J’ai toujours considéré le fait de prendre des risques dans le développement d’un jeu comme quelque chose de vital. Vital dans le sens où c’est l’originalité de cette construction qui viendra déterminer presque entièrement le plaisir que l’on aura à y jouer. Par originalité, ou prise de risque, je n’entends pas forcément « invention du concept de la mort qui tue » ; ce que je veux dire c’est qu’un développeur qui croit en son trip et est conscient de ses défauts, même si il est aussi répétitif qu’une bonne vieille partie de Tétris sur le trône, va tout faire pour l’assumer, le légitimer, et le faire passer de la manière la plus fluide possible. C’est le cas par exemple du troisième épisode de la série Persona.
On a Persona et Persona 2 qui sont, pardon aux bobos, loin d’être des monuments du JRPG en dépit de leurs scénarios dantesques. Le troisième épisode est tout aussi répétitif que les deux premiers, le côté dungeon-crawler est à peine caché, mais l’enrobage est beaucoup plus soigné avec l’apparition d’une dimension sociale/upgrade qui fait passer la pilule beaucoup plus facilement. Même si le jeu est tout aussi chiant par moments que ses deux (trois pour exact) prédécesseurs, il n’en reste pas moins une tuerie parce qu’on ne s’y ennuie jamais. Ça s’appelle le talent.
Fate/EXTRA ressemble beaucoup à Persona 3, au premier abord. Mais Fate/EXTRA c’est une belle démonstration de ce qu’aurait été Persona 3 s’il avait été fait sans risque, sans passion, sans que les développeurs de chez Atlus ne posent leurs « balls » sur la table et assument leur délire. C’est un peu la chronique de ce qu’il ne faut pas faire dans un jeu vidéo si derrière -ou plutôt devant- on n’a pas ce qu’il faut là où il faut, cas d’école.
Sacré Graal !
Pourtant Fate/EXTRA partait vraiment bien, je suis sincère, je ne dis pas ça pour faire le mec qui ne veut pas tournebouler le jeu pendant toute la longueur du papier. Le jeu est un dérivé de Fate / Stay Night, la visual novel érotique la plus vendue au monde, qui met en scène une sorte de remake de la quête du Saint Graal dans une réalité alternative (oui). L’univers scolaire et le pitch écrit sous LSD m’ont de suite attiré, et si il y a bien une qualité qui pousse à terminer le jeu, c’est celle-là. Dans Fate/EXTRA, on incarne un étudiant (ou une étudiante) un peu paumé(e), celui que personne n’aime et ne connait vraiment. Dans la vie de tous les jours ça donnerait le geek solitaire assis au fond à droite de la classe ou la petite grosse avec des boutons que tout le monde bolosse dès le lundi matin, histoire de renforcer l’identification au personnage. Concept japonais.
Il ne faudra pas bien longtemps pour se rendre compte que quelque chose cloche, une boucle temporelle ce n’est en effet pas tout à fait normal (sobre). Ce fait établi (compter environ 1h30 de dialogues) nous voilà projetés dans une réalité alternative où l’on va – enfin – pouvoir prendre part à la recherche du Graal. Concrètement, c’est une sorte de Hunger Games Battle Royale où les étudiants du lycée s’entretuent pour qu’il ne puisse en rester qu’un. Celui-ci pourra alors poser ses mains sur l’objet tant convoité, et verra n’importe lequel de ses souhaits exaucé. Ce n’est cependant pas l’anarchie, tout est placé sous l’autorité d’une IA : le SE.RA.PH qui veille au grain et au respect des règles et codes de cette petite sauterie.
Les différents adversaires s’affrontent en duel à la fin de chaque semaine pour déterminer lequel des deux aura la possibilité de continuer l’aventure ; de 128 au départ, il faudra rester le dernier debout. Lors de cette confrontation, vous ne serez pas seul, l’originalité du jeu vient du fait d’être accompagné d’un Servant, réincarnation d’une entité légendaire ayant marqué de par ses actes l’Histoire de l’Humanité (Francis Drake, Jeanne D’Arc, Sangoku, Tony Vairelles). Chaque étudiant étant un « Master », c’est vous qui donnerez les ordres à ce personnage puisqu’il combattra le Servant adverse lors de cette fameuse rixe, le perdant se condamnant lui-même ainsi que son propre « Master » à être effacés par l’IA.
RPG pour BB
Un des parti pris qui m’a le plus gêné dans ce jeu est l’absence de véritable progression ou customisation, non seulement de soi-même, puisque seul notre équipement pourra être changé (modifiant simplement une petite quantité d’attributs comme les MP, ou quelques sorts que l’on pourra lancer) ; mais surtout de son Servant, notre unique impact à son égard sera la possibilité de régler le niveau de ses caractéristiques de base (Attaque, Défense, Magie, etc …). C’est très light pour un jeu console, ce qui passe aujourd’hui allègrement sur les sorties iPhone/Android ne peut être appliqué à un jeu avec un minimum d’ambition. Autre chose gênante, le déroulement même de l’aventure. Globalement, le scénario est bien écrit, et c’est d’ailleurs ce qui m’a séduit de prime abord.
Mais, quand au bout de trois heures de jeu tu saisis que son architecture même va reposer sur une répétition de phases conversation-donjon-conversation-donjon, il y a un problème. Quand tu te rends compte que ces donjons, « l’Arène », où tu dois t’entrainer et récupérer des objets toute la semaine avant le duel, sont une succession de labyrinthes sur plusieurs étages se répétant à l’infini, tu pleures. Le moment où tu constates que les ennemis que tu croises dans ces couloirs sont tout le temps les mêmes, mais avec des couleurs différentes, tu te dis finalement que même les RPG 8 bits étaient plus variés. Ce qui me donne une sacrée nausée, quand même.
Alors d’accord, il y a quelques subtilités, comme le fait de pouvoir enquêter sur l’identité réelle et la classe du Servant que l’on va devoir affronter (Saber, Archer, Rider, Berserker …). Ce qui aura pour conséquence d’augmenter un niveau de « Matrix » permettant de prévoir ses attaques lors du Grand Soir. Mais les à-côtés s’arrêtent là, tu vas discuter pour découvrir l’identité du gusse avant sa réincarnation, puis vas friter une mouche rouge dans un donjon aux murs orange. Et bis repetita … Pendant au moins 20 à 30 heures. Et pourtant, tout ceci n’est rien en comparaison du vrai défaut du jeu. Je parlais de Persona 3, qui faisait glisser sa répétitivité par un gameplay convainquant hérité de la base même des MegaTen, ainsi que par ses multiples à côtés.
Pierre, Papier, Ciseau !
Le souci de Fate/EXTRA c’est que, un, il n’a pas d’à côté. Sauf si vous pensez qu’ouvrir des coffres dans un donjon fluorescent digne d’un concert de Jean-Michel Jarre peut être considéré comme une quête annexe. Deuxièmement, le jeu n’a pas de gameplay. MER IL ET FOU ? Pas exactement, le principe des combats dans ce jeu repose sur le Chi-Fou-Mi. Oui. Pour être plus précis, chaque tour de jeu, vous donnez jusqu’à six ordres à votre Servant. Ces ordres sont :
– Attack
– Break
– Guard
Chaque commande va en battre une, mais sera donc, en contrepartie, vulnérable à l’autre. On peut donc résumer la situation comme suit :
– Attack bat Break
– Break bat Guard
– Guard bat Attack
Et voilà, vous savez tout sur le jeu et son système de combat !
Le joueur choisit les six prochaines actions de son Servant en tentant de deviner celles qui seront utilisées par l’ennemi, pour le battre le plus rapidement possible. La plus grande subtilité du jeu étant d’apprendre les patterns des mobs pour qu’ils ne constituent plus une menace. Si certains ne posent pas franchement de soucis, d’autres sur un coup de malchance peuvent vous envoyer droit vers le Game Over en à peine un tour. Autant dire que j’ai déjà vu mieux au niveau du calibrage de la difficulté dans un jeu de rôle. Pour revenir au fait de découvrir l’identité du Servant adverse par le biais de la Matrix, cela permet de pouvoir anticiper au mieux ses futures attaques et donc de se faciliter la tâche lors du combat.
Sois belle et tais-toi !
Un des points sur lequel le jeu ne déçoit cependant pas, c’est sa réalisation. Rien de transcendant pour de la PSP en fin de vie toutefois, mais la partie technique est satisfaisante avec des effets vraiment chiadés en combat et surtout un character-design très réussi, et je pèse mes mots. On sent clairement sur ce genre de choses que le jeu était à la base une visual novel. Peut-être aurait-il dû le rester. Je ne m’attarde volontairement pas sur le level-design catastrophique. Au début je trouvais ça original, pour ne pas être méchant, mais au bout du cinquième donjon d’affilée au look pratiquement identique, j’ai frisé la dépression. La bande son est quant à elle clairement en retrait, avec un ou deux thèmes qui se laissent écouter, mais globalement on est très loin des ténors du genre : Shoji Meguro peut dormir tranquille, la relève concernant la bande son d’univers steampunk n’est pas prête d’arriver.
On parle parfois d’actions à montrer dans toutes les écoles de football, Fate/EXTRA est clairement un jeu vidéo à faire essayer à tous les apprentis développeurs. Sur la boite, trois mots, en rouge : « NEVER DO THAT ! » Pourtant, il y avait matière à obtenir un résultat sympathique, le pitch de départ complètement barré, l’écriture du scénario en lui-même vraiment bien fichue, l’univers scolaire. Bref, pas mal de choses rappelant que Persona 3 a probablement été pris en modèle par Type-Moon lors du développement. Malheureusement copier sans talent, ou sans envie, sans réussite, parce qu’une erreur peut arriver à tout le monde, ça ne donne pas un chef d’œuvre. A réserver aux fans de Fate / Stay Night, même si dans ce cas là j’ai également beaucoup de mal à imaginer comment s’y amuser.
L'avis général
- Un vrai talent d'écriture
- L'ambiance complètement surréaliste
- Pas vilain
- Répétitif ...
- Aucune profondeur de jeu
- Progression sans subtilité
- Finalement le level design d'un Call of Duty, ce n'est pas si mal