Préhistoire du Jeu Vidéo #06 – la CAB 500 et le jeu de morpions françaisCapsule Temporelle

Préhistoire du Jeu Vidéo #06 : LA CAB 500 ET LE JEU DE MORPIONS FRANÇAIS
Sixième chapitre du livre « Préhistoire du Jeu Vidéo », écrit par Damien DJAOUTI aux éditions Pix’n Love, on quitte un instant les Etats-Unis et l’Angleterre pour rejoindre la France, qui n’est pas étrangère à quelques innovations informatiques depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. On va parler de la Société d’Electronique et d’Automatisme (SEA) et d’un petit jeu programmé sur la CAB 500.
DEVELOPPEMENT DE L’INFORMATIQUE EN FRANCE : L’ENTREPRISE SEA
La Société d’Electronique et d’Automatisme (SEA) est fondée en 1948 et fait ses affaires en produisant et vendant des ordinateurs aussi bien à fins scientifiques que civiles et, évidemment, militaires. Les ordinateurs produits par la SEA sont des CAB, pour « calculatrices arithmétiques binaires ». A partir de 1956, l’entreprise souhaite innover en créant un ordinateur plus petit, de la taille d’un bureau (2m x 0,90 x 0,85), et qui pourrait avoir un usage domestique, c’est-à-dire qui pourrait être vendu à un large public. En 1961, il se vendra une centaine de CAB 500. Cet ordinateur-bureau permet d’effectuer des calculs même complexes et permet une interaction simple, par un clavier d’une machine à écrire et une imprimante en sortie, entre l’utilisateur et la machine. La SEA innove également un langage informatique dédié, appelé PAF (« Programmation Automatique des Formules »), qui est comparé au langage BASIC (et est donc son aïeul). La CAB 500 lit et stocke ses programmes sur des rubans perforés. Tout cela fait que l’utilisation de la CAB 500 est assez simple et l’utilisateur n’a pas besoin d’avoir des connaissances et compétences spécialisées. N’importe qui, en quelque sorte, peut utiliser l’ordinateur.

Photo de la CAB 500 dont on reconnait le côté pratique en forme de bureau ; crédit photo Musée des Arts et Métiers
On connait quelques éléments de l’histoire de l’entreprise SEA par le témoignage, entre autre, de son fondateur, François-Henri Raymond, qui a tenu une conférence en 1988 rapportant ses années de travail à la SEA (fusionnée avec la Compagnie internationale pour l’informatique en 1966). Les employés étaient très souvent en contact avec leurs homologues américains et anglais, les voyages jusque Cambridge, par exemple, sont certains, avec l’objectif de rencontrer les équipes de Maurice Wilkes et son EDSAC sur lequel a été programmé un le jeu de morpion appelé OXO.
Retirée petit à petit du marché à partir de 1961, à cause de la nouvelle génération de composants plus efficaces, notamment en ce qui concerne les transistors (le SYMMAG de la CAB 500 ne concurrence pas l’arrivée des transistors en silicium) la CAB 500 disparaît de l’histoire et se perd dans l’ombre jusqu’à des travaux de recherche fait par des historiens et passionnés.

Photo de la « machine à écrire » comme console d’interaction entre l’homme et le calculateur
DÉCOUVERTE D’UN PROGRAMME DE MORPIONS ET TÉMOIGNAGES
Auteur d’une étude sur l’informatique français, L’informatique en France de la seconde guerre mondiale au Plan Calcul (Sorbonne Université Presses, 2010, 720 pages), l’historien Pierre-Eric Mounier-Kuhn est en possession d’un ruban perforé de la CAB 500, selon Damien Djaouti (p.63 du livre), contenant le programme d’un jeu de morpion. L’historien a été en discussion avec un ancien ingénieur de l’entreprise, Claude Masson, qui nous apprend que ce programme a sûrement été pensé avant 1961 et donc avant la CAB 500 ; l’auteur du programme est probablement Paul Gloess, un ingénieur-inventeur de talent qui a la réputation (et avait la grande amitié de François-Henri Raymond qui l’a embauché) d’être toujours en train d’inventer des choses. Le jeu de morpions de la CAB 500 se déroule sur une grille de 8 cases par 8, les colonnes sont numérotés de 1 à 8 et les lignes noté de A à H. Le joueur indique avec le clavier la case qu’il joue, l’ordinateur joue ensuite puis indique son coup avec l’imprimante – il imprime également à la fin du tour la grille pour montrer l’état du jeu avant le début du tour suivant. Et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un joueur gagne. Il existe trois modes, soit c’est le joueur qui commence en premier, soit la machine, soit encore un match où la machine joue contre elle-même. Pierre-Eric Mounier-Kuhn précise qu’il est fort possible que ce programme a été pensé dans le seul but de démontrer la puissance de la machine, expliquant par là que le jeu s’est limité à sa seule existence. On suppose ainsi rapidement que l’idée a été inspiré par les anglais de Cambridge.

Brochure de l’exposition « naissance de l’informatique française », organisée par Pierre Mounier-Kuhn en 2010, du 13 septembre au 1er octobre 2010, à l’Ancienne Mairie de Courbevoie. Cliquez ICI pour la version complète
Le paléo-informaticien français Hans Pufal s’est lancé au début des années 2000 à la recherche d’une machine CAB 500 encore debout. Il l’a trouvé dans un entrepôt des réserves du Musée des Arts et Métiers à Paris. Il a demandé l’autorisation qu’il n’a jamais reçu pour restaurer la machine. Alors, il a eu l’idée de monter un émulateur des programmes. De ce fait, il s’est mis à la recherche de rubans perforés PAF (langage de la CAB 500), ce qu’il a fini par trouver en 2010 grâce à un contact avec Pierre-Eric Mounier-Kuhn, puisque l’ancien ingénieur Claude Masson en avait quelques-uns. Si l’émulateur a existé et a été en libre accès sur le site internet de Hans Pufal, il est aujourd’hui inaccessible, à notre connaissance.

Photo de Hans Pufal, paléo-informaticien français, membre de ACONIT, pour un article de journal de Charente Libre, de 2017.
- Sources et crédits :
- Damien DJAOUTI, La Préhistoire du jeu vidéo, Edition Pix'n Love, Paris, 2019, 128p.
- Chronique sur le site de ACONIT des aventures de Hans PUFAL
- Site internet de présentation de la CAB500 assez complète et technique
- Transcription du texte de la prise de parole du fondateur de SEA, François-Henry Raymond, de 1988
