Préhistoire du Jeu Vidéo #09 – La fin de la Préhistoire et le début de l’Histoire du Jeu VidéoBibliotopie, Capsule Temporelle

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 Préhistoire du Jeu Vidéo #09 : La fin de la Préhistoire et le début de l’Histoire du Jeu Vidéo


 

Visuel de « L’essor des revenus liés aux jeux vidéo 1970-2020 », par Visual Capitalist. Article à lire ICI

 

Nous arrivons à la fin du livre « Préhistoire du Jeu Vidéo », écrit par Damien DJAOUTI aux éditions Pix’n Love, avec sa conclusion. Damien DJAOUTI a fait un travail de recherche incroyable et intense pour sortir ce livre, entre recherches documentaires en bibliothèque mais également dans des archives et en menant des interviews avec certains des auteurs (ou amis et membres de la famille) des jeux présentés.

 

Damien DJAOUTI, La Préhistoire du jeu vidéo, Edition Pix’n Love, Paris, 2019, 128p.

 

Cela a d’ailleurs trois implications intéressantes : en premier lieu, faire de la recherche sur les premiers jeux vidéo est, comme le dit Damien Djaouti, un contre la montre intense car les nombreux pionniers et inventeurs se font vieux et ils auront bientôt tous disparu ; néanmoins, deuxième point, la recherche est dynamique et l’ouvrage de Damien Djaouti n’est qu’un reflet, à l’instant T de son écriture, de l’état de la recherche française sur le thème – le livre ouvre donc des portes et pousse la curiosité des lecteurs à fouiller pour découvrir d’autres choses (on va pas se cacher que c’est exactement ce qu’on a fait…) ; enfin, en troisième lieu, la recherche de Damien Djaouti pose la réflexion sur la définition d’un jeu vidéo avec notamment l’idée que Spacewar! a tout ce qu’il faut à lui pour détrôner Pong dans la culture générale qui met ce dernier comme le « premier » jeu de l’Histoire (pour aller plus loin : lire les pages d’introduction et celles de conclusion du livre de Damien Djaouti).

 

Développons quelques idées, hors des idées et propos que nous avons rapportés de Damien Djaouti, et croisons un peu les destinés des deux jeux, Spacewar! et Pong :

 

Photo de 1973, avec, de gauche à droite, Ted Dabney, Nolan Bushnell, le directeur financier Fred Marincic et Allan Alcorn, source Computer History Museum

 

L’histoire du développement de Pong, chez Atari, par Nolan Bushnell, est, outre très attachée à Spacewar! puisque c’est une de ces adaptations, Computer Space, qui fera exister les bornes d’arcade, une belle histoire née d’un test réussi. En effet, la borne d’arcade Computer Space est présentée en 1971 mais la machine s’avère un peu trop compliquée pour les joueurs. En conséquence de quoi, Nolan Bushnell demande à Allan Alcorn de développer un jeu, le plus simplifiée possible, pour tester quelque chose d’autre à Computer Space : une adaptation d’un jeu de tennis de table avec un point en mouvement, deux raquettes et l’affichage du score. L’histoire de faire un « test » rappelle un peu l’histoire de Spacewar!, qui est de faire parler la puissance de la nouvelle machine que le MIT avait acquis, le PDP-1, en 1961 ; c’est un groupe d’étudiants qui s’est amusé à créer un programme, inspiré de science-fiction, pour tester la puissance et les possibilités offertes par le PDP-1. Le programme est d’ailleurs tellement bien pour cet aspect de « test de performance », qu’il devient le programme-type que l’entreprise DEC dispose sur leur machine pour savoir si, sortie d’usine, cette dernière marche ou pas [voir nos articles 8.1 et 8.2 sur cette histoire].

 

A la Gamescom de 2019, à Cologne, les visiteurs pouvaient jouer à Pong

 

Un deuxième fait, Pong est un jeu informatique qui se veut une adaptation informatique ludique de tennis de table, où les joueurs dirigent une des raquettes des joueurs du tennis de table. Le jeu informatique comme adaptation d’un jeu de sport fait sensiblement écho à d’autres programmes informatiques, comme le programme Tennis For Two de William Higinbotham, de 1958 ; plus proche dans le temps, Pong est inspirée du jeu Table-Tennis de Ralph Baer dans les années 60 quand celui-ci travaille à produire une console de jeux qui donnera plus tard la Magnavox Odyssey en 1972. Spacewar! au contraire à un immense mérite, celui d’être a priori original et le fruit d’un travail de réflexion de fond par tout un groupe, celui des étudiants du MIT épris d’informatique. On peut tout de même imaginer quelques inspirations : le CRT Devise Amusement de 1947 dont l’aspect ludique est de pouvoir suivre la courbe de la trajectoire d’un missile, ou encore du programme Tennis For Two pour les calculs de trajectoires de la balle de tennis. Mais il faudrait en connaître plus sur l’état des connaissances des étudiants du MIT au sujet de tous ces programmes informatiques qui n’ont pas eu énormément de diffusion publique.

 

La première compétition esport de l’Histoire sur Spacewar!

 

Enfin, un point sur la diffusion des jeux : Spacewar! ne connait pas une commercialisation officielle puisque aucun de ses développeurs n’envisage de vendre et d’industrialiser ce programme de jeu, issu du groupe d’étudiants du MIT, qui s’amusait à faire du touche à tout en informatique. Mais le code en open source est diffusé au sein des universités américaines et l’ébullition qu’il fait naitre un peu partout, montre tout de même le potentiel de ce programme informatique. Pensons ne serait-ce qu’aux « Intergalactic spacewar olympics« , comme la première compétition e-sport de l’histoire. L’industrie mondiale n’était peut-être pas encore prête à la déferlante du Jeu Vidéo, ou bien il a manqué à Spacewar! un porteur de projet pour pousser à sa commercialisation, par ailleurs aucun des trois développeurs de Spacewar! ne fera carrière dans l’industrie du jeu vidéo. C’est tout le contraire de Pong : Ted Dabney et Nolan Bushnell passent du temps sur la conception d’une borne d’arcade qui fera tourner leur jeu. Borne d’arcade et programme de jeu seront en fait très liés.

 

Photo de Nolan Bushnell et, à droite, J. Kerrins de Wells Fargo en 1977.

 

Nolan Bushnell va même prospecter des banques et groupes financiers et arrive à décrocher un prêt de 50 000 dollars (par Wells Fargo, qui investit beaucoup dans l’industrie à ce moment-là) au lancement d’Atari et de Pong. L’entreprise Atari peut alors se doter de temps, de moyens et de projets concrets pour commercialiser des jeux et des bornes d’arcade (recrutement en masse de salariés, entre autre choses). En 1973, 2500 bornes d’arcade de Pong sont vendues, en 1974 ce seront 8000 bornes. Puis entre 1974 et 1975, Atari se projette à construire une console de salon sur laquelle jouer à Pong : la Home Pong. Les ventes de cette consoles sont exceptionnelles, quelques 200 000 exemplaires sont vendus sur l’année. Pong de Atari s’est ainsi immiscé par le nombre dans la culture américaine. Le jeu n’est plus réservé qu’aux inventeurs informaticiens, aux universités et aux étudiants et n’est plus un petit jouet de présentation lors d’exposition publique, mais entre dans les maisons, les foyers et toutes les têtes.

C’est surtout ce fait qui démarque Pong de l’ensemble des jeux et programmes informatiques qui ont existé avant lui. Atari a monté et préparé l’industrie et le commerce pour l’adapter aux jeux vidéo ; ou bien à fait l’inverse, a adapté les jeux vidéo à l’industrie et au commerce, à la mass media ?

 

Atari investit beaucoup dans la publicité, avec des spots publicitaires : ici le recto d’un flyers australien de promotion de la console Barrel-Pong, de 1972. Source Museum of The Game.

 

En sortant complètement des propos de recherches purs et neutres de Damien Djaouti, on va se permettre de faire une petite digression et terminer par cette observation qui relève de l’anecdote : Spacewar! était le jeu d’un groupe de jeunes étudiants, bidouilleurs informatiques, fans de science-fiction et innovateurs d’une adaptation ludique d’une bataille de vaisseaux spatiaux, dont le programme a été offert en Open Source à tout ceux qui le voulaient (et étaient capable d’en faire quelque chose…) ; Pong de Atari est un produit industriel et commercial, fruit d’innovations et de travaux de fonds sur les bornes d’arcade puis sur les consoles de salon, mais aussi le fruit d’une entreprise dont des histoires publiques et/ou internes montrent des zones sombres : Atari est au cœur de la crise économique qui touche l’industrie du JV en 1983-1984 (c’est l’histoire du pire jeu vidéo, E.T., qui a produit des invendus ayant des charges fiscales trop lourdes et embarqué tout le marché dans une chute) ; quelques échos parlent d’une période de crunch dans l’entreprise pour tenir toutes les commandes de Pong, et ceux dès les premières années (drogues qui circulent dans l’entreprise ; management toxique/sexiste et harcèlements moraux et des histoires propulsées par #metoo vont faire retirer la nomination de Bushnell à un prix, le Pioneer Award de la GDC en 2018) ; une poignée d’histoires judiciaires de vols de copyright sur des jeux, en commençant par Tennis Table pour Pong ou encore les machinations d’Atari envers Nintendo autour de la puce 10-NES, un certificat de qualité, quelques traits de cette histoire à lire ICI et ICI. Une belle chronique globale sur l’histoire d’Atari, écrite par le média IGN, avec une traduction française est à lire sur le site de MO5 : L’histoire mouvementée de Atari.

 

Le derrière des bornes d’arcade, à gauche de Pong, à droite de Computer Space. Crédit Digital Game Museum

 

A vous de choisir : quel est, entre ces deux jeux, l’ancêtre que vous voulez donner à l’Histoire du Jeu Vidéo ? car, avec le temps, on peut peut-être commencer à se pencher sur la notion de valeur(s) que l'(H)histoire inspire.