L’évolution des pads #03 – La croix directionnelleCapsule Technique

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L’évolution des pads #03 : LA CROIX DIRECTIONNELLE


On poursuit notre série sur l’évolution des pads avec l’une des premières grandes innovations de l’Histoire du jeu vidéo : la croix directionnelle.

Se déplacer dans un jeu vidéo est sans doute la commande la plus basique et intuitive du média. Aussi évidente soit cette mécanique, celle-ci n’aurait sans doute jamais été possible sans l’invention et l’intervention de la croix directionnelle. On l’appelle aussi parfois manette + ou D-pad pour l’abréviation de directional pad. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un contrôleur multidirectionnel en forme de signe plus « + », que l’on retrouve sur toutes les manettes de jeu modernes, mais aussi anciennes.

Qui dit croix directionnelle dit quatre boutons assignés à chacune des quatre directions cardinales. Comme les premiers joysticks, la grande majorité d’entre elles est numérique. On entend par là que seules ces directions peuvent être employées, sans valeurs intermédiaires. Pour s’élancer en diagonale quand un jeu le permet, il suffit simplement de combiner deux directions – haut et gauche par exemple. Tout ça, vous le savez certainement déjà et c’est assurément à Nintendo que vous le devez.

 

UNE INVENTION BREVETÉE PAR NINTENDO

En effet, la première croix directionnelle est apparue en 1982 avec la version Game and Watch de Donkey Kong. Il existait bien un précurseur au D-pad sur la console Intellivision de Mattel sorti en 1980, mais celui-ci ressemble davantage à un contrôleur circulaire tenant compte de seize directions. Une sorte d’hybride entre la croix directionnelle et le joystick en somme. On trouve également une variante de cette croix sur l’Entex Select-A-Game, un jeu électronique fonctionnant avec des cartouches, à la différence que les quatre boutons directionnels de celle-ci étaient non reliés.

 

Le Game & Watch Donkey Kong en 1982 : la première croix directionnelle de l’Histoire !

 

Encore une fois, si tout cela nous paraît aujourd’hui être une bête évidence, il est certain que cette idée ne sort pas de nulle part. Si jusqu’alors les jeux Game & Watch ne demandaient que des déplacements horizontaux de gauche à droite, lorsque les aventures du gorille sont arrivées dans nos mains, elles demandaient au joueur de se déplacer dans les quatre directions. Pour palier à la problématique, Gunpei Yokoi a initialement pensé au joystick, mais a vite abandonné l’idée. D’abord parce que ce type de pad était trop gros, mais aussi parce qu’il aurait empêché le modèle Multiscreen de se fermer. Il a bien tenté le prototype du mini joystick, mais avec la technologie d’époque, l’aspect miniature du stick le rendait trop fragile.
Loin de vouloir se laisser abattre, l’inventeur des G&W a tenté de le consolider avec une rondelle en plastique, mais en vain. De plus, celle-ci combinée au mini stick ressemblait surtout à un téton. Plutôt bof pour l’image très grand public et enfantine de Nintendo vous en conviendrez. Pour l’anecdote, la ressemblance était telle que de nombreux cadres de Nintendo avaient affectueusement nommé la machine « Oppai gata kontorolâ », autrement dit le « contrôleur en forme de nichon ». On apprend cela dans le volume 2 de L’Histoire de Nintendo publié aux éditions Pix N’ Love.
Le joystick ne marchant pas, il fallait donc trouver une autre alternative. C’est ainsi qu’il eut l’idée lumineuse d’utiliser quatre petits boutons, un pour chaque direction. Pour autant, ne trouvant pas le mécanisme assez intuitif au premier abord, un éclair de génie lui souffla de combler le vide entre les boutons afin de les relier entre eux et permettre ainsi que le joueur sente parfaitement dans quelle direction il appuyait, cela sans qu’il ait besoin de regarder ou lever son pouce. Voilà comment la fameuse croix directionnelle made by Nintendo est née.

 

d-pad bouton plus game & watch donkey kong

La fameuse croix directionnelle magnifiquement zoomée

 

Après cette petite révolution de Big N, on aurait pu s’attendre à ce que tous les constructeurs concurrents leur emboîtent le pas. Sauf que non puisque les petits malins, sachant qu’ils tenaient entre leurs mains l’avenir du jeu vidéo, ne se sont pas gênés pour breveter leur invention. Cela ne surprendra personne dans la mesure où derrière l’image familiale, casual, grand public et gentillette de Nintendo, se cache l’une des entreprises les plus protectionnistes de l’histoire du jeu vidéo. Qu’il s’agisse d’apposer un logo Nintendo Seal of Quality sur ses premières cartouches ou d’être intransigeant concernant les droits d’exploitation de ses licences par autrui, l’entreprise japonaise reste l’une des plus virulentes en matière de propriété intellectuelle.

Résultat, le D-pad traditionnel de Nintendo a pendant plus de 20 ans été sous exploitation unique de la firme de Kyoto. Ce qui veut dire qu’aucun autre n’avait l’autorisation de recréer une croix directionnelle identique à celle des manettes des consoles Nintendo, sous peine de subir de lourdes poursuites judiciaires. Ce n’est qu’en 2005, 23 ans plus tard, que le copyright a pris fin. La Xbox 360 est d’ailleurs la dernière machine de l’histoire dont la manette n’arbore pas une croix directionnelle sous forme de « + ».

 

Le fameux brevet déposé par Nintendo en 1982 pour sa croix directionnelle

 

Mais vous n’êtes pas sans savoir qu’il existait des pads avec des touches directionnelles avant même 2005. Et là, vous vous demandez sans doute comment diable la concurrence a-t-elle fait pour contourner le brevet sans subir le courroux des avocats de Nintendo ? Et bien tout simplement parce qu’il existait une faille dans celui-ci. En effet, puisque Nintendo a joué sur l’exhaustivité du modèle, il suffisait pour les autres constructeurs d’imaginer un système suffisamment différent de celui de base pour contourner le problème.

En regardant le brevet de plus prêt, on s’aperçoit que si le D-pad de Nintendo a la forme d’un « + », c’est parce qu’il repose sur un socle circulaire caché sous la coque, avec une boule qui ressort en son centre. Pour se différencier, les autres constructeurs ont donc pris Nintendo à contre-pied en optant à l’inverse pour une croix directionnelle incrustées dans un cercle visible sur la manette.

Vous comprenez maintenant pourquoi les manettes des consoles SEGA Master System et Megadrive, Nec PC Engine, Amstrad GX4000, TurboGrafx, Xbox première du nom et tant d’autres ont des croix incrustée dans un cercle moulé. Si vous pensiez que ce choix ne relevait que d’un point de vue esthétique ou budgétaire, vous savez désormais que la raison principale à cela était de passer outre le brevet déposé par Nintendo.

 

 

Bien entendu, tout le monde n’est pas parti sur un cercle et d’autres consoles tentés de nouvelles approches. On peut citer par exemple la Commodore CDTV qui a abandonné le principe de croix en un bloc au profit de quatre boutons séparés. C’est également ce qu’a fait Sony avec sa première Playstation, tout en retirant le disque sous la partie visible de la croix. Dans un autre registre, SEGA, pour sa Dreamcast, a développé une croix à première vue identique à celle de Nintendo. Cependant, son système diffère bel et bien en interne puisque plutôt que de placer la boule qui permet l’équilibrage de la croix sur la croix elle-même, la firme de Sonic l’a placée sur son support qui possède les récepteurs des directions. Ce n’est pas grand-chose, mais cette stratégie a bel et bien suffi pour contourner le brevet.

 

L’énorme manette de la Dreamcast et son système ingénieux de croix directionnelle (Crédits : nfgworld.com)

 

Heureusement pour tout le monde, après l’expiration du fameux brevet en 2005, Nintendo a fait le choix de ne pas le renouveler, laissant ainsi la concurrence libre de reprendre son modèle historique de croix directionnelle. Depuis tout le monde a suivi le mouvement pour le plus grand confort des joueurs. Pour autant, cet alignement de l’industrie sur un modèle unique de d-pad signifie-t-il qu’il faut faire une croix sur de futures nouvelles formes de la manette plus ? Rien n’est moins sûr.