Le Krach de 1983 dans l’industrie du jeu vidéoCapsule Temporelle

Rédigé par

 

LE KRACH DE 1983 DANS L’INDUSTRIE DU JV


Retour sur l’un des moments les plus sombres de l’Histoire du jeu vidéo : le Krach de 1983 qui a bien failli mener cette industrie naissante à sa perte.

Quand on parle de l’Histoire du jeu vidéo, on pense généralement au retrogaming ou aux différentes personnalités qui ont fait son succès. Tout ça c’est génial, mais le constat est là : au-delà de ces axes alléchants, peu d’historiens du jeu vidéo parlent finalement en profondeur des périodes et moments charnières de son industrie. Il est temps de réparer cette injustice en revenant sur l’un des épisodes les plus sombres de la jeune vie de notre média favori : le Krach de 1983.

Le jeu vidéo à beau briller de toute part en 2023 et avoir dépassé les recettes de l’industrie très lucrative du cinéma, son destin aurait pu être tout autre. Il y a tout juste 30 ans, en 1983, à l’époque où l’art noble du jeu vidéo en était encore à ses balbutiements, une succession d’événements a bien failli enterrer cette jeune industrie. Petite remise en contexte : prenons la Delorean et revenons ensemble dans les années 70…

 

UN PEU DE CONTEXTE POUR COMMENCER…

Suite aux succès de jeux comme Pong, Space Invaders, Break Out ou encore Galaxian, le marché du jeu vidéo est en pleine expansion. Pour contrer le monopole de l’Arcade, de nombreuses entreprises de jeux et de jouets vont se lancer dans la production de consoles de salon, de micro-ordinateurs et dans le développement de jeux. L’une des machines les plus marquantes de cette époque n’est autre que l’Atari 2600, sortie en 1977. La même année, c’est le premier micro-ordinateur populaire qui débarque, l’Apple II, de la firme à la pomme nouvellement fondée.

 

L’Atari 2600, la console 2eme Génération de référence

 

À cette époque, la concurrence n’est pas encore ouverte et seuls les constructeurs de consoles sont autorisés à produire et éditer leurs propres jeux pour en tirer tous les bénéfices. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que d’énormes marges ont été faites dans la mesure où les studios, Atari en tête, ne rémunéraient pas ses programmeurs en fonction du succès de leurs jeux. Comprenez par là que peu importe les bénéfices tirés d’un titre ou d’un autre, la rémunération pour le dev sera toujours la même. Comble de cette situation grotesque, les noms des créateurs ne sont même pas mentionnés dans les crédits du jeu et seule la société éditrice en récolte les éloges.

Face à ce manque cruel de reconnaissance, quelques programmeurs quittent le navire Atari pour créer le premier éditeur tier de l’histoire du JV en 1979 : Activision (à qui l’on doit entre autres la licence Call of Duty). Dans le but de se faire une place sur le marché naissant du JV, Activision tente un procès contre Atari afin d’obtenir le droit de développer des jeux sur l’Atari 2600 contre l’avis du constructeur. La nouvelle société gagne le procès et son verdict fera jurisprudence. Désormais, afin de favoriser la concurrence et d’éviter tout monopole, n’importe quel éditeur tier aura la possibilité de développer un jeu sur n’importe quelle console. Une riche idée sur le papier, mais qui ne tardera pas à entraîner des dérives…

 

UN MARCHE DU JEU VIDEO EN PLEINE EXPANSION

Grâce à cette ouverture au marché nouvellement permise, de plus en plus de constructeurs vont alors se mettre à proposer des consoles de salon et autres micro-ordinateurs.  C’est bien simple, dès la fin des années 70 / début des années 80, tous les constructeurs d’électronique ou de jouets veulent prendre part à ce nouvel eldorado. Si l’Atari 2600 domine complètement le marché des consoles de deuxième génération, on trouve également dans son sillage, l’Intellivision de Mattel,  l’Odyssey de Magnavox, la Philips G7000 de Philips, la ColecoVision de Coleco ou encore la Vectrex de MB et ses dessins vectoriels pour ne citer qu’elles.

 

L'Intellevision de Mattel, la principale concurrente à l'Atari 2600

L’Intellevision de Mattel, la principale concurrente à l’Atari 2600

 

Face à la multiplication des supports, les éditeurs captent le  bon filon et ne tardent pas à se multiplier. Résultat, de plus en plus de jeux vont déferler sur le marché puisque tout le monde se met à porter leurs titres sur n’importe quelle console. Une aubaine pour les joueurs me direz-vous ? Ah ah ah, que vous êtes mignons…

En effet, comme il fallait s’y attendre, à l’aube de la décennie 1980, de nombreuses machines vont se retrouver inondées de jeux. Le problème étant qu’en produisant des titres à la chaîne uniquement pour la rentabilité, les softs s’avèrent la plupart du temps médiocres, pour ne pas dire honteux. Pire encore, la plupart de ces studios sans scrupule se contentait juste de produire des copies bas de gamme de jeux à succès. Parmi tous ces titres au rabais, on voit même émerger toute une gamme de jeux pornographiques, dont le plus connus reste le très controversé Custer’s Revenge que vous connaissez forcément et dont on vous épargnera les images.

Et qu’en pensent les joueurs dans tout ça ? Et bien à force d’être pris pour des consommateurs naïfs et des vaches à lait, ils ont commencé à se montrer méfiant à l’égard de l’industrie du JV. La faute à cette avalanche de mauvais jeux, les éditeurs ont progressivement perdu en crédibilité et leur image s’est retrouvée écornée. Les cas les plus parlants de ce phénomène de frénésie incontrôlée de l’industrie restent assurément les jeux E.T. et Pac Man de l’Atari 2600.

 

Pac-Man sur Atari 2600, ça pique les yeux…

 

E.T sur Atari 2600, le pire jeu vidéo de tous les temps ?

LES DESASTRES PAC-MAN ET E.T. SUR ATARI

En 1982, pour tenter de redresser la barre et regagner la confiance du public, Atari va choisir d’adapter un grand succès de l’Arcade sur sa machine : Pac-Man. Malheureusement, leur version de hit de Namco s’avère complètement rushée. Le jeu a beau être jouable, les graphismes sont affreux et ruinent totalement l’expérience de jeu. Certains diront que critiquer les graphismes sur un jeu de cette époque revient un peu à tirer sur l’ambulance, mais non. Cette version du personnage rond comme un ballon et plus jaune qu’un citron est tout bonnement inexcusable.

Leur deuxième tentative ne sera pas mieux puisqu’ils vont carrément salir le film E.T. l’Extraterrestre de Steven Spielberg, fraîchement sorti en salles. Heureux d’avoir obtenu les droits d’exploitation de la licence, les développeurs d’Atari vont se heurter à un problème de taille. Face à l’urgence du calendrier qui exige que le jeu soit prêt pour les fêtes de Noël, il n’aura droit qu’à six semaines de développement. Une période dérisoire quand on sait qu’à l’époque, il fallait des mois, voire des années déjà pour concevoir un titre. C’est sans surprise que le jeu sera une catastrophe manette en main. Il est même considéré par certains historiens du 10eme art comme le pire jeu vidéo de tous les temps.

La suite de cette histoire est connue : malgré ses 7 millions de cartouches vendues, il en restera 5 millions à écouler. Des cartouches qui seront enterrées dans une décharge désertique du Nouveau-Mexique et scellées sous une dalle de béton. Un épisode de la série Netflix « High Score : l’âge d’or du gaming » sorti en 2020 revient d’ailleurs sur les coulisses de la conception calamiteuse du jeu E.T. pendant que le documentaire Atari : Game Over  se consacre davantage sur cette histoire longtemps considérée comme une légende urbaine, mais finalement bien réelle des millions de cartouches enfouies dans les profondeurs du désert. Le flop d’E.T. sur Atari 2600 fut tel qu’il est encore aujourd’hui considéré comme le principal déclencheur du krach de l’industrie du jeu vidéo en 1983.

 

Des cartouches deterrées de E.T sur Atari 2600, principal responsable du krack de l’industrie du JV en 1983,

 

Pour l’expliquer, il faut savoir que les Etats-Unis sont soumis à une règle commerciale stricte qui stipule qu’en cas d’invendus, les produits doivent être immédiatement retournés aux sociétés éditrices en échange d’argent destinée à financer de nouveaux titres. Or, l’offre de jeux complètement saturée couplée à la demande de plus en plus faible des acheteurs va totalement faire s’effondrer le marché et entraîner dans sa chute la faillite de nombreux éditeurs. Atari, qui détenait à elle seule 80% du marché des jeux console en 1979 est acculé par le gouffre financiers que représentent les échecs cumulés de Pac Man et E.T. et va finir par tout bonnement s’écrouler.

 

LES CONSEQUENCES DU KRACH

Puisque les jeux sont vendus au rabais afin d’être écoulés au plus vite, ne nombreux éditeurs dans le sillage d’Atari vont se retrouver en faillite. Malgré quelques tentatives désespérées de certains constructeurs pour rester en vie, le marché des consoles est au plus bas avec 900 millions de chiffre d’affaires en 1984, soit entre 3 et 4 fois moins que deux ans plus tôt. De plus, avec la démocratisation progressive des micro-ordinateurs qui prennent de plus en plus de parts de marché, les consoles de salon n’ont plus vraiment le vent en poupe. Paradoxalement, l’Atari 2600 va tenir le coup jusqu’en 1991 et reste encore aujourd’hui l’une des consoles à la longévité la plus longue dans l’Histoire du jeu vidéo. Comme quoi…

À noter cependant que l’impact de cet effondrement est à relativiser puisqu’il n’a finalement eu lieu qu’aux Etats-Unis. Dans nos vertes contrées européennes, la crise n’a pas eu lieu puisque le temps que les machines et les jeux débarquent chez nous (je vous parle d’un temps où il pouvait y avoir plusieurs années de décalage entre les sorties sur les différents continents.), la tempête était déjà passée. Ouf.

C’est finalement sous l’impulsion des constructeurs Nintendo et SEGA que l’industrie finira par se relever. Quelques semaines après l’effondrement, les deux firmes japonaises sortiront simultanément la Famicom et SG-1000 le 15 juilllet 1983. Cette date marque le début d’une Guerre des Consoles mythique qui durera jusqu’à la fin des années 90. Mais ça bien sûr, c’est une autre histoire !

 

La Famicom de Nintendo et la SG-1000 de SEGA, ces conssoles qui ont sauvé l'industrie du jeu vidéo

La Famicom de Nintendo et la SG-1000 de SEGA, ces consoles qui ont sauvé l’industrie du jeu vidéo