Nishikado Tomohiro

Rédigé par

Par ses créations et notamment Space Invaders, Tomohiro Nishikado a inspiré toute une génération de créateurs et est considéré à juste titre comme le père des jeux vidéo Japonais. Ce personnage humble tout au long de sa vie a pourtant révolutionné le jeu vidéo.

La recherche du réalisme

Sky Fighter, le premier jeu de Tomohiro Nishikado

Très vite attiré par les technologies du son,  il intègre naturellement la faculté d’électronique de Tokyo où il étudie les technologies de la télévision tout en faisant partie d’un groupe de musique Hawaïenne. Une fois le diplôme en poche il intègre Pacific Industries, une filiale de Taito, sur les conseils d’un ami. Alors intéressé par la création de jeu, Tomohiro Nishikado n’a alors aucune idée de ce qu’il fera au sein de l’entreprise à part de l’électronique. Il travaille d’ailleurs sur un jeu électro-mécanique, Sky Fighter, pour lequel il réalise un « ciel » et des avions avec un système de miroirs semi-réfléchissants auquel il ajoute un jeu de lumière pour simuler des tirs. La particularité du jeu est d’avoir un cockpit qui englobe complètement le joueur. Le problème est qu’à la sortie du jeu, celui-ci ne rentrait pas dans les ascenseurs et il a fallu refaire une copie du jeu plus petite. Sky Fighter II voit ainsi le jour l’année suivante.

Le  leitmotiv de Tomohiro Nishikado à ce moment là est le réalisme, il cherche à impressionner par la technique. Cela s’explique par la technologie de l’époque qui ne permet pas encore d’y apporter un gameplay intéressant. Le réalisme reste l’élément qui marque le joueur. Au rythme d’un jeu par année, il crée sur demande de sa direction la borne Border Line qui est une copie améliorée d’un jeu déjà existant sur le sol américain.

Améliorer l’existant

Vous êtes plutôt attaquant ou gardien ?

Lorsque PONG arrive dans les locaux, la direction ne croit pas en son succès. Pour elle, lorsque les clients ouvriront le loquet de la borne, ils n’y trouveront plus de mécanismes complexes mais une carte mère et ils auront l’impression d’acheter au même prix un objet ayant moins de valeur. La société rivale SEGA a mis son exemplaire de PONG en location dans une salle d’arcade. Cette borne connut un grand succès au point de pousser la direction a revenir sur son avis et à mettre tous les moyens en œuvre pour rester dans la course. Tomohiro Nishikado étudie alors la carte mère pendant deux mois et travaille sur Soccer, un jeu plus ambitieux que PONG qui devient le premier jeu vidéo Japonais. Il se différencie par l’ajout de cages, d’un goal et d’un attaquant que l’on contrôle simultanément, ce qui ajoute en profondeur de jeu malgré les contraintes techniques. Les jeux suivants sont encore des défis pour cet artisan modeste du jeu vidéo qui ressent de la fierté vis-à-vis de ses créations.

Ce n’était pas simple puisqu’il s’agissait encore de l’époque avec des circuits imprimés sur lesquels on plaçait des composants pour permettre des affichages précis.

Lors d’une visite des locaux d’Atari, Nolan Bushnell est venu l’accueillir en personne alors que Tomohiro Nishikado ne le connaissait pas encore. L’inverse n’est pas vrai, puisque Atari tente de débaucher le créateur Japonais qui refuse l’offre et reste fidèle à Taito.

À l’époque, les jeux sont créés par une personne et il n’y a quasiment que des jeux de sports avec des barres comme représentants de la balle et des joueurs. Tomohiro Nishikado veut s’éloigner de ce modèle. Il se rappelle qu’adolescent il appréciait le jeu Drive Game où l’objectif est de déplacer un véhicule sur une route et il veut adapter ce jeu électronique en jeu vidéo. C’est de là qu’est parti l’idée de faire Speed Race. Tomohiro puise donc dans ses propres expériences pour créer Speed Race. Ce game design est très novateur à l’époque et s’éloigne des PONG qui inondaient le marché. Taito étant très enthousiaste par rapport au concept voulut doubler le prix des parties classiques de jeu. Mais par précaution, monsieur Nishikado mit un switch permettant de faire passer les parties de 100 à 50 yens au cas où, ce qui ne fut pas nécessaire au regard de son succès. Le créateur s’amuse à penser que c’est peut-être à cause de lui que les parties de jeu ont augmenté à l’époque.

Le jeu qui a fait passer le prix des parties de 50 à 100 yens !

Un an plus tard, il sort un nouveau succès, Gun fight adapté d’une borne de SEGA du nom éponyme. Le jeu est très novateur à l’époque, comprenant des décors destructibles et des graphismes un peu plus réalistes. Puis sort Interceptor considéré comme le premier First Person Shooter de l’arcade, encore plus réaliste grâce aux nuages plus soyeux car réalisés par une technique brevetée plus tard qui utilisait une espèce de condensateur pour rendre l’image plus floue et offrait une impression de nuages plus saisissant qu’avec des pixels.

L’ovni qui révolutionna le jeu vidéo

Croquis originaux des aliens de Space Invaders par Tomohiro Nishikado

Nous sommes en 1978. Comme pour chacun de ses jeux, il souhaite pousser le réalisme encore plus loin et alors que les créateurs de l’époque sont tous dans cette mouvance d’aller toujours plus haut, Atari revient aux bases avec un jeu de balles et de raquettes, Breakout. La qualité et le fun de celui-ci sautent aux yeux et Tomohiro s’en rend bien compte. Taito lui demande de créer le prochain Breakout, un nouveau gros succès pour la boite. C’est ainsi qu’avec l’influence de ce dernier jeu, il créé Space Invaders en ayant l’idée de lui ajouter un aspect plus chaleureux qu’avec de simples barres et en imaginant le retour de balle comme d’une attaque ennemi. Les barres sont remplacés par des humains, pour ne pas être de simples cibles, mais cela ne convainc absolument pas la direction qui considère qu’un jeu vidéo ne doit pas être violent. L’attente que suscite la sortie de Star Wars lui suggère finalement de s’orienter vers un titre de science fiction, les extraterrestres eux, seront inspirés de l’oeuvre « la guerre des mondes » de H. G. Wells.

les clients ne vont pas accepter de perdre 100 yens si rapidement

Une révolution à l’époque !

Space Invaders n’est pas un succès immédiat, il étonne d’abords les professionnels car il apporte trop de nouveautés et bouscule les codes. Par exemple il n’utilise plus les timers qui limitent dans le temps les parties des joueurs de façon à rentabiliser la session de jeu. Ici, un bon joueur peut survivre longtemps alors qu’un novice peut perdre au bout de quelques secondes. Ce fut le cas des professionnels déjà âgés qui connaissent l’échec avant même de comprendre les commandes. Leur réaction est donc « comme ça, les clients ne vont pas accepter de perdre 100 yens si rapidement ». Taito privilégie la prudence et produit peu d’exemplaires du jeu qu’elle installe dans ses propres salles d’arcades. Le succès est finalement assez fulgurant au point que Taito a du mal à suivre la cadence de production et doit faire appel à d’autres sociétés. On arrive à une situation où les lieux comme les cafés doivent posséder leur jeu Space Invaders pour rester compétitifs face aux autres. Des lieux insolites comme des laveries automatiques s’équipent eux aussi à leur tour. Puis vint le tour des Space Invaders House, des salles spécialement dédiées aux jeux Space Invaders, qui permettent d’entendre le son des tirs depuis les rues. Nishikado Tomohiro confie n’y être jamais entré car il n’aimait pas du tout ce son qui n’avait pas été créé par lui, mais surtout qui ne correspondait pas à ce qu’il avait imaginé. Le jeu marche tellement bien que pendant les deux mois du sommet de sa popularité, il est constaté un pic de production des pièces de 100 yens au Japon !

Un homme très discret

Malgré son succès, il fait sa première apparition médiatique en 1988 soit dix ans plus tard. Cette mise en avant tardive est perçue par l’intéressé comme une stratégie marketing de la boîte et n’est en aucun cas une source de frustration. Si sa discrétion se vérifie par sa faible notoriété auprès du grand public, elle s’explique surtout par sa modestie, à tel point que ses proches ne sont pas mis au courant de son succès. Sa femme elle-même l’apprend des années plus tard lorsqu’elle tombe sur un article parlant de Space Invaders et de son mari. Monsieur Nishikado n’a alors pas l’habitude de ramener ses histoires de travail à la maison de peur que cela n’intéresse personne et son épouse ne le questionne pas d’avantage.

Ce qui est drôle, c’est qu’elle l’a découvert de son côté, elle est tombée sur un article sur les dix ans de « Space Invaders » dans lequel je répondais à des questions et apparaissait en photo, elle m’a demandé ce que je faisais là, je lui ai dit que j’avais créé le jeu. Elle a eu du mal à me croire !

De la création à la gestion

Il continue de développer quelques jeux basés sur le même hardware avant de diriger, en 1981, une nouvelle division de Taito chargée de développer les loisirs du futur. Taito, étant tourné vers l’arcade, souhaite se diversifier et Tomohiro imagine un prototype de console à destination des foyers avec pour originalité de pouvoir télécharger des jeux par le biais d’une ligne téléphonique. Le projet ne convainc malheureusement pas la direction. Tout en restant réaliste, il concède facilement que malgré le fait que la machine soit fonctionnelle, elle n’était pas forcément très pratique à cause des limitations techniques de l’époque. L’homme ressent tout de même une petite frustration à ne plus avoir la main à la pâte, surtout alors que celui-ci a eu des idées novatrices qui font leurs preuves aujourd’hui.

Après avoir plusieurs années à la tête de cette division, Mr. Nishikado est amené à la tête d’une division jeux consoles. Ce poste se rapproche du poste de producteur, ce qui est trop éloigné de son travail originel. Il s’ennuie et quitte Taito en 1996 pour fonder sa propre société : Dreams. Il reste cependant consultant pour Taito.

Ce sont des générations de personnes et non seulement des joueurs qui ont été influencé par Tomohiro Nishikado

Sa volonté de créer à nouveau des jeux vidéo explique son départ de Taito pour créer Dreams. Il produit des jeux édités par son ancienne société. Pop’n Pop est ainsi publié sur arcade et d’autres supports et connait un certain succès au Japon ce qui vaut de nombreuses commandes pour le tout jeune studio, obligé d’embaucher du personnel. Qui dit personnel, dit gestion de ces personnes et Tomohiro se retrouve une nouvelle fois à devoir délaisser la création pour des tâches administratives qui ne le passionne pas. La différence avec Taito est son niveau de responsabilité, car ici la moindre erreur peut remettre en cause les salaires de ses employés. C’est pourquoi en 2010 Mr. Nishikado préfère partir à la retraite. Il se rend compte avec du recul que l’oeuvre de sa vie a influencé de nombreux jeunes talents et motivé nombre d’entre eux à travailler dans ce milieu. Depuis Tomohiro exerce son activité de consultant auprès de Taito pour apporter son expertise aux jeunes de la boite et se consacre à la musique en réintégrant son ancien groupe de musique Hawaïenne.

Pour Tomohiro Nishikado, les jeux vidéo sont devenus des créations incroyables de nos jours mais la plus grosse transition a été l’arrivée de la PlayStation. Selon lui elle a marqué le passage de l’ère où les créateurs se concentraient davantage sur le gameplay à celle du grand spectacle, rendu possible grâce à l’affranchissement des limitations techniques de l’époque, au détriment peut-être du gameplay. Son souhait actuel est qu’avec le réalisme des graphismes d’aujourd’hui, le gameplay redevienne une préoccupation des développeurs.

Tomohiro Nishikado est un homme passionné par la création de jeu vidéo. Technophile, c’est autant les défis techniques que l’envie de créer du divertissement qui l’animent. De nature très discrète, il reste quasiment inconnu du grand public pendant toute sa carrière, mais ses créatures de l’espace, elles, continuent d’inspirer la culture et nous accompagnent à chaque coin de rue des grandes villes.

Note

  • C’est toute notre culture vidéo-ludique qui est inspirée par les travaux de Mr. Nishikado, à Culture Games nous lui rendons hommage en notant nos critiques et focus à l’aide de Space Invaders et il nous a paru naturel de mettre sa création majeure en avant dans notre logo.