Donkey Kong : l’histoire d’un cauchemar américain qui vire au succèsCapsule Temporelle

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Nous sommes au début des années 1980, pour vous resituer historiquement, nous sommes en pleine période de guerre froide. La crise des missiles de Cuba c’était 18 ans en arrière, les premiers hommes sur la Lune c’était 11 ans avant, les américains ont perdu la guerre du Viêt Nam il y a à peine 5 ans de cela et les pattes d’eph et le disco commencent déjà à être passés de mode. Mais ce que l’on va vraiment retenir de cette période, c’est bien évidemment la sortie de Star Wars épisode V le 21 mai 1980 ! C’est bien tout ça, mais quel rapport avec notre article ? J’y arrive. En juillet 1981, un grand boom va éclater. Ce boom, c’est un jeu phare encore maintenant et qui a été imaginé par notre très cher Shigeru Miyamoto, je veux bien sûr parler de Donkey Kong. Dans cet article, nous allons nous étendre sur l’arrivée de Nintendo sur le territoire américain, puis dériver sur l’échec cuisant de sa première tentative, pour finir par le rebondissement colossal de la compagnie par une tentative plutôt originale pour l’époque.

De l’envie de s’étendre vers un nouveau monde

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Hiroshi Yamauchi

À cette époque, le marché du jeu vidéo pour la société japonaise Nintendo Co., Ltd. commençait à fleurir : Les premiers pas dans le  jeu d’arcade avec « EVR Race » en 1975, les consoles « Color TV » de 1977 à 1979, les premières copies de jeux comme Block Fever ou Space Feverrespectivement en 1978 et 1979, qui sont des plagiats flagrants de Breakout et Space Invaders.

La société avait déjà une bonne réputation sur l’archipel dans la branche vidéoludique, les bornes de jeux Sheriff et Radar Scope étaient plutôt bien appréciées par nos amis nippons.

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Minoru Arakawa

Néanmoins, ses concurrents Taito et Namco avaient une place plus que démesurée sur le marché américain (le premier était reconnu surtout pour sa borne du jeu Space Invaders et le second pour Pac-man). Il semblait alors normal pour le PDG de l’époque, Hiroshi Yamauchi, d’avoir une part du gâteau. Il porta de grands espoirs sur son gendre, Minoru Arakawa, qu’il savait très talentueux par son sens de la gestion et sa détermination quant à l’extension de l’entreprise aux États-unis. Bien que sa fille, Yoko Yamauchi, s’opposa farouchement à l’idée de voir son mari travailler pour lui, Minoru accepta l’offre. Après avoir exprimé son impétuosité quant à l’idée d’étendre l’empire de Yamauchi, Yoko comprit son envie et s’y accommoda. Après avoir démissionné de son poste à Marubeni à Vancouver, il partit avec sa femme vers la ville de New York, où ils ouvrirent le premier Nintendo of America (NOA). Ils louèrent des bureaux entre la 25e rue et Broadway, sur l’île de Manhattan.

D’une première tentative désastreuse

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Borne d’arcade de Radar Scope

Afin de réussir sur le marché des bornes aux États-unis, Yoko et Minoru ont dû entreprendre une étude de marché afin de déterminer quels genres de jeux pourraient potentiellement rapporter le plus de bénéfice à la firme. Le couple passa de longues heures dans les salles d’arcade, observant les jeunes joueurs sur des bornes de jeux. Finalement, il engagea un groupe d’enfants et d’adulescents à venir dans leur hangar, où ils ont été rémunérés pour tester divers jeux en tout genre. En outre, le couple employa une équipe de mercantilistes afin de convaincre les gérants des hôtels et des bars d’acheter des bornes d’arcade de jeux Nintendo et les laisser à disposition aux clients.

Après résultat des différentes études, Minoru suggéra l’importation du jeu Radar Scope. Pour s’armer efficacement face à la cohue des jeunes américains après un buzz suivant une campagne marketing, Minoru commanda à Ikegami Co. Ltd. la bagatelle de 3000 bornes, en effet à ses débuts Nintendo ne développait pas en interne. Le matériel employé était bien trop sophistiqué et dans la microélectronique, Nintendo n’avait un savoir-faire que dans le divertissement opto-électronique (Laser Clay Shooting System). Puisque les commandes partirent d’Osaka, il fallut des mois avant qu’elles arrivent à New York (4 mois environ), le buzz a eu le temps de se dissiper et le jeu n’eut guère le succès escompté. En effet, lorsque les testeurs s’y sont attelés, ils le trouvèrent ennuyeux et daté, notamment par ses sons agressifs, répétitifs et horripilants. Les acheteurs de bornes n’étaient pas des plus impressionnés non plus, il existait bien d’autres jeux similaires et beaucoup mieux. L’équipe de vente a réussi à vendre environ un millier d’unités et très souvent en réduisant le prix de vente de manière drastique. Et c’est ainsi qu’il resta à peu près 2000 unités avec de l’électronique de bonne facture qui prirent la poussière dans l’entrepôt de NOA.

Hiroshi Yamauchi fut fou de rage envers son gendre, il lui fit comprendre qu’il eut des yeux bien plus gros que le ventre et que la cause ne fut pas le jeu Radar Scope, mais la demande bien trop importante de bornes d’arcade. Minoru retorqua alors qu’un jeu différent aurait eu le succès tant attendu. D’ailleurs, il reconsidéra le lieu des bureaux de NOA, en se rapprochant de l’archipel en déménageant à Seattle, dans l’état de Washington. Il savait qu’en étant proche de l’océan pacifique, le temps de transport se réduirait considérablement pour se faire livrer d’Osaka, une semaine seulement. Les Arakawa louèrent un entrepôt et des bureaux d’approximativement 18.000 m² dans une banlieue de Seattle : Tukwila. Bien que NOA continua à faire quelques ventes d’autres jeux, les Radar Scope continuèrent à prendre la poussière, mais à Tukwila cette fois-ci. Minoru contacta son beau-père dans le but d’installer un nouveau jeu sur ces bornes. Puisque la plupart des game designers de chez Nintendo étaient sur d’autres tâches, Hiroshi plaça en charge du projet un jeune designer sorti fraîchement de l’Université des beaux-arts de Kanazawa : Shigeru Miyamoto.

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Flyer Radar Scope pour la version américaine

D’une nécessité d’innover

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Croquis de Jumpman

Bien que Shigeru Miyamoto avait déjà travaillé sur certains projets (entre autres Sheriff, Radar Scope et Space Firebird en tant que dessinateur du design des bornes), il n’a jamais eu à tenir un projet seul en tant que game designer, mais il fourmillait d’idées en tout genre. Bien qu’il manquait de connaissances techniques, Yamauchi lui assura que cela n’était pas un problème. Il lui suffirait de donner des indications à l’équipe de développement (une petite équipe de quatre personnes d’Ikegami Tsushinki), qui s’empressera alors de retranscrire au mieux ses idées. Gunpei Yokoi, ingénieur en chef de l’équipe Nintendo Research and Development 1 (R&D1) de l’époque, le guiderait pour résoudre les écueils qu’il rencontrerait.

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Croquis de Donkey Kong

Yamauchi avait senti que Shigeru avait une approche différente et unique par rapport à ses compères. Tandis qu’il était plus courant pour l’époque d’intégrer des scénarios de films d’action, de courses de voitures ou de combats intergalactiques, ce dernier souhaitait faire en sorte que le jeu se ressente de la même manière qu’à la lecture d’une bande dessinée, où le fond a de l’importance. Il portait une attention particulière à la notion de personnages avec leur personnalité propre, ce qui n’était pas très commun pour l’époque. Il avait basé son histoire sur le triangle amoureux Popeye, Bluto et Olive Oyl. Cependant, Nintendo n’eut réussi à obtenir les droits sur la licence. Il posa alors son dévolu sur le triangle amoureux que l’on retrouve dans King Kong. Un gorille qui capture une femme qu’il aime et l’amène en haut d’une tour et un charpentier qui a la gigote et qui vient la secourir, voilà comment résumer l’histoire du jeu. Suite à ce style avec son célèbre gorille, Miyamoto insista pour que le nom du jeu contienne le mot « Kong », il fallait aussi qu’il représente le caractère un peu gauche et têtu de la bête. Après quelques recherches et discussions avec l’équipe, il s’acquitta de « Donkey », signifiant gauche, idiot, stupide en japonais. Concernant les deux autres personnages, il y a d’abord eu « Jumpman » pour le charpentier chevaucheur de tonneaux et simplement « Lady » pour la demoiselle en détresse.

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Croquis de Lady

Le jeu a été réalisé en japonais et il a fallu le traduire et modifier les noms des personnages. Arakawa sentait que le nom de Jumpman n’allait pas bien passer pour le public américain, il fallait trouver quelque chose de plus proche d’un prénom commun pour une personne occidentale. Mais avant cela, Il a d’abord renommé Lady sous le nom de Pauline, qu’il nomma ainsi d’après le prénom de la femme d’un des vendeurs de chez Nintendo. Alors qu’il était en train de chercher un nom pour notre moustachu charpentier, quelqu’un vint toquer à la porte de l’entrepôt. Il s’agissait du propriétaire qui était courroucé quant à ne pas avoir le loyer du mois dernier et qui l’exprima assez agressivement et férocement à Minoru ainsi qu’à toute l’équipe qui était présente dans sa globalité. Le propriétaire se nomma Mario Segale, vous commencez à faire le rapprochement ? L’idée de proposer le nom du propriétaire pour le héros a été proposée et celle-ci fut acceptée par l’équipe sans broncher. Et c’est ainsi que naquit notre célèbre plombier moustachu : Mario Bros.

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Les premières idées imaginées

Dans la mécanique de jeu, Miyamoto souhaitait que le personnage saute afin d’éviter des obstacles, de passer d’une plateforme à une autre et d’aller par dessus des trous afin de poursuivre son chemin. Ce genre d’approche n’avait jamais été réalisée auparavant. Il fallait que l’action du joueur sur le charpentier soit ressentie comme un réel plaisir de jeu. En outre, Miyamoto souhaitait que chaque personnage ait sa propre taille, bouge et réagisse de son propre chef, ce que Yokoi jugera trop complexe. Lorsque Miyamoto dit que le jeu serait constitué de multiples niveaux, l’équipe en charge du développement s’est plainte de demandes constantes de nouveaux ajouts. Ils ont néanmoins suivi l’esprit créatif de Miyamoto et ont fini par écrire environ 20 kilo-octets de code. Yukio Kaneoka composa quelques morceaux de musique pour accompagner les niveaux et l’histoire en fond.

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Première borne d’arcade Donkey Kong

Plusieurs limitations techniques de l’époque ont fait que Jumpman est ce qu’il est aujourd’hui. En effet, afin d’éviter une trop grande complexité et parce que Shigeru lui-même a avoué ne pas savoir le faire correctement, il a été décidé de ne pas dessiner les cheveux du héros mais de lui mettre une casquette. Jumpman n’a pas de bouche car le sprite le représentant est de 12×16 pixels, ce qui ne laisse pas suffisamment d’espace pour dessiner une bouche et comme il fallait en plus bien séparer le héros du fond de l’écran, il lui a été affublé une moustache. Il en est de même pour la couleur de sa salopette. Si on prête suffisamment attention, on remarquera que les bruitages issus du jeu sont similaires à ceux de Radar Scope. Une fois le programme terminé, il a fallu l’installer dans les unités de Radar Scope restantes. Finalement pour terminer la conversion, la dernière étape consista à retirer les différentes affichettes et instructions sur la borne et à ajouter celles du nouveau jeu. Par ailleurs, sachez qu’à l’époque, les bornes de Radar Scope étaient rouges, ce qui fait qu’il existerait environ potentiellement 2000 bornes de Donkey Kong rouges, ce qui en fait un objet extrêmement convoité par les collectionneurs.

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Borne d’arcade définitive de Donkey Kong

Le jeu eut un énorme succès sur le sol américain, puisqu’en juin 1982, il a été décompté pas moins de 60.000 bornes vendues, avec approximativement un chiffre d’affaire de 180 millions de dollars. On peut dire que Hiroshi Yamauchi l’a eu sa part de gâteau, et quelle part !

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Flyer Donkey Kong pour la version américaine

Ludographie :

Sitographie :

Bibliographie :