Ancel Michel

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Michel Ancel est sans aucun doute l’un des plus brillants concepteurs de jeux vidéo français. Il est reconnu internationalement.

Là où tout à commencé

Monégasque d’origine et ballotté de pays en pays par un père militaire, Michel Ancel nourri son univers de paysages, rencontres et cultures très diverses. Sa première expérience avec le jeu vidéo remonte à son passage en Afrique du Nord alors qu’il n’était qu’un tout jeune enfant. S’il ne lui était pas possible de regarder ses programmes favoris comme Goldorak et autres Capitaine Flame, il découvre en Tunisie chez un copain l’Atari 2600.

Sa famille finit par s’installer à Montpellier en 1988. Il est déjà habitué à pianoter sur les claviers de l’Atari 600 xl puis de l’Atari 520 ST. Avec le magazine Hebdogiciel, qui proposait des lignes et des lignes de codes pour développer des jeux, il fait ses premiers pas dans la programmation.

michel-ancel-contenu2Avec une CBS Colecovision buguée, il parcourt des niveaux de jeux où les portes et autres obstacles ne lui barrent plus la route. L’envie de modifier, de recréer le jeu prend alors de l’ampleur. Jouer ne lui suffit plus, il veut comprendre et exploiter toutes les possibilités qu’offre le code. A 15 ans, il commence alors en tant que demomaker du projet Mechanic Warriors, un shoot them up pensé pour l’Atari ST mais finalement non validé par Lankhor. Plus qu’un passe temps, il décide après avoir arrêté l’école à 16 ans d’en faire son métier.

L’arrivée chez Ubisoft

michel-ancel-contenu1En 1989 et alors seulement âgé de 17 ans, il se fait remarquer par la société de jeu vidéo Ubi Soft Entertainment de Paris (aujourd’hui Ubisoft) et devient graphiste indépendant. Il est envoyé en Bretagne, dans le château de la Grée de Callac qui réunissait à l’époque de nombreux développeurs de différentes sociétés afin de développer, seul, The Teller. Ce dernier mélangeait à la fois action, puzzle et mémorisation tout en proposant un mode multijoueur.

En 1991, Michel retourne sur Montpellier avec pour projet la création d’un tout nouveau jeu ; Rayman.

Le succès de Rayman

michel-ancel-contenu6Avec sa précédente expérience, il prend conscience de la difficulté à animer les membres d’un personnage. Pour contourner la tâche, il imagine son futur héros, Rayman, sans bras et sans jambes. Il ne lui restait alors plus qu’à bien coordonner les mouvements entre les mains et les pieds avec le reste du corps. Il commence par travailler seul puis s’allie à un programmeur et propose plusieurs prototypes sur la Super Nintendo. Ubisoft décide alors de transposer le projet sur les nouvelles consoles de salon plus performantes, la Jaguar puis la PlayStation 1 et le PC.

Ce portage sur ces dernières plateformes mais aussi sur un nouveau support chez Sony avec le CD-ROM, ont permis tout d’abord d’expérimenter de nouvelles technologies et techniques, comme les couleurs et les sons, ouvrant la possibilité de travailler avec des artistes qui ne venaient pas du jeu vidéo. En effet, Michel Ancel s’entoure d’illustrateurs, d’animateurs et de musiciens. Son équipe de développement atteindra la centaine de personnes en fin de création. Cette ébullition artistique a donné au jeu des décors inédits, un effet cartoon, des musiques entraînantes, bref une ambiance originale depuis propre à la série.

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C’est aussi l’un des succès qui aura forgé l’identité de la PlayStation et marqué le passage d’Ubisoft de l’artisanat à la société au fort rayonnement que nous connaissons aujourd’hui.

Le pas vers la 3D

michel-ancel-contenu4Après ce succès, il s’occupe de la conception de Tonic Trouble. Ce nouveau jeu de plateforme loufoque emprunte à Rayman de nombreux ingrédients tels que des personnages dépourvus de bras et de jambes. Après une année de travail, l’équipe de Michel Ancel délègue le projet aux développeurs d’Ubisoft Montréal tout en gardant le moteur de jeu pour un nouveau Rayman. Stupéfait par la réalisation 3D en temps réel de Super Mario 64 de Nintendo, le concepteur imagine son héros évoluer dans un univers semblable. La collaboration avec les artistes est toujours de mise et un gros travail est fourni pour les cinématiques. Le jeu porte le titre de Rayman 2 : The Great Escape et sort en 1999 sur PC, Nintendo 64 et en 2000 sur Dreamcast, PlayStation 1 et 2 puis quelques années plus tard sur Nintendo DS et Nintendo 3DS. C’est encore une fois une réussite.

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Beyond Good & Evil : premier élan de maturité

michel-ancel-contenu9Ancel se tourne vers un jeu plus sophistiqué où le joueur incarne une héroïne au véritable charisme et non éternel fantasme masculin. Jade est une reporter journaliste menant des enquêtes et évoluant dans un monde inquiétant, non éloigné du contexte de création du jeu. A la fois engagé, contemplatif, poétique et proposant une réflexion sur le monde qui nous entoure, Beyond Good & Evil offre une nouvelle dimension au jeu. La musique travaillée de Christophe Heral participe elle aussi au charme de cette atmosphère si particulière. Le projet ne fait au premier abord pas l’unanimité par sa nouveauté et son manque de clarté. Cela coûte le départ d’une partie de l’équipe, un coup dur pour le créateur.

Le moteur de jeu est entièrement réalisé par l’équipe pour parer aux complexités de la modélisation 3D avec la création de leurs propres outils. Ancel aura également bénéficié des talents de l’un des premiers programmeurs de moteur 3D d’Ubisoft : Philipe Vimont. Son souhait est de porter son jeu sur la PlayStation 2, symbole à l’époque d’une porte vers un nouveau monde. Beyond Good & Evil est apprécié par la critique mais ne reçoit pas le succès escompté. Il est balayé par la sortie simultané d’un autre titre phare d’Ubisoft (Montréal cette fois) : Prince of Persia : Les Sables du temps. Il a cependant rattrapé ce retard aujourd’hui et obtenu la reconnaissance qu’il mérite. Une suite est depuis 2007 toujours en cours de développement. C’est également avec cette sortie que naît officiellement Ubisoft Montpellier.

Beyond Good & Evil 2 ?

Beyond Good & Evil 2 ?

L’aventure King Kong

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Comme il est mignon…

Travaillant sur son prochain film King Kong, Peter Jackson lance un appel d’offre pour une adaptation de sa future œuvre en jeu vidéo. Le réalisateur est enthousiaste face à Beyond Good & Evil. La rencontre entre les deux hommes nourrit le projet et sera une nouvelle fois une expérience inédite pour le concepteur de jeu vidéo. Contrairement à ce qu’on pouvait attendre d’une telle transposition, King Kong ne comprend aucune cinématique. Le film est entièrement traduit avec le gameplay, un choix qui convient particulièrement au réalisateur qui apprécie le côté immersif. Afin de retranscrire au mieux une ambiance proche de celle conçue par Jackson, Michel Ancel et son équipe partent en Nouvelle Zélande pour s’imprégner ainsi des décors du film mais aussi du scénario et du jeu des acteurs. Le challenge était pour Ancel de s’approprier une première création et de recréer une œuvre originale tout en sauvegardant l’esprit initial.

Les Lapins Crétins

"Charmant"

« Charmant »

Le développement de Rayman contre les Lapins Crétins est lancé en 2006. A l’origine, il devait s’agir d’un Rayman 3D classique portant le nom de Rayman Adventures. L’innovation cette fois se porte sur le choix d’incorporer des ennemis farfelus à l’image de l’humour des Monthy Python cher à Michel Ancel. Le jeu est avant tout prévu pour la Nintendo Wii qui promet une nouvelle approche et pose des interrogations au sein de l’équipe. Le temps de développement étant limité, il est décidé de laisser de côté le mode aventure pour se concentrer sur la compilation de mini-jeux complètement décalés. Pour Ancel, il n’est pas question de subir un nouvel échec commercial comme ce fut le cas pour Beyond Good & Evil et met alors le paquet sur la communication. Avant même la sortie du jeu, l’effort est mis sur le travail des personnages présentés avec de nombreuses vidéos. Les Lapins Crétins prennent alors peu à peu de l’ampleur et se déclinent en plusieurs jeux.

Retour aux sources

Avec la sortie de Rayman Origins en 2012 et de Rayman Legends en 2013, Ancel revient au traditionnel 2D des premières heures de son héros. Ce n’est cependant pas un retour à la case départ car il entend exploiter au maximum la Haute Définition des nouvelles machines (Xbox 360, PS3, Wii puis Wii U).

Rayman Origins

Rayman Origins

Ces deux volets témoignent d’une étroite collaboration avec des artistes d’écoles d’arts et des Gobelins. Les éléments du décor sont travaillés à la peinture et pour faciliter la modification du jeu, un outil accessible à l’ensemble de l’équipe a été créé : l’UbiArt Framework. Le résultat est épatant et donne encore une fois un univers particulier aux deux jeux. Le premier est un véritable succès et cette bonne énergie entraîne l’enchaînement direct du deuxième qui reprend le même moteur de jeu. La difficulté de celui-ci est qu’il doit dans un premier temps être adapté à une toute nouvelle plate-forme : la Nintendo Wii U. Des essais sur le Gamepad reprenant le système connu des Skylanders semblaient prometteurs mais ont été abandonnés notamment à cause du refus du constructeur nippon. Ce dernier Rayman bénéficie lui aussi de l’aura de son prédécesseur et le compositeur Christophe Heral reçoit le prix de la meilleure musique originale de jeu vidéo.

Rayman Legends

Rayman Legends

La philosophie de Michel Ancel

Michel Ancel continue aujourd’hui de faire preuve d’indépendance, de créativité mais aussi d’inspiration auprès des jeunes concepteurs. Il est également une forte personnalité du monde vidéoludique.

Sa vision du jeu vidéo est celle d’un média où l’expression créative peut être sans limite si la technologie est maîtrisée. Concevoir et développer un jeu doit avant tout rester un plaisir et c’est pour cela qu’à plusieurs reprises, il a mis au point avec son équipe des outils adaptés pour ne pas rester dans une frustration qui viendrait aliéner la créativité. Le jeu vidéo lui donne l’impression de pouvoir accomplir des choses inédites. Avant toute chose, il produit un jeu auquel il aimerait lui-même jouer et qui réunirait l’ensemble des joueurs. Pour cela, il n’hésite pas à se remettre en question et tout recommencer à zéro. Le jeu vidéo est jeune et peut se révéler surprenant puisque chaque œuvre prend forme petit à petit tout au long du développement.

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Chevalier des Arts et des Lettres… Classe.

Son dynamisme et sa passion, il les partage avec son équipe. Il tente d’apporter une certaine clarté à ses idées au reste de l’équipe afin de donner une vision de ce que sera le jeu. Il instaure un travail participatif où chacun apporte ses compétences mais ne reste pas cantonné à l’exécution stricte de sa tâche. Le cocon qu’est la « Villa » de Montpellier en est le parfait témoin.

Enfin, Ancel n’oublie jamais d’où il vient. Il a beau être actuellement directeur artistique, il s’intéresse à chaque projet du début à la fin et à tout ce qui compose la création. Il code, modélise, habille les personnages, dévermine les outils, etc. Il considère qu’avec peu de chose il est possible de faire beaucoup et que par conséquent chaque détail compte. Revenir aux fondamentaux comme la programmation pure et dure est pour lui essentiel.

La reconnaissance officielle vient en 2006 lorsqu’il est fait Chevalier des Arts et des Lettres par le Ministre de la Culture.

Pour aller plus loin vous pouvez consulter l’ouvrage consacré à Michel Ancel, édité par Pix N’ Love.