Spacewar, le premier jeu vidéo ambitieux !Capsule Temporelle
S’il existait déjà des jeux vidéo auparavant, ils n’étaient que des concepts triviaux dont l’utilité première était d’illustrer des travaux scientifiques. Oxo, conçu en 1952 par l’étudiant A.S. Douglas, de l’Université de Cambridge, était un jeu de morpion servant à appuyer la thèse du jeune anglais sur les interactions entre les humains et les ordinateurs. Tennis for Two en 1958, n’est qu’un basique jeu de tennis sur oscilloscope dont la vocation est de divertir les visiteurs lors des journées portes ouvertes du Brookhaven National Laboratory à Upton. Le jeu vidéo, même s’il n’est pas encore connu sous cette appellation a déjà cette dimension ludique censée fasciner le public.
Tout change en 1962 avec le jeu Spacewar (également appelé Spacewar!).
La science avant tout !
La donation de l’ordinateur PDP-1 par la société DEC au Massachusetts Institute of Technology (M.I.T.) joue un rôle déterminant dans la création des jeux vidéo. En 1961 lorsque le M.I.T. en fait l’acquisition, le micro-ordinateur a un prix très bas pour l’époque et Steve Russell est déçu par les premières démonstrations de l’appareil. Il cherche donc, avec un petit groupe de camarades étudiants, des idées de projets à réaliser sur la machine. En tant qu’amateur inconditionnel de romans de science-fiction, Wayne Wiitanen propose rapidement que les éléments à afficher à l’écran soient des vaisseaux spatiaux. L’univers est posé. Il reste maintenant à développer le concept. À l’époque, les capacités des ordinateurs sont encore restreintes et on ne parle absolument pas de game design. Interagir avec les éléments affichés à l’écran est en soit largement suffisant.
Nous avions un tout nouveau PDP-1, un des premiers micro-ordinateurs. Ridiculement peu cher pour l’époque ! (Steve Russell)
Le but du jeu est de détruire le vaisseau de l’adversaire dans une aire de jeu où un soleil prend place au centre et exerce une force gravitationnelle, que les joueurs doivent prendre en compte. Pour cela, les options qui s’offrent à eux sont les déplacements, l’accélération, l’esquive et les tirs de missiles, avec comme subtilité la gestion du carburant et des projectiles, dont le nombre est défini. L’intelligence artificielle n’étant pas du tout d’actualité, il est uniquement possible d’y jouer à deux joueurs.
Le développement débute en décembre 1961 et Steve Russell développe une grosse partie du code, mais d’autres étudiants y contribuent également. C’est notamment le cas de Peter Samsom, qui réalise « l’expansive planétarium », qui permet d’afficher un fond étoilé. Cela paraît anodin aujourd’hui mais à l’époque cela renforce considérablement le réalisme dans un jeu où seuls très peu d’éléments sont affichés en blanc sur fond noir. Martin Graetz travaille sur la fonction « Hyperspace » qui permet d’échapper aux tirs ennemis. Avant ces features, un prototype est réalisé pour permettre de se rendre compte des éléments à améliorer afin de rendre le jeu intéressant. La démarche de création de jeu est très bien appréhendée depuis les débuts de ce média.
Dès le début des travaux, trois problèmes majeurs apparaissent : le placement des boutons sur la console favorise l’un des deux joueurs, qui se retrouve mieux placé par rapport à l’écran, ces boutons se situent bien trop près de l’interrupteur on/off et l’excitation des joueurs en pleine partie fait craindre pour la santé de l’appareil. Une solution est envisagée pour corriger l’ensemble des risques et défauts : il s’agit de réaliser des contrôleurs permettant de jouer à une certaine distance de l’écran. Alan Kotok et Robert A. Saunders qui sont tous deux fans de trains électriques sont les plus à même pour répondre à cette demande.
Le jeu des innovations
En plus d’être l’un des premiers jeux et d’avoir eu un processus de création très cadré, Spacewar englobe un certain nombre de spécificités qui ont été largement réemployées plus tard pour certains genres de jeu. La première version de Spacewar est finalisée en avril 1962. Tout de suite après, ils travaillent sur une version présentable aux journées portes ouvertes, en y intégrant la gestion du score et surtout une limite pour ce dernier, permettant de gérer le temps de jeu des visiteurs. À ce moment, le jeu pose les bases de ce que l’on retrouvera sur Arcade des années plus tard : des parties courtes mais prenantes avec l’envie d’y revenir pour améliorer son score.
Le jeu est techniquement très avancé, à tel point que la société DEC se sert de celui-ci pour vanter les capacités de son ordinateur. C’est le cas à Bedford lorsque J.M. Graetz y tient une conférence sur Spacewar intitulée « Spacewar, Real-Time Capability of the PDP-1 ». Il est amusant de constater que le jeu était dès ses débuts une vitrine technologique, fait que l’on retrouve encore dans les années 2010 où les constructeurs d’appareils mobiles vantent clairement la puissance de leurs smartphones par la présentation de jeux vidéo. Apple en est un parfait exemple.
Les intérêts économiques pour plus tard !
Conformément aux souhaits de ses créateurs, il est distribué librement et se répand dans les universités américaines. Il acquiert une belle notoriété dans les années 60′ grâce à sa richesse et à sa profondeur de jeu pour l’époque. Il est surtout le premier contact avec le jeu vidéo pour une génération d’étudiants qui, pour certains, deviendront à leur tour des créateurs et acteurs majeurs de cette industrie.
La réalisation de Spacewar a été possible par simple désir d’innovation, par attrait pour la technologie et parce que l’occasion s’est présentée grâce au don de DEC. Ce n’est que quelques années plus tard que d’autres créatifs et entrepreneurs verront le potentiel commercial de ce domaine. Ainsi, des visionnaires comme Ralph Baer ou Nolan Bushnell chercheront à rapprocher ces technologies du grand public, à les démocratiser et à en faire le marché économique qu’on connaît aujourd’hui.
Il est bon de rappeler que de nombreux jeux au gameplay proche de celui de Spacewar rencontrent un succès fulgurant dans les années 70′, confirmant par la même occasion que l’équipe de développement du titre avait vu juste en réalisant un jeu qui remplit bien son rôle premier : divertir !
Sources : DECUS 1962, GrosPixels, Le petit livre des Jeux vidéo : tout ce qu’il faut savoir des années 1950 à l’aube du XXI ème siècle. p.10, M.I.T. Museum et GiantBomb.