Préhistoire du Jeu Vidéo #05 – Tennis for Two ; de la physique nucléaire au tennisCapsule Temporelle

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 Préhistoire du Jeu Vidéo #05 : TENNIS FOR TWO
DE LA PHYSIQUE NUCLÉAIRE AU TENNIS


Cinquième chapitre du livre « Préhistoire du Jeu Vidéo », écrit par Damien DJAOUTI aux éditions Pix’n Love, il est à présent le moment où on ne parle que d’un seul jeu. Il n’est pas question de Spacewar! ni de Pong mais bien d’un monument unique de la « Préhistoire » des Jeux Vidéo, Tennis for Two.

 

TROUVER UN JEU POUR ATTIRER L’ATTENTION (ET DIVERTIR ?)

 

(vidéo produite pour le 50e anniversaire de Tennis for Two, en 2008)

 

William Higinbotham (1910-1994) est physicien américain, il a participé au Projet Manhattan, ayant dessiné les circuits de minuterie de la bombe nucléaire et il a appréhendé avec ses camarades l’utilisation militaire de cette création et a milité, en fondant la Federation of American Scientists, jusqu’à la fin de sa vie pour la non prolifération des armes nucléaires. A côté de cela, travaillant au Brookhaven National Laboratory, il a régulièrement organisé des présentations publiques des différentes recherches du Laboratoire (notamment pour rassurer la population sur le nucléaire). William a observé que ces visites sont trop rigides, pour ne pas dire chiantes, et s’est mis à réfléchir à mettre un peu de divertissement.

 

Schéma de Tennis For Two conservé au Brookhaven National Laboratory

 

Il s’est trouvé qu’en lisant la documentation technique de l’ordinateur Donner Model 30, William a découvert qu’il existe un programme de balle rebondissante qui permet de mettre en avant les calculs internes pour les trajectoires balistiques des objets (appliquée couramment pour des missiles). De là, une idée a germé dans l’esprit du physicien, la balle toute seule se transforme en balle de tennis qui rebondit avec des raquettes qui tapent dedans. Un écran d’oscilloscope est utilisé pour simuler une vue de côté d’un cours de tennis, avec une ligne représentant le filet central. Il y a deux joueurs qui s’affrontent en faisant monter ou descendre leur raquette à l’aide d’un potentiomètre et en appuyant sur un bouton à côté pour frapper la balle au moment où ils le souhaitent, que cela soit près du filet ou bien en fond de court. Le jeu Tennis for Two (nom assez transparent) est né en l’espace de quelques heures, puis le tout est monté en quelques jours par son camarade Robert Dvorak (surnommé Bob).

Le 18 octobre 1958, Tennis for Two est disposé sur le passage des visiteurs. Le succès est immédiat, le jeu retient l’attention, les joueurs restent devant le jeu très longtemps. En conséquence, William fait évoluer sa machine pour proposer en 1959 une version améliorée avec, notamment, un écran plus grand et le jeu propose de simuler des gravités différentes, par exemple jouer au tennis sur la Lune ou sur Jupiter.

 

Une reconstitution de Tennis for Two, pour l’exposition « eGame Revolution » au The Strong National Museum of Play à Rochester en 2017

 

UN SUCCÈS NON ASSUMÉ (MAIS JUSTIFIÉ ?)

Tennis for Two est marqueur d’un grand coup mais le destin, lui aussi très joueur, a failli le faire disparaître de l’Histoire (enfin, Préhistoire, si vous suivez bien). Le fait très original sur ce jeu, c’est qu’il est monté sur une machine fabriquée sur-mesure pour le jeu, tout a été inventé par William Higinbotham et monté pièce par pièce par Bob Dvorak. Le jeu permet en outre de jouer à deux, en versus, et la machine devient pleinement outil du divertissement, ce qui est, là aussi, une certaine nouveauté. Une grosse révolution technologique par rapports à ses compères est la dynamique de l’écran avec l’élément de la balle qui bouge en continue. En revanche, il ne faut pas oublier que l’objectif premier de William était de montrer l’intérêt des recherches en physique et ses applications et implications dans la vie, de ce fait, Tennis for Two n’est pas si différent de ses prédécesseurs (OXO, NIMROD, CRT Devise Amusement, etc.), sauf sur un point essentiel : la machine de William propose un réel divertissement car il a donné du poids au côté ludique. Le potentiomètre et le bouton de frappe, ne seraient-ce pas, par ailleurs, l’ancêtre de la manette de jeu ?

 

Reconstitution de la machine en 1997 par les employés du Brookhaven National Laboratory

 

Pourtant la machine est démontée, avant 1960, et les pièces sont oubliées aux archives ou détruites. Il n’y a pas de Brevet déposé pour le jeu, car son inventeur n’en voyait pas l’intérêt. Intérêt personnel d’abord, ce sont ses recherches en physique qui l’intéressent le plus et Tennis for Two n’est qu’une parenthèse. Une autre raison est donné, on laisse penser aussi que William Higinbotham, trop humble, n’a jamais reconnu l’étendu de son invention qu’il a toujours jugé très proche du programme de la balle rebondissante de l’ordinateur Donner 30. Intérêt professionnel ensuite, le Brookhaven National Laboratory est une institution publique et tout le travail est fait au nom du gouvernement. Personne, semble-t-il, s’est osé à déposer ce Brevet de jeu au nom du gouvernement, ou alors était-ce par souci de refuser que ce soit le gouvernement qui empoche l’argent d’une exploitation commerciale du jeu.

 

Photo de William Higinbotham que certains surnomment le « Grand-Père » du Jeu Vidéo. Chacun fait son propre avis. En réalité le débat autour de ce titre se fait surtout autour de la définition de « jeu vidéo ». Quelques fans le comparent aussi à Thomas Edison…

 

David Ahl qui s’est beaucoup amusé à jouer à Tennis for Two en 1958-1959, ressort de l’ombre du temps cette machine exceptionnelle en parlant d’elle dans les années 70, dans ces magazines Creative Computing et BASIC Computer Games, dont le livre BASIC est le premier livre sur l’informatique à se vendre à plus d’un million d’exemplaires. Le Brookhaven National Laboratory a gardé dans ses archives les plans d’origine du jeu, alors, des employés recréent la machine, Peter Takacs et Scott Coburn, pour la fête des 50 ans du Laboratoire, en 1997. La machine est également en démonstration en 2008, pour la fête de ces propres 50 ans ; en présence de Bob Dvorak, avec son fils et le fils de William, Billy Higinbotham.

Tennis for Two manque de peu d’être oublié car son « utilité » n’était que temporaire, mais paradoxalement, son côté ludique et divertissant l’a fait revenir sur le devant de la scène et le jeu, comme son inventeur, est un monument de l’histoire du Jeu Vidéo.

 

L’installation du Tennis for Two de 1958 au sein du laboratoire est tout à gauche