre précisé). Mais une affaire a éclaté autour de l’entreprise ATARI, en conflit avec l’entreprise française VALADON*. Celle-ci a été accusée par Atari, dans les années 80, de produire des contrefaçons de ses jeux. La Cour d’Appel de Paris refuse de reconnaitre, en 1984, une protection d’ « auteur » sur les jeux vidéo, puisque ceux ci ne sont pas des « œuvres de l’esprit » mais un produit industriel comme un autre, se fondant donc sur la loi de 1957 où le logiciel « jeux vidéo » ne fait pas partie des exceptions protégées de droit d’auteur. La Cour de Cassation arrête le 7 Mars 1986 la cassation et l’annulation de la Cour d’Appel et envoi l’étude de ce cas devant une assemblée plénière. On retient de cet arrêt du 7 mars 86 que les jeux vidéo, classé comme « logiciel », sont reconnus comme ayant une valeur de création intellectuelle. De ce fait, ils sont protégés par le droit d’auteur.

Millpac de Valadon

Centipede de Atari. A voir notre Capsule Temporelle sur cette merveille : https://www.culture-games.com/capsule-temporelle/centipede-the-girl-touch

Une grande étape vient d’être franchie.

Une deuxième étape est passée en 2009 sur une affaire conflictuelle entre la SACEM, et l’entreprise CRYO**. Cette dernière était accusée d’utiliser dans ses jeux vidéo des musiques créés par des membres de la SACEM sans, d’une part, avoir jamais demandé d’autorisation et d’autre part de n’avoir jamais rétribuer les « auteurs » des musiques. Mais comment reconnaître un droit sur la musique intégrée dans un jeu vidéo ? La Cour de Cassation a considéré que :

Le jeu vidéo est une œuvre complexe qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle, quelle que soit l’importance de celle-ci, de sorte que chacune de ses composantes est soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature.

(Civ. 1ère, 25 juin 2009, pourvoi n° 07-20387)

« Versailles 1685 : Complot à la cour du Roi Soleil », un jeu de Cryo pour lequel Sophie Révillard intente un procès car elle n’est pas mentionnée sur la jaquette comme l’auteure de l’intrigue. Le TGI de Paris lui donne raison en juin 2002

extrayant alors le jeu vidéo de la catégorie des « logiciels » non pas pour le mettre dans une case à part (on attend toujours celle-ci) mais en admettant qu’en tant qu’œuvre complexe, le jeu vidéo devra répondre des droits d’auteurs correspondants à chacune de ses composantes : la musique, le scénario, les cinématiques, la partie technique/logiciel, etc.

Et ce n’est pas le seul point important de cette affaire. Il y a aussi une grande discussion sur la spécificité qu’entend « œuvre complexe » par rapport à la création collective et/ou de collaboration de l’œuvre qu’est le jeu vidéo.

 

A QUI APPARTIENT UNE « OEUVRE » DE GROUPE ?

La loi est claire à ce sujet, une œuvre collective est la propriété de la personne sous le nom duquel est divulgué ou diffusé l’œuvre. C’est à dire qu’un jeu diffusé par une entreprise, celui-ci est bien la propriété de ladite entreprise. A lire les articles L113-2 et L113-5 du Code de la propriété intellectuelle ci-dessous :

Article L113-2
Est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques.
Est dite collective l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé.

Article L113-5
L’œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée.
Cette personne est investie des droits de l’auteur.

(Code de la propriété intellectuelle, loi 92-597 1992, publiée au JORF le 3 juillet 1992 : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGITEXT000006069414)

 

Mais il existe aussi l’œuvre dite de collaboration. Celle-ci a la spécificité de garantir les droits de coauteurs à toutes les personnes participantes à la création artistique/intellectuelle.

Article L113-3
L’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs.
Les coauteurs doivent exercer leurs droits d’un commun accord.
En cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer.
Lorsque la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun peut, sauf convention contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à l’exploitation de l’œuvre commune.

(source identique)

 

DIFFÉRENCE ENTRE OEUVRE COLLECTIVE ET DE COLLABORATION

Alone in the Dark, le monument de l’histoire du jeu vidéo. Imaginez un peu si H.P. Lovecraft réclamait des droits ? l’horreur !

Le 8 septembre 2016, le Tribunal de Grande Instance de Lyon*** a rendu un jugement très important et complexe. A l’occasion du projet d’adaptation en film des jeux Alone in the Dark, la société ATARI a vendu les droits d’exploitations de la licence à LIONSGATE. Un des développeurs de l’époque du 1er Alone in the Dark en 1992, Frédérick Raynal, a vu là une violation de ses droits d’auteur car il n’a jamais autorisé de un l’exploitation du jeu et de deux la vente de la licence et il condamne ATARI a lui verser une rémunération conséquente. ATARI a pour sa défense le fait que l’œuvre étant de nature collective, la société est pleinement propriétaire du jeu et ne reconnait pas la qualité d’auteur à Raynal en ce qui concerne son travail sur le gameplay.

Le tribunal de Lyon juge plusieurs choses : d’une part elle reconnait à Frédérick Raynal son état d’auteur sur le jeu mais uniquement de la partie logiciel en ce qui concerne le Gameplay. Et ATARI est propriétaire de l’œuvre, notamment des « droits patrimoniaux » sur la partie logiciel (c’est-à-dire c’est elle qui est maitresse de l’exploitation, de la diffusion, etc.). D’autre part, après une étude de la documentation de l’entreprise, dont les comptes-rendus de réunion, le tribunal acte qu’Alone in the Dark est une œuvre de collaboration et non collective : l’entreprise n’a pas tenu son rôle de management et de direction du travail et cette dernière semble plutôt avoir été faite par collaboration des différents acteurs et développeurs.

 

Pour en revenir à l’ « œuvre complexe », dans le cadre du jeu vidéo, et sur la base de cette jurisprudence, on peut en conclure que le jeu vidéo n’est pas une œuvre unique mais bien le travail d’une multitude et d’une pluridisciplinarité d’acteurs et d’auteurs, le jugement de 2009 s’est vu ré-appliquer en 2016 sans coup férir. Ainsi le jeu vidéo, en attendant d’autres cas et/ou une évolution de la loi, se confronte à la spécificité législative du droit d’auteur de tous les genres qui compose l’ensemble de l’œuvre vidéo-ludique. De plus, pour empêcher tous les problèmes, l’idée est d’acter sur les droits de chaque collaborateur par un contrat, une convention ou autre preuve tangible, de la répartition des droits (le terme « convention » et « preuve » apparaissant dans les articles de lois cités ci-dessus).

Logo de WIPO

A charge, ainsi, pour les entreprises et les nombreux acteurs développeurs des jeux vidéo, aujourd’hui en 2024, d’être au fait de ce sujet pour être transparent sur la propriété intellectuelle des œuvres et le départage des droits d’auteurs. Chacune et chacun a à sa portée un outil précieux écrit par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (WIPO en anglais), une des agences spécialisées des Nations Unies : Mastering the Game: Business and Legal Issues for Video Game Developers – A Training Tool****.

 

Nous aurons l’occasion d’explorer ces chapitres ensemble durant les prochains mois.