Paroles de hérosVoxel Libre

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En cette période de All-Star, les héros sont mis à l’honneur sur Culture Games. Les joueurs s’identifient à ces extensions vidéoludiques d’eux-mêmes mais s’intéressent finalement peu souvent à un aspect pourtant primaire de la représentation d’un être : sa parole. Certes, il n’est pas très compliqué de trouver des blagues sur le mutisme quasi-maladif de Link, mais dans un monde où la narration prend de plus en plus d’importance, la réflexion sur le rapport aux propos tenus par le personnage incarné reste rare.

Sois un héros et tais-toi

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En même temps, Link ne gagne-t-il pas à être muet ?

Autant l’avouer immédiatement, l’idée de cet article est venue de la lecture de la tribune d’Anthony Burch à ce propos sur Kotaku. L’homme a un pedigree respectable, il a créé avec sa sœur Ashly la série Hey Ash, Whatcha Playin’? avant de devenir l’auteur de Borderlands 2 et Borderlands The Pre-Sequel. Son départ du studio Gearbox est l’occasion pour lui de revenir sur l’un des aspects qui l’a le plus marqué : ce que dit le personnage contrôlé par le joueur. Comme vous le dira tout bon responsable de chaîne de télévision ou de studio de cinéma soucieux de plaire à la ménagère ou de faire des millions d’entrées, un bon héros doit plaire de façon universelle. Ainsi, le héros doit être l’exemple absolu et le monde entier doit approuver tout ce qu’il dit ou fait sans jamais le désapprouver. L’autre vision moins cynique de ce constat est la volonté d’immersion. Dans les faits, le résultat est le même, le personnage peut parler pour décrire ou sortir une phrase culte, mais il n’émet jamais d’avis. Il ne faudrait pas en effet être en désaccord avec la pensée du joueur ce qui risquerait de casser le lien entre les deux. L’auteur peut également considérer qu’il n’a pas besoin de formuler les pensées, puisqu’il laisse ce soin à celui qui tient la manette.

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« Princesse, je voudrais vous parler de la condition désastreuse des Toads au sein du Royaume Champignon.
— De quoi ?
— Euh… non rien. Je disais Let’s a go ! »

Hey! Listen!

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Les Point’n’Click comme Monkey Island ou les Chevaliers de Baphomet ont bien compris l’importance de la parole du héros.

Un autre courant de pensée estime que l’identification n’est pas une fin en soi. Jouer n’est pas forcément glisser sa personnalité dans les différents univers visités, il est également possible comme dans toute œuvre de découvrir des points de vue différents du sien. La limite de ce modèle est cependant le talent de l’auteur. Si chaque héros doit avoir la profondeur de pensée d’un personnage d’un film Transformers, autant rester sur ce statu quo. Tout n’est pas parfait dans le monde de l’écriture de dialogues, puisque le risque du trop existe également. À trop s’écouter parler, on finit par devenir Matrix Revolutions. L’évolution de la narration a beaucoup fait pour cette méthode, en amenant notamment différents personnages à incarner au sein d’une histoire. Que ce soit dans GTA V avec Michael, Trevor et Franklin ou dans Heavy Rain avec Ethan, Madison, Norman et Scott, les jeux ne proposent plus seulement des personnages alternatifs dont les seules différences sont l’apparence et les capacités. La complexité apportée avec cela n’est pas le seul avantage puisqu’il permet de rassurer l’auteur. Avec un seul personnage, il y a le risque de déplaire aux joueurs qui perdront leur intérêt pour le titre, mais en présentant plusieurs personnalités, il y a plus de chances d’en trouver une qui touchera une partie du public.

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Dans quelle catégorie sont les Pokémon ? Personne ne sait s’ils ont un QI de cinq ou s’ils ont un niveau équivalent à celui d’un prix Nobel de Physique.

Le choix d’avoir le choix

BioWare proposait des choix bien avant Mass Effect ou KOTOR.

BioWare proposait des choix bien avant Mass Effect ou KOTOR.

Si Burch évoque sa préférence pour le héros aphone et sa lutte avec le public demandeur de personnages jouables charismatiques, il omet cependant la solution médiane : le choix. Présent dans les Visual Novel ou les titres de Bioware, ce paradigme se démocratise lui aussi. En laissant le joueur décider des propos du héros, l’auteur n’est plus confronté à la problématique du désaccord, tout en se permettant d’écrire des dialogues sortant du tiède. Dans ce cas-là, la parole du héros peut avoir des conséquences sur l’intrigue augmentant au passage l’immersion d’un monde qui n’est plus dénué d’enjeux. Le joueur devient également libre de se projeter dans le jeu ou au contraire, d’imaginer un personnage avec une pensée propre. Ce système crée donc un intérêt pour la rejouabilité puisqu’il devient possible de vivre une nouvelle aventure au sein du même jeu. Certains créateurs vont plus loin dans cet effort avec des exemples tels que Façade, une expérience vidéoludique qui tente de se rapprocher du théâtre. Le jeu est sorti le 5 juillet 2005 de façon gratuite en téléchargement et sa particularité repose sur ses dialogues. Le contexte est simple, le héros rend visite à un couple d’amis dont la relation va mal et doit tenter de les aider. Ce qui peut ressembler à un simulateur de soirée d’angoisse prend toute son ampleur dans la mécanique de jeu. Le joueur doit taper des phrases (en anglais) pour interagir avec les autres personnages. L’équipe du jeu n’a donc pas écrit pour le héros mais s’est concentrée sur un algorithme permettant en théorie de répondre à tout. Le jeu tient principalement du projet d’étudiant que du jeu indépendant, mais explorer les possibilités et les limites du moteur peut s’avérer passionnant. Façade fait désormais l’objet d’un culte qui occupe YouTube avec ses parties et ses détournements, sans jamais expliquer la phobie de Trip et Grace pour le mot « melon ».

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Bien évidemment, Façade n’est pas une claque graphique.

Du coup, c’est quoi le mieux ?

Il n’existe pas de solution miracle, la méthode dépend du contexte. Anthony Burch s’est finalement rendu compte du décalage entre ses PNJ bavards et attachants et ses héros taciturnes. Il faut éviter de détonner au sein de son univers et avoir une machine à vannes dans un jeu comme Limbo. Désormais un personnage peut être charismatique grâce à ce qu’il dit et l’on assiste à des succès tels que celui de la série Uncharted en partie grâce à l’humour de Nathan Drake. Il ne faut pas tomber dans l’excès contraire en reniant Gordon Freeman ou Cloud. Au final, comme dans tout art, le jeu vidéo a besoin de choix forts et de remises en question et ce quels que soient les courants de pensée. Il s’agit donc d’une notion subjective, puisque c’est au public de trancher, le héros ne vivant qu’à travers la personne qui tient la manette. Certains trouvent Sonic classe et d’autres prétentieux. Yoshi et Kirby ont leurs admirateurs attendris, tandis que des joueurs se plaignent d’un manque de maturité. La vraie question est donc de se demander quels sont nos héros préférés et la raison de notre attachement pour eux.