Clair Obscur en concert : plus qu’une esquisse, une sublime peinture musicaleSinging Frames

CLAIR OBSCUR EN CONCERT : PLUS QU’UNE ESQUISSE, UNE SUBLIME PEINTURE MUSICALE
L’objectif de cette chronique ? Vous faire vivre et retranscrire avec des mots la magie et les émotions ressenties pendant le concert Clair Obscur: Expedition 33 – A Painted Symphony.
Il est 19 h à Montpellier en ce 33 (euh pardon 31) octobre 2025 : La nuit d’Halloween est tombée et les monstres déguisés sont déjà de sortie sur la Place de la Comédie. Quelques mètres plus loin, aux abords du Corum, le Palais des Congrès, Opéra et Centre d’Expositions principal de la ville, on aperçoit quelques personnes portant fièrement l’ensemble marinière, béret et foulard rouge, lunettes de soleil et baguette à la main. Aucun doute possible, c’est bien ici et ce soir qu’aura lieu le dernier concert de la tournée symphonique dédiée à la musique de Clair Obscur: Expedition 33. Après une première à l’Amphithéâtre de Lyon, deux dates dans la prestigieuse salle Pleyel de Paris et un concert supplémentaire en marge de la PGW, le rideau va tomber dans la ville où tout a commencé.
Dans la salle, à quelques minutes du début du concert, l’ambiance et les émotions sont palpables. À l’effervescence des fans se mêle en effet l’exaltation des devs de Sandfall Interactive et de leurs proches présents dans le public. Quoi de plus normal ? C’est ici qu’est né ce jeu déjà si spécial pour de nombreux joueurs après tout. Et rien que pour cette raison, il n’y avait pas meilleur endroit que Montpellier pour vivre un tel événement.

L’affiche de la tournée Clair Obscur: Expedition 33 – A Painted Symphony. Photo : Sandfall Interactive sur Instagram
LUMIÈRE !
Depuis sa sortie en avril dernier, nous sommes déjà plus de 5 millions à avoir terminé ou au moins parcouru l’épopée tragique de Clair Obscur: Expedition 33. Quand bien même bon nombre d’entre nous sont passés à d’autres jeux entre temps, s’il y a bien un élément de cet univers duquel il est impossible de se détacher, c’est bien sa musique. Longue de plus de huit heures sans interruption et mêlant des genres musicaux à première vue antinomiques (électro, jazz, opéra, world, punk, hard rock et bien plus encore), l’OST de ce RPG déjà culte composée par Lorien Testard est une véritable perle musicale et se devait d’être sublimée en live sur scène.
Une fois ce constat fait, une problématique se pose inévitablement : comment parvenir à adapter sur scène une BO d’une telle envergure dans un concert de deux heures, le tout, bien sûr, en étant le plus exhaustif possible ? Ce challenge épineux, c’est celui qu’a dû relever Daniel Sicard, le directeur artistique et chef d’orchestre à la baguette (pas de pain) de cette première tournée. Une tâche d’autant plus difficile que lui et son Orchestre Curieux se devaient également d’arranger les thèmes originaux sans trahir l’essence de leur version studio.
Mais à peine ai-je le temps de réfléchir à comment tout ce beau monde pourrait réussir cette prouesse, voilà qu’Alice Duport-Percier, la chanteuse lyrique soprano qui porte de sa voix magnifique une grande partie de la bande originale du jeu, entre en scène pour interpréter « Alicia », le thème d’ouverture servant de fil rouge à l’aventure.
Après cette formidable entrée en matière, un homme, dont le nom s’inspire d’un des personnages les TERRIFIANTS et REDOUTABLES du jeu, est monté sur les planches. Fort d’une grande éloquence, il a repris à sa sauce le discours qu’Emma, la sœur de Gustave dans le jeu et surtout la cheffe du Conseil de Lumière, a tenu aux membres de l’Expedition 33 avant leur grand départ suite à la cérémonie du Gommage. Cet homme, c’est François Meurisse, l’un des co-fondateurs de Sandfall Interactive et producteur principal de Clair Obscur. En s’adressant à une foule déjà galvanisée et entièrement ralliée à sa cause, il a lancé les hostilités de la plus belle des manières : à l’instar du bateau de l’expédition 33 qui quitte les côtes de Lumière et met les voiles vers l’inconnu pour briser le cycle et occire la Peintresse, nous voici en route pour un voyage musical familier certes, mais non dénué de (belles) surprises.
SYMPHONIE INTIMISTE
D’entrée, on comprend que ce concert ne sera pas comme les autres. Un sentiment renforcé par le fait que, contrairement à la grande majorité des concerts adaptés de jeux vidéo, qui se plaisent à enrichir leurs arrangements symphoniques d’images des jeux qu’ils honorent, A Painted Symphony n’a opté pour aucune scénographie extravagante, ni aucune mise en scène particulière. L’objectif affiché est on ne peut plus clair : laisser la musique et les émotions parler d’elles-mêmes. Un choix audacieux qui permet au public de se concentrer à 100 % sur la performance collective des musiciens et des artistes.
Et ça tombe plutôt bien, car là la plupart des formations symphoniques jouent la carte de la surenchère pour multiplier les couches musicales pour montrer qui a les plus gros instruments, l’Orchestre Curieux reste une troupe à échelle humaine. Pour cette tournée Clair Obscur, ils ne sont « qu’une vingtaine » de musiciens et musiciennes sur scène, auxquels il faut ajouter à peu près autant de chœurs. Pour les accompagner, tout ce beau monde a bien entendu pu compter sur les prouesses vocales d’Alice Duport-Percier, Axelle Verner et Eugénie Loiseau, le trio de chanteuses lyriques et baroques du jeu original. Lorien Testard, le compositeur de l’OST du jeu, nous a lui aussi fait l’honneur de sa présence sur scène, non pas en simple guest symbolique, mais bien en tant qu’acteur à part entière de cette magie, lui qui officiait à la guitare, qu’elle soit acoustique ou électrique.

À la compo, mais aussi à la guitare, Monsieur Lorien Testard ! Photo : Sandfall Interactive sur Instagram.
Cette approche plutôt intimiste du concert symphonique dans laquelle chaque instrument est représenté par une seule personne semble être au cœur de l’ADN de l’Orchestre Curieux, lui qui affiche visiblement une volonté de mettre en avant les individualités plutôt que de noyer ses musiciens dans un son (certes harmonieux) de pupitre. Avec le recul, cette vision n’est finalement rien de plus que le prolongement de la philosophie créative de Sandfall Interactive avec leur premier jeu. Encore une preuve que ces deux entités étaient définitivement faites pour se rencontrer.
CÉLÉBRATION COMMUNAUTAIRE
Le temps passe et le spectacle suit son cours au gré des thèmes les plus marquants du jeu. Mais comme l’a si bien dit Daniel Sicard en ouverture, Clair Obscur: Expedition 33 – A Painted Symphony, ce n’est pas juste un concert, c’est aussi et surtout une grande fête. Une fête qui, au-delà des formidables medleys, réarrangements et transitions qui ont composé la setlist du show, a brillé par son ambiance tendre, bon enfant et fédératrice.
Quel plaisir en effet de constater la complicité touchante qui règne entre les différents membres de la troupe, et notamment entre son trio de chanteuses, Alice, Axelle et Eugénie. Des amies de la vraie vie qui, à en croire leurs gestes, leurs sourires et les étoiles dans leurs yeux tout au long du concert, prenaient réellement plaisir à vivre avec nous cet événement hors du temps. Un shoot d’authenticité et d’humanité émouvant qui tranche résolument avec l’aspect rigide, fermé et codifié de la plupart des concerts du genre.

La complicité entre les deux chanteuses Alice Duport-Percier est clairement visible ! Photo : Sandfall Interactive sur Instagram
Loin de n’être qu’une fête célébrant un entre-soi artistique, ce concert fut aussi un grand moment de communion avec le public. C’est tout à fait logique quand on sait, de l’aveu même des équipes de Sandfall, que le jeu n’aurait jamais joui d’une telle aura sans la passion et l’engagement sans faille de ses plus de cinq millions de joueurs. Ainsi, outre les traditionnels remerciements et les interactions avec la foule inhérentes à ce genre de concerts, Sandfall est allé plus loin en intégrant la communauté Clair Obscur directement dans la boucle. Entendez par là qu’ils ont choisi nul autre que Miki Martz, l’ultime guest de la soirée, pour interpréter le déjà iconique « Une vie à t’aimer ». Si ce nom ne vous dit rien, il s’agit en fait du premier artiste fan à avoir réalisé une cover dudit morceau sur les réseaux sociaux. Si à l’époque on avait dit au chanteur espagnol que cette audace lui permettrait de devenir le chanteur officiel de la tournée Expedition 33, pour sûr qu’il n’y aurait pas cru.
Quoi qu’il en soit, sa performance vocale n’a pas à rougir de celle du grand Victor Borba sur le morceau original. Pour la simple et bonne raison que son interprétation croisée d’un des titres les plus marquants de la BO fut, sans surprise, à la hauteur de l’enjeu. Ce thème aussi épique que déchirant a d’ailleurs été enrichi par « Une vie à peindre » et « Une vie à rêver », deux autres morceaux de 11 minutes chacun et qui ensemble, forment le triptyque « Nos vies en Lumière ». Pour les situer séparément, chacun d’eux habille le dénouement d’une des fins possibles pour Clair Obscur: Expedition 33.
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Et alors qu’on pensait avoir atteint le pinacle de l’émotions après ce troisième acte d’anthologie, la troupe est venue enfoncer le clou avec un « bouquet final » plus intense encore. Littéralement d’ailleurs, puisqu’avant une interprétation collective de « Lumière », le thème principal du jeu, et un duo touchant entre Alice Duport-Percier et Lorien Testard sur « Aux lendemains non écrits », nous avons carrément eu droit à une cérémonie du gommage en direct, avec la pluie de pétales de roses rouges et blanches qui va avec. Le tout sublimé par une reprise du morceau « Alicia », porté une fois de plus par la voix angélique d’Alice Duport-Percier. Les frissons.
DEMAIN VIENDRA
Au sortir de ces plus de deux heures de concert (et après un nouveau salto signé Daniel Sicard), on ne peut qu’applaudir les équipes de Sandfall pour avoir réussi l’exploit de transposer les meilleurs thèmes, ainsi que toute la diversité musicale de la bande originale de Clair Obscur: Expedition 33, dans une expérience symphonique aussi intimiste que grandiose.
À l’annonce des premières dates, le discours d’intention du studio montpelliérain qualifiait pourtant cette tournée de « simple » test en vue de futures dates plus ambitieuses en France et à l’international. Oui, la proposition peut encore briller davantage, notamment en s’appuyant sur une scénographie un peu plus développée et qui rendrait hommage à la fantastique DA du jeu. De par son positionnement unique dans le paysage musical mondial, elle a aussi clairement le potentiel d’être celle qui brisera les frontières du jeu vidéo pour aller toucher un public plus large dans des événements musicaux plus généralistes. C’est en tout cas tout le mal qu’on lui souhaite… Dans l’attente d’une indispensable (et inévitable) consécration de Clair Obscur aux Game Awards.
Il n’empêche qu’après une telle déferlante d’émotions, ne pas l’honorer des mêmes superlatifs que ceux qui ont porté les exploits de la fameuse Expedition 33 serait lui faire injure. Tout simplement, parce que cette première esquisse musicale, en attendant qu’elle obtienne ses lettres de noblesse au Panthéon de l’Art avec un grand A, a déjà tout d’une œuvre complète et légitime à trôner au cœur du manoir suspendu des Dessendre. Et c’est même un écrivain qui le dit.
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