Women in Games : des femmes dans l’industrie du Jeu VidéoVoxel Libre


WOMEN IN GAMES : OÙ SONT LES FEMMES
DANS L’INDUSTRIE DU JEU VIDÉO ?
Il peut apparaître comme injuste qu’un univers tel que celui du jeu vidéo, loisir pourtant de plus en plus prisé par les femmes, soit si peu représenté par ces dernières. C’est visiblement le même sentiment qui a conduit Audrey Leprince et Julie Chalmette à fonder leur association Women in Games.
JEU VIDÉO : CONSTAT D’UN SECTEUR HISTORIQUEMENT TRÈS MASCULIN
Depuis les premières consoles, les publicités s’adressent essentiellement aux hommes et jeunes garçons. Aujourd’hui encore, le monde du jeu vidéo, et plus généralement celui de la tech, renvoie une image très virile. Le niveau des gameuses reste stéréotypé, et sujet à des attaques fréquentes.
On trouve également très peu de personnalités féminines parmi les créateurs de jeux vidéo. Parmi les grands noms qui ont fait l’Histoire du jeu vidéo, celui de Tramis Muriel fait pour l’instant figure d’exception.
1. Côté industrie, un milieu peu attrayant pour les femmes ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon le Syndicat National du Jeu Vidéo, les femmes représentent actuellement 22% des professionnels du secteur en 2022 et 24% selon Women In Game pour 2023. Chiffres certes encourageant si l’on constate sa progression de façon générale (10% en 2014), mais qui conserve une grande disparité pour ce qui est des spécialités : c’est essentiellement vers les métiers de la communication, du marketing, des ressources humaines et du publishing, que les femmes s’orientent. En ce qui concerne la conception et l’aspect technique telle que la programmation, ce chiffre tombe à 9%.
Côté écoles du jeu vidéo, on compte 26% d’étudiantes, essentiellement orientées vers le Game Art (dessiner les personnages et l’environnement du jeu) plutôt que le Game Design (mécanismes de jeu, programmation, code). Chiffre stable de 2019 à 2022.

Infographie proposée par Women In Games, consultable ici avec une présentation très complète

Ina Gelbert, directrice Xbox France depuis 2019
Comment expliquer ces chiffres ? Au delà de l’empreinte culturelle et des stéréotypes de genre, ce sont les barrières psychologiques qui peuvent freiner l’attrait des femmes pour ce secteur : des comportements sexistes sont régulièrement signalés au sein des studios de jeux vidéo et dans le milieu de l’esport, où règne la ”culture Bro” (voir le livre de Emily Chang « Brotopia » en anglais) : harcèlement sexuel, machisme et discrimination, notamment sur les salaires. Le licenciement de 40 employés chez Activision Blizzard annoncé le 17 Janvier 2021, pour comportements sexuels inappropriés, suite à près de 700 signalements sur les 7 précédents mois, en est une belle illustration. Une insubordination à l’égard des femmes dirigeantes est également observée… obstacle qu’a su franchir avec brio Ina Gelbert, actuelle Directrice de Xbox France !
On retient un autre événement médiatique pour illustrer cette tendance : en 2014, une campagne de harcèlement sexiste, connue sous le nom de “controverse de Gamergate”, cible plusieurs femmes de l’industrie du jeu vidéo, telles que Zoë Quinn et Brianna Wu, développeuses de jeu, et la critique des médias féministe Anita Sarkeesian, allant jusqu’à des menaces de viol ou de mort. Les partisans de cette campagne reprochaient aux médias de favoriser les féministes dans le secteur du jeu vidéo, mais s’illustraient par un cyberharcèlement particulièrement virulent.
La Corée du Sud, sixième marché mondial du jeu vidéo, est aussi particulièrement connue pour faire régulièrement l’objet de comportements anti-féministes envers ses joueuses et conceptrices.

Infographie de Women In Games, déjà citée ci-dessus
L’infographie de Women In Games aborde également le sujet de la présence des femmes dans la création de contenus sur les médias. 11% seulement de ces créateurs sont des femmes et cela s’argumente par la toxicité des comportements en ligne.
2. Côté gamers, des femmes de plus en plus présentes

Manon, streameuse belge, témoigne en 2020 du harcèlement qu’elle a subi.
En France, les femmes représentent désormais 48 % des joueurs réguliers pour l’année 2023, c’est donc une quasi-parité. Pourtant, selon l’infographie de Women In Games, « 4 joueuses sur 10 affirment avoir déjà vécue des situations de harcèlement en ligne« . Ce comportement est subi notamment par les streameuses, où le physique de la joueuse est souvent plus commenté que le jeu lui-même. « J’ai fait quelques petits calculs : en solo, je subis des insultes environ une partie sur trois. », témoigne Nastasia Civitillo, alias Khirya, gameuse et streameuse suisse.

Infographie de Women In Games, déjà cité ci-dessus
Autre stéréotype qui pose problème, les personnages féminins de jeux vidéo pour la plupart hypersexualisés : les cosplayeuses qui veulent être fidèles au modèle, se retrouvent fortement dénudées et subissent sans surprise un comportement misogyne lors des conventions et sur les réseaux sociaux. Par conséquent, certains personnages sont parfois boycottés. Certaines artistes jouent également sur le sous-genre du cosplay, le “crossplay cosplay”, dont le principe est d’incarner un personnage opposé à son genre.

Infographie de Women In Games, déjà présentée ci-dessus
Récemment, une étude menée par l’IFOP (Institut Français d’Opinion Publique) publiée en 2023, intitulée « #MeToo… Is it in the game? – Enquête sur le sexisme et les rapports de genre des amateurs de jeux vidéo », sort 5 chiffres-clés pour donner un aperçu du « climat » et de l’ambiance générale dans laquelle baigne les joueuses :
1 – Les « hardcore gameurs » ont une conception plus sexiste de la virilité que ceux jouant à des jeux plus « grand public » (ex : jeux de casse–tête, etc.). Ainsi, pour les joueurs de jeux de combat, les femmes préfèreraient des hommes imposants « physiquement » (pour 62%, contre 47%), « machos » (pour 40%, contre 26% des non–joueurs de jeux de combat) ou « dominants au lit » (pour 56%, contre 41%).
2 – Les joueurs qui se revendiquent « gameur » s’avèrent aussi plus imprégnés que la moyenne par la culture du viol : 29% des joueurs très fiers d’être « gameurs » défendent le droit « d’importuner une femme », contre 11% des joueurs qui ne se sentent pas gameurs. 21% adhèrent aussi à l’idée que « lorsqu’on veut avoir une relation sexuelle avec elles, beaucoup de femmes disent « non » mais ça veut dire « oui » » contre 11% des joueurs ne se sentant pas gameurs.
3 – Les joueuses sont nombreuses à avoir essuyé injures, menaces ou agressions à caractère sexiste ou sexuel dans leurs interactions sur des jeux en ligne. 40% des joueuses confient avoir déjà été victimes de comportements, d’insultes ou de menaces à caractère sexiste ou sexuel lors de leurs échanges.
4 – Un constat plus alarmant encore dans les genres de jeux typiquement empreints de virilisme comme les jeux de combat. Ainsi, les deux tiers (66%) des joueuses de jeux de combat ont été confrontées à des formes de harcèlement ou de sexisme. 49% disent avoir été la cible de propos obscènes à caractère sexuel (49%), d’insultes et injures sexistes (48%), ou encore d’un refus de jouer avec une femme (35%). Enfin, plus d’une joueuse sur trois (37%) rapporte avoir déjà fait l’objet de menaces d’agression à caractère sexuel.
5 – Et ce climat de violences sexistes n’est sans doute pas étranger à la sous-représentation des femmes dans certains jeux multi-joueurs. En effet, nombreuses sont les gameuses – 40% dans leur ensemble – à avoir déjà mis en place au moins une stratégie d’évitement par peur de remarques désobligeantes, de moqueries ou d’insultes en tant que femme.
Présentation de l’étude sur le site de l’IFOP, et l’intégralité des résultats est consultable et commentée sur le site de GamerTop.
Autant dire que ces chiffres sont plus que bienvenus pour faire cet état des lieux de la situation pour construire ensuite des projets d’améliorations. Women In Games s’y attèle particulièrement.
L’ASSOCIATION WOMEN IN GAMES POUR UNE PARITÉ HOMMES-FEMMES
Les Women in Games s’investissent partout où il est possible d’améliorer l’accueil et la visibilité des femmes dans l’industrie du jeu vidéo. Créée en 2017 et s’inspirant de l’association canadienne d’aide aux femmes du jeu vidéo, Pixelles, l’association française regroupe plus de 2300 membres, pour la plupart des professionnelles du secteur. Présidée depuis 2020 par Morgane Falaize, elle présente un objectif ambitieux : “doubler le nombre de femmes dans l’industrie en 10 ans” !
Le terme de féminisme est pour autant très peu utilisé dans les communications de Women in Games, pour éviter de donner cette image radicale qui en découle souvent, et qui serait fausse. L’idée n’est pas de montrer du doigt ce qui ne va pas mais d’être plus constructif, en accompagnant par le dialogue les acteurs du secteur pour montrer ce qui peut être amélioré.
1. Qui sont les fondatrices de Women in Games ?
Audrey Leprince, développeuse et productrice de jeux vidéo

Audrey Leprince, co-fondatrice de Women in Games
D’abord Game Designer pour le jeu The nomad soul au sein du studio Quantic Dream (Detroit: become human, Fahrenheit, Heavy Rain…), Audrey Leprince poursuit sa carrière en tant que productrice de jeux chez Ubisoft. Forte de cette expérience sur des jeux AAA, elle cofonde en 2010 avec Emeric Thoa le studio The Game Bakers (Haven, Furi, Squids) en veillant cette fois sur toute la chaîne de production.
En 2019, désormais engagée pour les femmes au sein de Women in Games, Audrey co-crée avec Petter Henriksson le micro-fonds international WINGS interactive pour aider au financement de jeux créés par des femmes et minorités.
A noter que l’association Femmes de culture cite son nom parmi les 100 femmes de l’année 2020.
Julie Chalmette, directrice générale de Bethesda France et présidente du SELL

Julie Chalmette, co-fondatrice de Women in Games
Après une première expérience au sein de l’édition littéraire, Julie Chalmette commence sa carrière dans l’industrie du jeu vidéo au sein du groupe Vivendi Games, dont elle devient directrice de la filiale française en 2004. Par la suite, Julie est sollicitée en 2010 pour représenter la branche française, en tant que directrice générale, de l’éditeur américain Bethesda. Depuis 2016, elle est nommée présidente du Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL).
Lors de la Paris Games Week de 2019, le ministre de la Culture lui décerne l’insigne du Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.
2. Les moyens d’action de l’association

Guide pour améliorer la diversité dans les studios et entreprises de jeu vidéo
Women in Games compte plus de 300 intervenantes qui organisent régulièrement des tables rondes et conférences. De nombreuses ressources sont mises à disposition sur leur site, avec notamment un guide Diversité & Inclusion dans les entreprises de jeux vidéo.
Comment encourager concrètement la transition vers plus de parité ? Une priorité est d’aller à la rencontre des employeurs : l’association souhaite sensibiliser les entreprises à l’importance de la présence de femmes dans leurs équipes, au vu notamment de la demande de plus en plus féminine côté clients.
Lors des rencontres, les barrières à l’embauche sont analysées. Des méthodes sont proposées par les intervenantes pour rendre les annonces plus attractives pour les femmes, et des réflexions sont menées sur les biais de recrutement. Les entreprises sont également encouragées à aborder ouvertement avec leurs employés les aspects délicats tels que les inégalités salariales ou la gestion de la problématique du harcèlement.
Afin de favoriser l’orientation et la montée en compétences des jeunes femmes en début de carrière dans le secteur du jeu vidéo, Women in Games apporte son soutien via sa plateforme d’orientation Discord : des professionnels du secteur y sont disponibles pour échanger et conseiller, et des fiches métiers et formations sont mises à disposition. Le site se fait également le relais d’offres d’emploi.
Autres acteurs du changement attendu : les écoles des métiers du jeu vidéo. Comment rendre ces écoles plus accueillantes pour les étudiantes, et mieux les orienter vers les sujets techniques ? En collaboration avec le CNC et les autres représentants principaux du secteur jeu vidéo, une charte égalité a été constituée à leur attention. À partir de cet ensemble de propositions pour plus de mixité, les établissements sont encouragés à constituer au sein d’un groupe de travail leur propre charte, à intégrer à leur règlement.

Autre guide, autre sujet, celui-ci pour aider et sensibiliser à la prévention des comportements sexistes
Pour finir, l’association souhaite asseoir sa présence parmi les gamers, notamment via des émissions sur Twitch, mais également dans le monde de l’esport, par la création d’incubateurs de joueuses professionnelles (League of Legend, Rainbow Six Siege, Valorant). L’idée est d’accompagner grâce à un coaching individuel des joueuses talentueuses pour les propulser dans des équipes mixtes semi-pro et pro et les médiatiser : les jeunes filles aussi ont besoin de modèles.

Les joueuses et leurs coachs pour l’incubateur WIG 2020
Les moyens ne manquent donc pas pour Women in Games, et heureusement, les mentalités évoluent. Une femme pourra-t-elle bientôt se lancer dans une partie online sans risquer de se faire insulter pour son genre ? Les étudiantes oseront-elles postuler pour des postes de Game Designer et créer les jeux de demain ? L’avenir le dira.
Et vous, avez-vous un témoignage à apporter sur le sujet ?