The Gamechangers ne change pas les mentalitésTransmédia

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Le Royaume-Uni connaît une crise du numérique et, pour former de nouveaux techniciens, la télévision publique consacre son année 2015 à l’initiative « Make It Digital ». Comme dans les années 80 quand la BBC avait commercialisé l’ordinateur BBC Micro, le but est de démocratiser l’accès aux nouvelles technologies afin de créer des vocations chez le public. En plus de rappeler l’illustre contribution de l’Archipel Britannique à l’informatique (Alan Turing, Sir Tim Berners-Lee, Ada Lovelace,…), les chaînes du groupe mènent leur campagne de communication en proposant des programmes tels que The Gamechangers, une fiction sur la guerre opposant Rockstar, et plus particulièrement Sam Houser, à Jack Thompson, l’avocat anti-jeux vidéo. Malgré sa faible importance (un téléfilm de deuxième partie de soirée sur la chaîne secondaire de la télévision publique anglaise), le programme a tout de même fait parler de lui grâce à son sujet sulfureux, son casting prestigieux et la levée de boucliers du studio à l’origine des Grand Theft Auto.

Le match du siècle

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Le point culminant de ce téléfilm particulièrement plat.

Dans les faits, l’intérêt de la production est limité. L’action se déroule entre la sortie de GTA: Vice City (2002) et la fin de l’affaire Hot Coffee (2006). Il s’agit d’une histoire de destins croisés comme il en existe beaucoup, à la différence près qu’elle passe totalement à côté de son sujet. Ce thème joue sur l’anticipation de la réunion des deux personnages mais, ici, ils sont tout simplement dans deux films parallèles et déjà vus. Chacun parle de l’autre en le décrivant tel qu’il l’imagine et la seule rencontre se fera par hasard dans la foule – ils échangent un regard en se demandant si l’autre est bien celui qu’ils pensent être. Le téléfilm est basé sur les témoignages de certaines personnes et sur les rapports de justice, au point de donner l’impression que les acteurs n’ont pas eu de script mais les rapports directement, mais avec des erreurs puisque la production assume les libertés prises avec la réalité.

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S’il est supposé être le grand frère autoritaire, Houser (à droite) passe plus pour le petit dernier capricieux.

D’un côté, nous avons Sam Houser, patron de Rockstar, joué par un Daniel Radcliffe qui tente toujours de se détacher de son rôle d’Harry Potter. Avec lui, on se situe dans The Social Network (ou dans la plus récente série Halt and Catch fire) : il est un visionnaire qui refuse toute concession et maltraite ses employés. Dans la première partie du film, il cherche à repousser les limites de ce qu’il a pu faire en créant GTA : Vice City. C’est un artiste qui veut que le jeu vidéo s’approche de la maturité du cinéma, domaine qu’il admire plus que tout. Il cherche à transcender à la fois le jeu vidéo mais aussi l’art lui-même grâce à l’interactivité. Cela passe notamment par la présence de la sexualité dans son jeu, qui déclenche la seconde partie du film avec la polémique du mod Hot Coffee, qui permet d’accéder à ce contenu pourtant bloqué dans le jeu. Dans son rôle, Radcliffe n’est pas très convaincant malgré lui. Si l’acteur ne démérite pas, c’est au niveau du casting que ça pose problème. Le spectateur peut avoir du mal avec ce Harry Potter barbu et surtout avec le fait qu’il s’agisse du plus vieux de la bande, et ce même si les autres acteurs sont clairement plus âgés.

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Jack Thompson (à droite) qui s’est occupé du repas et récite désormais le bénédicité avec sa famille.

À l’opposé se situe Jack Thompson, avocat conservateur qui se sent investi par Dieu lui-même de la mission sacrée de bannir tout ce qui pourrait choquer la morale, que ce soit la sexualité, la violence ou le rock, campé de façon impeccable par Bill Paxton, dont la filmographie ne saurait être résumée ici. Avec lui, on est dans Erin Brockovich, il est dans le combat judiciaire du pot-de-terre contre le pot de fer et lutte contre l’armée d’avocats puissants afin d’obtenir justice après qu’un jeune de 17 ans, Devin Moore, ait abattu trois personnes dont deux policiers. Ce dernier ayant déclaré « La vie est un jeu vidéo. Tout le monde doit mourir un jour ou l’autre. ». Comme il a joué à GTA : Vice City, il n’en faut pas plus pour convaincre l’avocat que le jeu vidéo est dangereux. La justice est toujours contre lui puisqu’il ne parvient jamais à argumenter, les avocats de la défense trouvant toujours un moyen de lui mettre des bâtons dans les roues en utilisant des détails techniques. Contrairement à Sam Houser qui pousse à bout et éloigne ses collaborateurs, Thompson est un bon père de famille, soutenu jusqu’au bout par sa femme tandis que son fils, victime des autres jeunes qui défendent le jeu vidéo, vit moins bien la situation.

Le cul entre deux chaises

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Dire que le téléfilm rend Jack Thompson sympathique serait tout de même exagéré.

C’est là que se situe le problème du film : à trop vouloir se baser sur des documents juridiques, il ne prend jamais parti. Chez le clan Rockstar, il y a eu un embargo total sur la production du téléfilm qui n’a donc pas eu accès aux documents de travail ou aux employés, quand Jack Thompson a bien entendu été plus qu’heureux de participer. On se retrouve donc dans une œuvre chargée de donner envie aux gens de créer des jeux vidéo mais dont la majorité du contenu vient de leur plus célèbre opposant. Dans les faits, quand la scène se situe du point de vue du créateur, Houser est un artiste qui a le droit de s’exprimer peu importe l’argent à la clé tandis que l’autre est un intégriste religieux. Quand on passe du côté opposé, Thompson est le défenseur de la jeunesse face à des britanniques venus pervertir la jeunesse américaine. Ainsi, chacun peut regarder le téléfilm sans que ses préjugés ne soient bouleversés. Ils ne se répondent jamais, Thompson lutte pour que les jeux violents ne tombent pas entre les mains des mineurs et Houser se contrefout totalement de cela. Le film ne veut déplaire à personne, l’avocat réunit une équipe d’experts capables de prouver la dangerosité des jeux vidéo, la justice estime que, n’ayant pas vu le meurtrier, leurs arguments ne méritent pas d’être entendus.

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« Vous pouvez me faire confiance, j’ai eu mon doctorat dans une pochette surprise. »

On aurait pourtant aimé plus de contestation scientifique. Lorsque Thompson fait appel à un neurologue, ce dernier démontre que la violence graphique stimule la partie du cerveau responsable du stress. Comme le débat n’a pas lieu, à aucun moment cet argument n’est remis en cause. Certes, voir de la violence n’est pas la meilleure des choses mais montrer une image du film Scarface pour déduire qu’il faut interdire les jeux vidéo violents ne semble pas être la méthode scientifique la plus rigoureuse. Le téléfilm affiche clairement qu’il n’est pas d’accord avec ceci mais en refusant toujours de le montrer comme faux. Ainsi, même dans les traditionnels derniers moments de ce type d’œuvre, les phrases écrites avant le générique qui indiquent le futur des protagonistes, un premier message indique que, de nos jours, aucune étude sérieuse n’a établi de lien entre les jeux vidéo et les comportements violents. Mais, directement en dessous, on nous indique que le débat reste ouvert, pour ne choquer personne. Rien ne sonne vrai et la faute en revient à un manque visible de substance. Il ne se dégage aucune complexité à la fois dans le monde du jeu vidéo, dans la création et dans la lutte de Jack Thompson.

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Et moi qui comme un con voulait apprendre à coder pour faire un jeu quand je pouvais fermer les yeux et attendre.

Tout d’abord, l’avocat découvre ici l’existence de jeux vidéo violents alors que, dans la réalité, il avait attaqué l’industrie pour la première fois en 1999 et Rockstar Games en 2003, donc avant l’affaire du film qui date de 2005. De plus, si sa comparaison entre Sony et l’attaque de Pearl Harbor reste, la plupart des célèbres déclarations disparaissent. De l’autre côté, pour une production chargée de donner envie de créer des jeux, la définition de programmation dans le dictionnaire sera plus instructive. Les équipes passent plus de temps à se disputer et à jouer au ping-pong qu’à travailler. Ce qui peut sembler logique puisque si ce sont les bureaux de New-York que l’on voit, le jeu a été fait chez Rockstar North en Écosse, qui, au passage, n’a pas apprécié l’oubli de sa contribution au jeu mais aussi à la saga qu’il avait créée sous son ancien nom de DMA Design. Le tout sonne juste puisqu’on retrouve l’importance de la classification d’un jeu par l’ESRB ainsi que ses conséquences, le fait qu’il vaut mieux avoir son propre moteur de jeu. Mais cela ne reste que de l’exposition et, quand on voit les gens travailler, c’est via un simple « hard work montage » qui fait la part belle à la capture de mouvement hasardeuse tandis que Sam Houser voit le jeu comme s’il était Neo dans Matrix. Pour l’échelle de temps, ce n’est même pas la peine d’espérer puisque l’histoire d’Houser débute le 27 octobre 2002 tandis que celle de Jack Thompson débute en juin 2003 : le téléfilm se fait répondre des scènes qui ne semblent pas être dans le bon ordre chronologique. Le temps que Rockstar fasse son jeu, Jack Thompson écrit une intervention dans le lycée de son fils qui doit toujours avoir lieu dans quelques jours.

L’effet Meuporg

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Le saviez-vous : vos prières ont plus de chances d’être entendues si vous êtes sur un terrain de golf.

Si le programme vise l’équilibre, les joueurs peuvent sentir un traitement de faveur pour le camp Thompson. L’avocat se la joue Jésus en tendant la joue droite aux jeunes qui le harcèlent pour ses positions puisqu’il estime qu’ils sont les plus grandes victimes de l’affaire. Le tout pendant que sa femme martèle qu’il est un envoyé de Dieu. Chose que l’on peut considérer comme concrétisée puisque n’ayant pas pu freiner la sortie de San Andreas, il fait une prière pour demander de l’aide : ce qui arrive une scène plus tard avec la découverte d’Hot Coffee. L’homme a ses démons et reconnaît qu’il agit par haine de Rockstar mais on ne peut pas comparer ses coups de colère durant lesquels il envoie un mail injurieux et il tape dans une balle de golf et ceux de Sam Houser qui jette des objets sur ses employés, les insulte et les vire. Les héros des deux personnages ne sont pas plus brillants puisque si l’avocat cite Batman et Eliott Ness, Sam Houser vénère Don Simpson, producteur de Top Gun, Bad Boys ou du Flic de Beverly Hills. Ce dernier est surtout connu pour sa consommation sans limite de drogues, de prostituées et de chirurgie esthétique.

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« Maintenant je présente une émission de jeux mais avant j’étais sur Gulli. »

Le début est particulièrement violent dans le déséquilibre. Rockstar fête le succès de Vice City dans l’opulence avec voiture de luxe et concours du plus gros mangeur jusqu’à en vomir, Jack Thompson est le père de famille idéal et attentionné et Devin Moore joue au jeu le regard vide et la bave qui lui coulerait presque de la bouche avant d’aller faire son carnage. Carnage qui, bien entendu, n’est jamais officiellement lié au jeu vidéo dans le fond, mais quand même filmé avec les mêmes placements de caméra que dans les GTA en trois dimensions. Le plan sur le joueur abruti est également le même pour l’autre joueur montré, celui qui modifie le jeu pour dévoiler Hot Coffee, qui ne mérite pourtant pas le même traitement que le meurtrier. Même sort également pour les médias spécialisés, puisque le seul média non-généraliste visible montre un blaireau qui hurle, danse et saute dans tous les sens devant un fond psychédélique,  pour montrer que San Andreas est top génial et qu’on peut tuer des gens. Les employés de Rockstar sont quant à eux pratiquement toujours montrés en train de porter des vêtements à la gloire du studio et de leurs créations.

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Ne croyant plus en la justice, Jack Thompson devint Bat-Jésus, un super héros mélangeant ses deux inspirations.

Le constat est le même à la fin : Rockstar se sort de ses ennuis sans problème car il n’y avait pas volonté de diffuser ces séquences, même si elles n’avaient pas à être là, tandis que Jack Thompson est radié du barreau à cause de la vengeance des avocats de Rockstar. Suite à quoi, il reste devant un gros panneau « Justice » avant de partir dans l’autre sens, dans une métaphore aux antipodes du subtil. Soutenu avant cela par Hillary Clinton, il est également réconforté par sa femme qui lui explique qu’il a gagné puisque la loi concernant les jeux vidéo a changé grâce à lui, faisant de lui aussi un « Gamechanger ». Si sa famille termine soudée, Sam Houser est abandonné par Jamie King, l’un des fondateurs de Rockstar joué par Joe Dempsie (Gendry dans Games of Thrones) qui quitte la société, fatigué de la cadence infernale de travail, des pressions politiques et du refus de lui accorder une partie des royalties malgré son statut de fondateur (mais on le rappelle le but est donner envie). Le tout se termine par Houser qui traverse la rue et commence à voler une voiture à la manière de Grand Theft Auto, tandis que les images de synthèse prennent le pas sur la réalité pour devenir un simulacre de jeu, puis conduit à toute vitesse en écrasant les piétons tout en fuyant la police.

Délit de fuite

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Les temps sont durs pour Harry Potter qui doit désormais voler des voitures pour survivre.

Le bilan est donc mitigé, une fois de plus le jeu vidéo n’en sort pas grandi mais il ne s’agit pas d’une œuvre à charge. Le téléfilm d’Owen Harris abuse des clichés sur les deux camps sans tenter de les concilier. Il ne s’agit pas vraiment d’un biopic vu le nombre important de raccourcis et d’inexactitudes qui rendent la lecture de quelques articles beaucoup plus utile que ce visionnage pour en savoir plus. Il échoue aussi dans son rôle de fiction vu le manque de confrontation directe entre les deux personnages, et même sa valeur documentaire sur la création de jeu est nulle, puisque ces scènes sont une succession de « On doit trouver un moyen de faire ça » suivie quelques minutes plus tard de « Ça y est, on l’a fait. ». Pour finir, il faut signaler que le film a été réalisé avec l’aide de l’Open University qui propose même, pendant le générique, des cours gratuits de programmation et d’initiation aux nouvelles technologies dans le cadre de l’initiative BBC Make It Digital, signe qu’il s’agit plus là de maladresse dans le traitement du jeu vidéo que dans du mépris pur et simple. Si le traitement caricatural du jeu vidéo n’est certainement pas nouveau dans les médias, il est tout de même dommage de constater que, même lorsqu’ils tentent d’en donner une image positive, le résultat peut être ça.