La création d’un jeu indépendant à travers Angry VulkanCréation et métiers du jeu vidéo

Rédigé par

L’explosion des productions indés et les success-stories de leurs créateurs laissent rêveurs de nombreux joueurs qui se penchent de plus en plus vers des plateformes telles que Steam Greenlight ou les stores mobiles afin de se lancer dans l’aventure. Pour étudier ce phénomène et constater les pièges à éviter, nous avons fait appel à une équipe qui a réussi l’épreuve que peu de gens parviennent à dépasser : terminer le projet. Nous nous sommes donc entretenus avec les gars du studio Wopidom à l’occasion de leur premier jeu mobile : Angry Vulkan. Ils nous ont livré leur façon de travailler et nous ont permis de relever quelques points indispensables pour tout passionné qui voudrait se lancer dans la création de jeux.

la-creation-dun-jeu-independant-a-travers-angry-vulkan-001Angry Vulkan est un projet porté par cinq personnes. Le studio (et éditeur) du jeu, Wopidom, a été fondé en 2012 par Rodrigo Laiz et Pilo, deux illustrateurs argentins. Ils ont donc fait appel dans un premier temps à David Martins et Romain Grau, tous deux développeurs passionnés de jeu, ainsi qu’à Mathieu, venu se greffer plus tard pour gérer le marketing autour de l’application. Il ne s’agit pas de la première réalisation de Wopidom, basé en France, à Paris, qui a déjà produit plusieurs jeux Flash pour des clients américains et français. Mais voilà, l’ambition des deux Sud-Américains devient très vite de développer quelque chose qui ne serait pas uniquement une commande calibrée pour plaire au marché et qui serait calquée sur un produit déjà populaire, mais bien de se faire plaisir avec la direction artistique et le game-design. Le premier projet du duo est un jeu de quiz sur Facebook qui s’avère trop complexe et trop coûteux à mettre en place et s’embourbe rapidement. Heureusement, cet échec est une expérience intéressante pour Wopidom qui parvient à en tirer les enseignements pour sa nouvelle production, Angry Vulkan. Mêlant mémorisation, rythme, dextérité et scoring, le jeu se dirige naturellement vers le support mobile.

Chercher des talents

la-creation-dun-jeu-independant-a-travers-angry-vulkan-007

Un des évènements de la Global Game Jam 2012

Tout d’abord, sachez que très peu de gens sont capables de tout faire sur une production de jeu. Il faut donc accepter de ne pas être seul et oser se tourner vers les autres. Par ailleurs, une formation spécialisée dans le jeu vidéo n’est pas forcément obligatoire. Rodrigo et Pilo ont par exemple fait une école d’art en Argentine. Rodrigo est ensuite venu en France pour travailler dans un studio qui s’est reconverti dans le casual gaming sur Facebook tandis que Pilo, resté dans son pays d’origine, a été embauché en tant que freelance par cette même société qu’ils ont quittée il y a trois ans pour fonder Wopidom. Romain s’est formé au graphisme au sein de Secteur13, un collectif de freelances avant de s’intéresser au travail du développeur et de changer de voie en apprenant en autodidacte. Au sein du collectif, il a participé à la création de sites de jeux de type Prizee. David a quant à lui fait un bac+5 en intelligence artificielle et bases de données. S’il n’y a pas de lien spécifique avec le jeu vidéo, sa formation lui apporte tout de même une bonne connaissance de différents langages informatiques et, si Angry Vulkan n’utilise pas d’IA, son expérience sera probablement un plus par la suite. Romain et David se sont connus et ont commencé à travailler ensemble sur différents projets web avant l’aventure Angry Vulkan.

Un jeu c’est souvent la rencontre de plusieurs talents.

L’idée du jeu est venue de Rodrigo et Pilo qui ont décidé d’utiliser le moteur de jeu Unity pour le projet. Cet outil est devenu très populaire grâce à son accessibilité et sa possibilité d’exporter sur tous les supports. Il n’y a pas besoin de réinventer la roue et s’aider d’un moteur permet d’implémenter des fonctions sans avoir à repartir de la base à chaque fois. La compatibilité de Unity avec la plupart des fichiers existants en fait également une solution de choix pour les graphistes, les game designers, les sound designers, etc. C’est notamment grâce à cela que tout le monde est entré en contact. Rodrigo et Pilo cherchaient de nouveaux développeurs et ils se sont donc intéressés à la communauté Unity ainsi qu’à ses forums et ses meetups. La difficulté est de trouver des gens qui acceptent de travailler de façon bénévole tout en étant sérieux, dans un monde où la majorité cherche à créer un nouveau Final Fantasy ou un nouveau Zelda. Ayant eux-mêmes constaté l’intérêt du programme qui est aussi de plus en plus utilisé par les grands studios (comme Blizzard pour Hearthstone), David et Romain cherchaient de leur côté un petit projet pour se faire la main sur Unity et pourquoi pas rencontrer des partenaires pour de plus gros projets à l’avenir.

la-creation-dun-jeu-independant-a-travers-angry-vulkan-006

Unity3D

Quel que soit le poste qui vous intéresse, surveiller les forums et se rendre aux rassemblements peut être bénéfique puisqu’il y aura forcément des personnes ayant besoin de vos compétences et de ce que vous avez à apporter. Il ne faut d’ailleurs pas hésiter à communiquer clairement et ne pas rester dans la peur de se faire voler son idée par des personnes mal intentionnées. Si le projet est réellement révolutionnaire, autant démarrer par quelque chose d’autre. Si le réaliser est vraiment impossible pour vous, autant la partager et faire avancer quelqu’un d’autre. Avant de se lancer sur une aventure de plusieurs mois, il vaut mieux s’essayer à travailler sur des projets beaucoup moins importants. Les Game Jam sont ainsi un excellent terrain d’essai puisqu’il s’agit de réunions de passionnés de jeux qui se défient dans un concours de création durant un ou deux jours. Apprendre à connaître la façon de travailler des autres est essentiel donc autant le faire sur de courtes sessions avant de s’engager à moyen ou long terme. La persévérance est primordiale et chaque projet est un investissement conséquent duquel il faut avoir conscience avant de se lancer dans une telle aventure. Le manque de motivation des uns peut facilement déteindre sur les autres. Il ne faut pas démarrer à la légère puis laisser sur le carreau ses collaborateurs sous peine de les décourager.

Penser Gameplay

la-creation-dun-jeu-independant-a-travers-angry-vulkan-contenu-002La première variable importante lors de la conception de son premier jeu est l’ambition. Se lancer dans une nouvelle aventure, c’est s’exposer à une multitude de problèmes qu’il faudra dépasser par la volonté de persévérer. Il faut donc trouver une idée dont la réalisation serait assez motivante. Toutefois, la majorité des jeux amateurs s’écroulent à cause de la trop grosse ambition de départ. Comme la littérature conseille de commencer par la nouvelle avant de s’attaquer au roman ou le cinéma au court-métrage avant le long, il ne sert à rien de vouloir commencer par un RPG de 200 heures. Pour cela, rien ne vaut un mini-jeu au concept intéressant. Utiliser de nouveaux outils, avec des gens que l’on ne connaît pas forcément très bien… il y a beaucoup trop d’inconnues pour se permettre de ne pas s’assurer de ses bases. Ainsi, il faut tout d’abord penser en fonction des capacités de l’équipe. Prévoir un projet trop ambitieux sans maîtriser les coûts qui découlent de celui-ci conduira inévitablement à l’échec ou à un dépassement du budget. Quizdom, le premier projet plus personnel de Wopidom est resté en développement deux ans avant d’être abandonné. Il est par ailleurs possible de sortir une première version jouable tout en prévoyant des fonctions qui pourront être ajoutées par la suite si les joueurs sont intéressés.

L’idée est surtout pour les jeunes structures de plaire aux joueurs en ne privilégiant pas le joueur qui paye.

Même s’il ne se retrouvera pas au milieu des gros cartons de fin d’année, un projet ne doit pas oublier les joueurs. Il ne s’agit pas seulement d’en apprendre plus sur la création de jeu, la programmation et le design, l’occasion est également parfaite pour s’essayer à la recherche sur ceux qui un jour utiliseront vos productions. Il est très difficile d’avoir du recul sur sa propre idée, non pas forcément pour des raisons personnelles, mais parce que l’on comprend forcément le fonctionnement de ses mécanismes, voir les réactions d’autres personnes est toujours bénéfique. Dans le cas d’Angry Vulkan, Wopidom n’avait pas réalisé assez de prototypes. Ainsi, lors de la sortie de la première version, les retours n’étaient pas toujours positifs. Si un gameplay peut sembler marcher dans votre esprit, ce n’est pas forcement le cas dans la réalité, que ce soit à cause des changements nécessaires suite à des obstacles rencontrés lors du développement ou non. Il ne faut donc pas hésiter à faire plusieurs prototypes, sans travailler leurs graphismes : simplement avec des formes géométriques. Peu importe le visuel, si les personnes qui testent ces versions d’essai ne se prennent pas au jeu, il y aura un gros travail de remise en question à faire un jour ou l’autre. Pareil en cas d’hésitation sur la direction à prendre, faire plusieurs prototypes peut aider à choisir de façon plus tangible.

la-creation-dun-jeu-independant-a-travers-angry-vulkan-contenu-003Faire un jeu demande d’avoir un concept intéressant. Le jeu réalisé doit donner envie d’y jouer et encore plus doit apporter de la satisfaction aux joueurs (que ça soit par la frustration à cause de la difficulté bien maîtrisée, du fun apporté par le gameplay ou de l’intrigue). Ainsi, réfléchir très tôt au modèle économique est important puisqu’il participe entièrement à l’expérience de jeu. Concernant Angry Vulkan, Wopidom a très rapidement décidé d’en faire un free-to-play et non pas un pay-to-win. Une trop grande volonté de gagner de l’argent peut rapidement frustrer le joueur. Que ce soit par un rapport qualité-prix déséquilibré dans le cas d’un jeu payant ou de sanctions pour les joueurs qui ne payent pas dans le cas d’un jeu gratuit. Un jeu indépendant se répand principalement grâce au bouche-à-oreille, la satisfaction du joueur est donc essentielle. Les achats in-game doivent donc servir à accélérer la progression des uns sans pour autant freiner celles des autres. Beaucoup de jeux, comme Angry Vulkan, se servent aussi de la publicité. L’intérêt est double, bien entendu, il s’agit de percevoir l’argent de ces pubs mais aussi de proposer une version ou une option payante pour s’en débarrasser. Wopidom conseille donc de commencer à un taux de publicité très faible puis d’augmenter si les autres gains ne permettent pas de s’approcher de la rentabilité.

Garder les pieds sur terre

la-creation-dun-jeu-independant-a-travers-angry-vulkan-contenu-005Si la proximité géographique des membres de l’équipe ne fait jamais de mal, elle n’est pas absolument nécessaire non plus. Angry Vulkan en est la preuve puisque le jeu a pu être terminé alors que les cinq membres sont éparpillés (Paris, Lyon, Bordeaux, la Réunion et même l’Argentine) et qu’un d’entre eux ne parle pas français. L’essentiel est la communication et l’organisation : on peut se situer dans la même pièce et ne pas avancer pour autant parce que l’on passe ses journées sur Mario Kart. Pour ce projet, la taille réduite de l’équipe a permis une répartition des tâches simple et logique, tirant parti des compétences de chacun. Pour l’organigramme, le choix effectué était celui de l’égalité la plus totale entre chacun. Lorsque tout le monde s’implique de la même manière, ce fonctionnement démocratique améliore le moral de tout le monde, puisque l’avis de chacun est pris en compte. Il peut néanmoins fortement ralentir le projet en augmentant la durée des débats et celle de la prise de décision. Ainsi, Wopidom a décidé pour ses prochaines aventures de nommer un référent qui, sans être le chef, pourra trancher plus rapidement.

Pour avoir beaucoup de téléchargements, iOS est quand même la plateforme mobile par excellence.

De telles entreprises étant dans la majorité des cas non-rémunérées, il faut trouver le bon équilibre entre ce que l’on demande et la souplesse accordée pour le faire. Wopidom a donc utilisé une organisation inspirée de la méthode Scrum. Chacun a un objectif fixé ainsi qu’un temps limité pour l’accomplir. L’équipe d’Angry Vulkan se réunit chaque semaine sur Skype pour faire le point sur les objectifs terminés ou en cours et déterminer les missions pour la semaine suivante. La communication informelle orale ne suffit pas pour l’organisation d’un projet, tout comme les mails seuls. Il faut donc mettre en place des moyens de communication tels qu’un forum ou un groupe privé sur Facebook pour assurer la fluidité des échanges et l’accès de tous aux messages non-privés. Des outils d’organisation sont également nécessaires pour la clarté de l’organisation et du projet. Il peut s’agir d’un simple Google Doc commun ou d’un système plus spécialisé tel que Trello. Le tout repose sur la transparence, la confiance et l’auto-gestion. Il dépend donc fortement du sérieux de chacun, d’où l’intérêt de faire d’autres exercices de travail collectif avant de se lancer. C’est grâce à tout cela que la première version d’Angry Vulkan a été réalisée en deux mois, puis deux autres pour prendre en compte les retours des joueurs et sortir la deuxième version.

la-creation-dun-jeu-independant-a-travers-angry-vulkan-contenu-004Le gameplay amène le support. La longueur des parties et la complexité de la maniabilité déterminent les machines qui peuvent l’accueillir. Si viser une sortie console est plus prestigieux, les attentes des joueurs sont beaucoup plus élevées -tout comme les coûts. Des outils comme Unity permettent d’exporter relativement facilement un jeu vers n’importe quel support, mais le budget n’est pas forcément le même.  Que ce soient les kits de développement ou les licences, tout ceci est à prendre en compte. Sortir une application sur iOS demande par exemple le logiciel Xcode et par conséquent un Mac. Si les campagnes de financement participatif sont de plus en plus répandues, elles ne sont pas une solution de facilité puisqu’il faut pouvoir répondre plus tard aux attentes des investisseurs, ce qui ajoute une pression considérable alors qu’une jeune équipe n’a pas encore l’expérience requise. Elle nécessite également un réel effort de communication. La publication du jeu ne marque d’ailleurs pas pour autant la fin de l’aventure puisqu’il faut désormais penser au marketing. Chaque membre de Wopidom a vu plusieurs projets terminés disparaître à cause du manque de communication autour du produit, et ce indépendamment de sa qualité. Il est donc plus que conseillé de se renseigner et de rechercher une personne capable d’aider dans ce domaine, comme Wopidom l’a fait avec Mathieu.

Et Angry Vulkan dans tout ça ?

Angry Vulkan est un jeu au délicieux look rétro, disponible sur iOS et Android. Son principe est simple : le volcan proche du village est très énervé, il faut donc aider les villageois à lui fournir les offrandes qu’il exige. Pour cela, il faut appuyer sur les touches qui apparaissent à l’écran et ainsi terminer la combinaison avant la fin du temps imparti. L’intérêt de la chose est son absence de fin de niveau qui permet le scoring. Le meilleur est celui qui va le plus loin alors que le rythme est de plus en plus effréné. Le jeu a bien entendu un classement mondial sur lequel on se jette après chaque partie pour voir sa position. Il s’agit plus d’un jeu de rapidité qu’un jeu de rythme puisqu’il n’y a aucune mélodie à suivre et Angry Vulkan aime installer le joueur dans une routine avant de le prendre à contre-pied. Plusieurs sets d’offrandes sont à disposition mais il ne s’agit pas d’un simple changement visuel puisque le nombre de touches utilisées ainsi que la difficulté évoluent selon le type sélectionné. Mention spéciale au set Japon aux très sympathiques clins d’œil. Les ensembles peuvent s’obtenir soit par le score (atteindre un certain chiffre permet d’avancer), soit par la persévérance (le jeu comptabilise aussi le nombre total de combinaisons réussies), soit tout simplement via les achats in-app. Bref, le jeu addictif par excellence.

Retrouvez Wopidom sur Facebook et Twitter.

Retrouvez Angry Vulkan sur iTunes, Google Play, Facebook et Twitter.

Et n’hésitez surtout pas à noter le jeu sur les marchés !