Miyamoto Shigeru

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Une jeunesse inspirée

La campagne du Kansai

shigeru-miyamoto-contenu01Fils d’enseignants et premier d’une petite tribu composée de deux frères et d’une sœur, le petit Shigeru vit sous le même toit que ses grands parents et reçoit une éducation traditionnelle avec le respect des anciens et de la nature. C’est dans la petite ville fleurie de Sonobe, dans les terres du Kansai, qu’il a grandi et cela n’est pas sans intérêt quelconque. Des paysages verdoyants, un vieux château de pierre, des collines surplombant un village bucolique, une généreuse forêt grouillant d’animaux en tout genre, des cavernes aux chemins sinueux et aux découvertes inattendues… le tout habité par le folklore des légendes de dragons qui continuent à perdurer dans ces petits villages traditionnels. C’est ainsi que Miyamoto dresse le portrait des lieux de son enfance, première source d’inspiration dans la création de ses mondes féériques à la nature enchanteresse et colorée, qui n’est pas sans rappeler l’univers de Miyazaki. Ces décors suscitent depuis la plus petite enfance du concepteur une inspiration à l’aventure, où il s’inventait de grandes épopées dont il était le héros. Il ne s’en cache pas et vante même les beautés de ces paysages familiers pour lesquels il retourne se ressourcer une fois par mois.

Touche à tout

Popeye Reaching For SpinachShigeru était un enfant curieux qui aimait vadrouiller dans la nature, pratiquer des sports d’extérieur et fabriquer ses propres jouets notamment des pantins de bois. Quand la TV arrive dans la famille, il découvre les œuvres de Walt Disney et se fascine alors pour les histoires d’animaux et l’animation. Il choisit alors de dessiner, de créer ses propres mangas jusqu’à fonder son propre club au collège avec quelques amis. Appréciant le mangaka Akatsuka, il se lance dans la création de petits personnages aux traits occidentaux et s’éprend de Popeye et de Mickey Mouse. Ses dessins sont alors publiés dans des livres pour enfants. Il s’intéresse pendant les années lycées au théâtre et tout spécifiquement à la narration et au rythme. Lors de ses escapades à Tokyo, il s’enrichit culturellement et s’émerveille des divertissements comme le cinéma où il voit King Kong ou encore Star Trek. Il découvre également le rock. L’occident le fait rêver et surtout l’Amérique pour ses grands espaces, sa culture populaire et notamment sa musique. Il le dit lui-même : « Je ne me considère pas comme vraiment Japonais. Depuis mon enfance, j’ai toujours aimé l’Amérique et la culture américaine. » Les cheveux longs et des revendications anticonformistes, il s’essaie à la musique en voguant d’un instrument à l’autre sans pour autant réussir à se perfectionner sur l’un d’entre eux. Une grande déception dans la vie de Miyamoto. Comprenant qu’il n’excellera pas en tant qu’artiste que ce soit du côté de la musique ou du manga, il décide de revoir ses ambitions à la baisse pour se consacrer dans les arts appliqués.

Une voie à prendre

shigeru-miyamoto-contenu03Dans les années 1970 le Japon s’ouvre au reste du monde et accueille le design industriel, commercial et les nouvelles technologies. Miyamoto voit là un chemin à prendre et tente les concours d’entrée pour apprendre le design industriel à Kanazawa, une école sans grande réputation. Ayant loupé le concours, il étudie en candidat libre et travaille intensivement pour retenter et réussir l’année suivante. Élève aux résultats modestes, il ne trouve pas encore sa place. Proche de la nouvelle vague italienne et de son « anti-design », il se veut à contre-courant et refuse de rentrer dans le moule dans lequel il s’apprête à rentrer. Se pose alors un dilemme pour le jeune apprenti designer, celui de l’anticonformisme et de sa volonté de créer pour le grand public en vue d’une reconnaissance certaine.

Il décide pour son projet de fin d’étude un sujet inattendu, quoique : Matériel pédagogique pour l’initiation à la reconnaissance des nombres. Il s’agit de la fabrication de jouets pour les plus petits avec qui il semble retrouver toute l’innocence et le refus de grandir dans une société qu’il juge crispée. Ce jouet devait libérer l’intelligence des enfants en réponse à une éducation trop inflexible tirant les moins bons vers le bas. L’apprentissage du nombre devra se faire par les sens et l’expérimentation par les objets, faisant appel à l’intuition et la logique. Les appareils permettaient de visualiser pour l’un à petite et l’autre à plus grande échelle le volume, jouant avec l’espace et proposant pour le second une immersion en 3D. Les cours d’ergonomie lui auront servi à se diriger vers cette approche du toucher pour quantifier les nombres et surtout de voir en fonction de l’enfant. L’étudiant en design montre déjà son intérêt de penser avant tout à l’utilisateur comme point de départ pour la conception, ce qui sera notamment ressenti dans son élaboration de manettes de jeu. Miyamoto sort de Kanazawa diplôme en poche et ce avec la meilleure note de sa promotion. Il est fin prêt à s’engager dans le marché du travail.

Ses débuts chez Nintendo

Tout en bas de l’échelle

Nintendo n’a pas été son premier choix bien qu’elle fut la première et dernière (peut-être) société dans laquelle il s’est engagé. En sortant de l’école de Kanazawa, il ne peut prétendre à intégrer de grosses entreprises comme le pourrait un ancien étudiant de l’école des arts appliqués de Kyoto. Il se tourne vers Gagkken alors spécialisée dans l’enfance : mobilier éducatif, jouets électroniques, édition de revues, mangas, etc. Lors de sa visite de la structure, il découvre le monde professionnel formaté, avec des employés tous bien rangés portant une cravate parfaitement nouée… Pour les valeurs hippies que le jeune Miyamoto défend, c’est inconcevable. Il finit par se tourner vers la vétérante société nippone de jouets, Nintendo qui était encore bien loin de celle qu’on connaît aujourd’hui ; Le jeu vidéo n’est pas encore à l’ordre du jour et les jouets électroniques ne sont même pas encore une priorité pour Nintendo.

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Makoto Kanô

Sa prise de contact est facilité puisque son père et le président Hiroshi Yamauchi se trouvent avoir un ami en commun. Le fraîchement diplômé passe plusieurs entretiens pour finalement rencontrer le président qui lui propose un second rendez-vous. Il n’a alors qu’une quinzaine de jours pour présenter des concepts de jouets. Devant le curieux porte manteau éléphant et la balançoire à trois place, Yamauchi ne reste pas insensible à la créativité du jeune homme et l’embauche dans la section des planifications de projet en 1977. Au côté de Makoto Kanô, le célèbre créateur des personnages de Game & Watch il n’est à son grand regret non pas chargé de concevoir de nouveaux jeux mais de sélectionner les produits commercialisables par la marque. En tant que designer, il effectue des tâches simples comme l’illustration de cartes à jouer ou encore de packaging. Les commandes fluctuent et il se retrouve même à dessiner un jeu de circuit pour McDonald’s. Bien loin de ses rêves d’innovation, il décide d’être patient et de laisser une chance à Nintendo. L’histoire en dit long sur cette sage décision…

Rencontre avec les jeux vidéo

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Racing 112

Le récent employé de Nintendo a fréquenté les salles de jeux et même s’il ne pense pas un seul instant à en concevoir, les jeux vidéo il les apprécie notamment pour leur créativité. Cela tombe bien, avec Gunpei Yokoi la société tend à s’ouvrir de plus en plus vers l’innovation technologique et les jeux électroniques. L’année de son arrivée, pour la conception de la Color TV Games 6 et 15, on demande à Miyamoto son avis pour la couleur de la coque. Celui-ci alors dans le vent des 70’s propose des couleurs acidulées marquant ainsi son excentricité et la volonté d’attirer l’œil sur le produit. Par la suite, il s’occupe de tout le design des Racing 112 et Black Kuzushi où l’ergonomie joue un rôle central dans leur conception en alliant bonne prise en main et immersion.

Mais c’est sa rencontre avec Space Invaders qui va lui suggérer de se tourner définitivement vers les jeux vidéo et plus précisément leur conception. L’inspiration science-fiction lui plaît et étant lui-même joueur, c’est avec un plaisir certain qu’il participe en 1979 à l’élaboration des dessins de Space Fever sous la demande de Masayuki Uemura. Mais ce n’est qu’une pâle copie de l’original et le succès n’est pas au rendez-vous. Cependant, cette première expérience aura eu le mérite de lui apprendre à dessiner pour le jeu vidéo, ce qui est très différent du design industriel ce pour quoi il a été formé au départ, ne l’oublions pas. C’est de cette façon qu’il prend conscience de la difficulté et spécificité de prendre en compte des pixels, des échelles et mesures, etc.

shigeru-miyamoto-contenu07Alors qu’il participe à l’élaboration de bornes d’arcade, il signe à 27 ans pour plusieurs titres à venir. Il illustre Sheriff, un jeu reprenant l’ambiance des saloons américains où un héros doit sauver une jeune fille en détresse. C’est cliché, mais il est important de souligner qu’il s’agit d’un effort de scénarisation non négligeable, un point qui était cher à Miyamoto et qui selon lui manquait au jeu vidéo. Homme à tout faire, vacillant d’un service à l’autre, ses idées de projets étant jusqu’alors refusées… Il n’a pas encore eu la possibilité de montrer ses talents de concepteur. Gunpei Yokoi lui laisse cependant la main pour les Game & Watch à venir avec notamment des jeux où le héros n’est autre que Popeye. L’enfant Miyamoto jubile. Les idées fusent mais les programmeurs sont obligés de le recadrer puisque ses projets sont tout bonnement irréalisables. Il prend conscience des difficultés imposées par la technique.

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Premiers pas de concepteurs

shigeru-miyamoto-contenu08Le marché de l’arcade faiblissant, Nintendo tente de le redynamiser en lançant en 1980 Radar Scope, une borne avec un jeu proche de Space Invaders encore une fois mais qui a su retenir les leçons du passé. Cela n’a pas suffit et l’équipe se tourne alors vers celui qui est chargé du design de la borne et des éléments animés : Miyamoto. Le jeu devait mettre en scène l’ascension de Popeye pour sauver sa chère et tendre Olive kidnappée par son pire ennemi au sommet d’une tour. L’idée à priori saugrenue de faire tomber des barils sur le héros vient en fait des souvenirs de Miyamoto, de ces dessins animés et mangas qu’il a connu où il n’était pas rare de voir ce genre de gag. Ce jeu de labyrinthe et d’escalade devait munir Popeye d’un marteau pour se défendre des barils. Mais Gunpei Yokoi qui le supervise aimerait voir son personnage rebondir sur des objets ou sur une sorte de balance. Miyamoto suggère alors ce qui est une première dans l’histoire du jeu vidéo : l’action sauter du protagoniste. Comme il n’y avait qu’un seul bouton, il a fallu trancher entre le marteau et le saut. La seconde idée triomphe alors. Pour des soucis de contrat, Miyamoto doit changer dans la précipitation ses personnages. Il puise alors dans ses propres inventions et inspirations. En référence à King Kong qu’il a vu, il propose un primate un peu gauche pour l’ennemi, une lady nommée Pauline et pour le héros, il rêve d’un M. Vidéo comme il y a eu un M. Game & Watch. Il lui incombe une forte gestuelle, des couleurs différentes autant que possible et une moustache pour des questions purement de visibilité. En interne, il est surnommé Jumpman mais le nom fini par éclore et ce sera Mario. Qu’il s’agisse de l’origine des noms de Mario ou de Luigi, l’inspiration vient très certainement de son admiration depuis ses études pour les designers industriels Italiens tels que Mario Bellini ou encore Luigi Colani. Le succès est colossal. Il devient alors chef de projet pour Donkey Kong Jr. en élaborant un scénario un peu plus complexe et travaillant auprès de Sakamoto, futur créateur de Metroid.

Gunpei Yokoi et Miyamoto

Yokoi l’aide toujours et c’est auprès de lui qu’il apprend la conception et rigueur du game design, lui qui fonctionnait en autodidacte depuis lors. Il sait maintenant qu’il doit avant tout trouver les mécaniques de jeu et ses interactions et privilégier l’amusement. En 1983 il travaille avec Yokoi sur le jeu arcade Mario Bros. où ils imaginent un affrontement à New York dans des souterrains avec des tuyaux. C’est ainsi que Luigi apparaît et que Mario passe du look de charpentier à celui de plombier. Avec la création de Donkey Kong et Mario, il en profite pour diffuser le plus possible ses petits personnages sur les jeux électroniques notamment. Proches du design des cartoon, ils sont faciles d’exécution comparés aux projets comme Tennis (1983) ou Punch-Out (1984) qui demande la réalisation de corps athlétiques. Miyamoto perçoit sa limite et apprend ainsi à déléguer son travail, former une équipe. Il ne peut plus être celui qui touche à tout, il a trouvé enfin sa place en dirigeant les projets venus de ses brillantes idées. Il commence par ailleurs à travailler avec celui qui sera son compositeur fétiche : Koji Kondo.

La promotion Famicom

Naissance de la Méthode Miyamoto

shigeru-miyamoto-contenu11À 31 ans il est promu à la nouvelle division pour le projet de la console Famicom ou Nintendo Entertainment System (NES) en Europe. Le jeu vidéo est un secteur en crise aux États-Unis, c’est le moment pour Nintendo de montrer de quoi elle est capable. Les logiciels, pour les débuts du moins, doivent impérativement être conçus en interne. Miyamoto se retrouve n°2 de la RD4 avec au dessus de lui Hiroshi Ikeda mais il reste très libre dans ses choix et prend même des décisions pour le game design : on lui fait confiance. En devenant ensuite assistant manager, il traite directement et sous pression avec Yamauchi auprès duquel il tient parfois tête, un tempo le poussant à sortir de très bons titres. La Méthode Miyamoto va alors se mettre en place avec l’élaboration de deux titres parallèles qui sont ses premières créations pensées de A à Z.

shigeru-miyamoto-contenu12Il propose tout d’abord Devil World, un jeu très farfelu où un dragon vert à la crinière rousse bien rondouillard doit affronter le Diable dans un labyrinthe en avalant des capsules, un pouvoir donné grâce à l’acquisition de crucifix… Le résultat est proche d’un jeu d’arcade, lent mais avec des personnages, des détails et des animations nombreuses. L’autre projet produit en parallèle, ExciteBike est un jeu de course aux graphismes simples, des objets statiques mais au défilement rapide. Comme Miyamoto surveille de près les avancées techniques de ses voisins Américains, il a vu les débuts du scrolling et souhaite en faire bénéficier ses créations. La méthode Miyamoto c’est donc cela :

Ce sont les bases qui serviront dorénavant à toutes ses créations.

Mario : la signature Miyamoto

shigeru-miyamoto-contenu13Alors que les idées d’un jeu d’aventure complexe pouvant utiliser les capacités d’un futur Disk System fourmillent dans l’imaginaire de Miyamoto, il souhaite sortir un titre facile à comprendre sur une cartouche traditionnelle. Pour cela, il fait encore appel à ce qui s’apparente comme sa mascotte : Mario. Mais en réalité, c’est un choix purement pratique. Donkey Kong étant trop complexe à intégrer dans un tel jeu de plate-forme, Mario était la solution. Cette fois Mario et Luigi doivent sauver la princesse du méchant Bowser Koopa. Première quête avec des niveaux non répétitifs et usant du principe du scrolling maîtrisé, Mario Bros. devient Mario’s Adventure pour enfin trouver le nom de Super Mario Bros. Avec la Famicom le jeu propose des couleurs et des arrières plans variés : dans l’air, dans l’eau, dans les montagnes, etc. Délaissant le dessin à Takashi Tezuka, il supervise et semble particulièrement inspiré par les mangas et surtout Dragon Ball :  un personnage sur un nuage et les idées (non retenues) d’un dragon géant et des boules de cristal. Miyamoto fait une pause dans le développement pour s’attaquer à la conversion de Spartan X sur Famicom devenu Kung Fu en Europe. Il se fait la main avec un scrolling de plusieurs niveaux, des fonds colorés, des grands sprites, etc. On retrouve alors les mêmes défis techniques que ceux de Super Mario Bros. La méthode Miyamoto opère. Après sa sortie en 1985, il se concentre de nouveau sur son personnage à salopette.

shigeru-miyamoto-contenu14La recette responsable du succès sont les secrets et surtout ce qu’on appelle les power-up. Le concepteur n’est pas friand de l’expérience gagnée sur une évolution graduelle qui équivaut à un mensonge puisque le héros est juste démuni au départ de ses pouvoirs. Il repense à l’importance des objets symboles des dessins-animés. Avec Mario, les pouvoirs se gagnent grâce à des actions ou l’acquisition d’objets comme le champignon qui n’est pas sans rappeler Alice aux Pays des Merveilles ou encore l’étoile d’invulnérabilité. Mais pour pimenter et donner la soif de découverte, ces objets sont cachés relevant ainsi la profondeur et la richesse du jeu. Il devient très rapidement le titre incontournable de la machine, poussant ainsi sa vente. C’est aussi avec lui que Miyamoto atteint une certaine reconnaissance. En 1985, le magazine Famimaga lui donne l’occasion de s’exprimer pour la première fois pour clarifier l’histoire du Monde 9 qui était en fait un bug. Loin de pointer cette erreur de développement, ce sont des articles élogieux sur ses talents de concepteurs auxquels se livrent la presse. Le véritable Super Mario Bros. 2 a été un échec sans doute à cause de sa sortie prématurée et ne verra pas le jour en dehors du Pays du Soleil Levant. C’est une toute autre version que l’on connaît en Europe et qui devait être à l’origine Yume Kojo : Doki Doki Panic. Ce n’est pas l’œuvre du papa de Mario mais de Tanabe. Super Mario Bros. 3 développé en entre 1989 et 1990, mêle les bonnes idées du premier et second épisode. Les nouveautés comme la maison de Toad pour gagner des objets et bonus, voler, les déguisements de Tanuki ou encore de grenouilles offrent de grandes possibilités. Un grand titre pour la Famicom.

Après la sorti du premier opus de Super Mario Bros., il est à présent temps pour Miyamoto de se recentrer sur un projet mis de côté, pour qui les idées se sont baladées d’un projet à l’autre. Par exemple, le tourniquet de flammes fonctionnant très bien dans l’univers de Mario était à l’origine destiné au fameux jeu d’aventure : The Legend of Zelda.

Zelda ou le jardin miniature

shigeru-miyamoto-contenu15Sorti en janvier 1986, il aura fallu pas moins de treize mois pour venir à bout de cette épopée.  Et pour cause, le résultat offre des nouveautés et une richesse jamais égalée pour une console de salon. Mais avant d’en arriver là, The Legend of Zelda a parcouru bien du chemin dans la tête de son créateur. En 1984, T&E soft créé The Legend of Hydlide avec son héro Jim envoyé pour délivrer la princesse Anne de Varalys dans le monde de Fairyland. C’est le premier jeu d’heroïc-fantasy commercialisé sur micro ordinateur japonais. La même année, Namco et Masnobu Endo sortent un jeu qui remporte un vif succès jusqu’à mettre Nintendo dans l’embarras. Il s’agit du jeu d’arcade Tower of Dragua un pionner du jeu d’action-aventure nippon. Les donjons à parcourir, les casse-têtes, les secrets…

shigeru-miyamoto-contenu35Miyamoto prend plaisir à jouer à ce jeu terriblement difficile et décide de s’en inspirer. Son projet est nommé Adventure Title et en 1985 les bases de la légende sont déjà posées : les armements type bombe, arc, glaive et autre objets comme les clés, les bougies etc. L’idée est de construire un univers type heroic-fantasy avec des donjons, des niveaux à l’extérieur et à l’intérieur. La création d’une map permet au joueur de se déplacer d’un endroit à un autre par lui-même. Le jeu comprend 144 écrans ce qui était pour l’époque impressionnant. Pour prolonger l’aventure, Miyamoto pense à l’intégration d’un système de sauvegarde, d’acheter des objets dans le jeu et résoudre des énigmes.

shigeru-miyamoto-contenu17Son point de départ qu’il garde en tête c’est l’exploitation du Disk System pressenti alors comme l’évolution du jeu vidéo. L’apparence du protagoniste répond aux mêmes attentes que celles de Mario : entre contrainte technique et lisibilité. Pour lui donner une identité propre, il devient féérique avec des oreilles pointues, un chapeau et tout vêtu de vert. Un portrait de Peter Pan pour un fan de Walt Disney. Quant au nom « Link » il s’agit du lien que le personnage devait incarner entre le joueur et le monde d’Hyrule. L’identification est impossible avec un personnage sans personnalité et parole mais la projection elle est facile. La suite nommée Zelda II : The adventure of Link laisse, pour la plupart, un souvenir peu agréable par sa difficulté et la la vue semblable à celle des aventures de Mario.

shigeru-miyamoto-contenu18The Legend of Zelda se démarque du monde jovial de Mario avec des univers inquiétants par les grottes sombres abritant les araignées, les pieuvres et autres monstruosités. L’idée, c’est cette vision qu’il a depuis tout petit déjà. La surprise de l’inconnu, le désir de se perdre, de trouver au hasard parfois des secrets. Miyamoto souhaite retranscrire ce sentiment de découverte. Le plaisir de l’égarement dans les explorations est ce qu’il appelle « le jardin miniature ». Cette nostalgie est connue et universelle pour tout ceux qui ont enfants vécu des petites aventures, même inventées. La célébrité de Miyamoto ne fait que grimper alors. Dans le générique de fin, il signe du pseudo « Miyahon » afin de marquer son empreinte. En effet, dans le magazine Famimag, il se retrouve nommé ainsi et stylisé manga dans la rubrique « foire aux questions » au côté de son collègue TenTen afin de guider les joueurs. De Game Director il passe à Game Producer, ce qui lui permet de développer plusieurs titres à la fois et former des équipes comme il l’entend.

L’âge d’or Super Famicom

La responsabilité d’un lancement de console

shigeru-miyamoto-contenu20Avec les succès qui lui sont conférés, l’ancien étudiant en design industriel se voit embarqué dans le projet d’une toute nouvelle console la Super Famicom ou Super NES. Il n’a pas le droit à l’erreur puisque cette machine doit être celle qui détournera l’attention de la très appréciée Megadrive de Sega. Pour la manette, il lui vient l’idée d’intégrer les boutons L et R qui font aujourd’hui office de standards chez les constructeurs de jeux vidéo. Pour la sortie de la Super Famicom, il travaille alors sur trois titres : Super Mario World, F-Zero et Pilotwings. Le premier fait apparaitre un tout nouveau personnage dans l’univers de Mario : T. Yoshisauer Munchakoopa ou Yoshi qu’il garde sous le coude depuis un petit moment. Le jeu propose 96 niveaux et un style tout particulier. C’est une réussite. F-Zero est un jeu de course futuriste aujourd’hui très célèbre notamment grâce à ce coup de génie qu’est le mode 7 donnant l’illusion de la 3D. Enfin, Pilotwings permet au joueur d’incarner un pilote dans une école de vol où il peut s’adonner à plusieurs activités comme le parachute, le deltaplane ou encore le jetpack. Autant de gameplay différents présentent les possibilités de la nouvelle console de Nintendo et donnent naissance à des classiques. Miyamoto a réussi son pari, il peut maintenant penser à enrichir la ludothèque de la Super Famicom.

L’explosion de licences phares

shigeru-miyamoto-contenu19Sur cette machine, il créé des titres qui font aujourd’hui toute la renommée du concepteur. Continuant d’exploiter ses licences, en 1991 il accouche du fameux A Link to the Past, un succès universel qui aide grandement la console à atteindre le haut du podium. Le scénario est plus fouillé et les donjons sont astucieux. Il est aujourd’hui considéré comme un chef d’œuvre et bien souvent le préféré de la série, et ce n’est pas notre rédac chef qui dira le contraire

shigeru-miyamoto-contenu22Avec l’univers de Mario, il souhaite proposer un tout autre type de jeu éloigné de celui de plate-forme alors jusqu’à présent privilégié pour sa mascotte. C’est ainsi que Super Mario Kart est né en 1992, rassemblant tous les personnages de la série avec la surprise du retour de Donkey Kong. Les objets connus de la saga deviennent des armes pendant la course pour prendre de l’avance sur les adversaires. En un mot, du fun.

shigeru-miyamoto-contenu24L’année suivante il lance une toute nouvelle licence inspirée de science-fiction avec un héros aux airs de Robin des Bois de Disney : Star Fox ou Star Wing en Europe. Et cette fois, il exploite les prémices de la vraie 3D. Ce shoot them up proposait en effet grâce à la Super FX dans la cartouche de diriger un vaisseau en 3D.

Miyamoto délègue alors toujours plus son travail en laissant la société Rareware s’occuper des aventures de l’un de ses tous premiers personnages avec l’excellent Donkey Kong Country en 1994. Nintendo l’a alors bien compris, l’univers et la connaissance des personnages de la société permet de rassurer les acheteurs à propose de la qualité des jeux. S’en suit alors de nombreux titres comme Super Mario World 2 : Yoshi’s Island (1995) avec un gameplay astucieux et Miyamoto laisse ses collègues reprendre l’univers de Mario sur Game Boy notamment avec Super Mario Land 2 et 3.

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La N64 et les désirs de 3D

L’exploitation de la 3D

shigeru-miyamoto-contenu25Miyamoto conçoit la manette de la Nintendo 64 (N64). La 3D en temps réel étant la nouvelle avancée technique sur laquelle il travaille, il instaure alors un stick sur cette manette ce qui confère une grande liberté de mouvement dans les environnements 3D. Si le stick n’est pas une nouveauté, la vibration est quant à elle une première bien que cet effet ne soit pas directement implanté dans la manette. La N64 c’est l’occasion de concrétiser les désirs de 3D de Miyamoto. Pour Super Mario 64 il supervise tout à nouveau et de manière très impliquée puisque c’est la première retranscription en 3D de son personnage. Le jeu figure aujourd’hui parmi les meilleures créations de sa génération. La liberté d’action donnée à Mario ravit les joueurs, c’est un carton plein pour le lancement de la console en 1996.

L’univers Miyamoto qui perdure

Il reprend les titres appréciés de la génération précédente pour les faire profiter des performances de la N64. C’est comme ça que Pilotwings montre le potentiel de la 3D et que la suite tant attendue de Mario Kart arrive enfin avec en plus un mode battle, des circuits inoubliables et surtout, la possibilité de jouer jusqu’à quatre joueurs.

>shigeru-miyamoto-contenu26En 1997, Star Fox 64 ou Lylat Wars en Europe propose un scéanrio plus fouillé que le précédent volet, un mode multijoueur qui décidément sera le point fort de la machine et pleins de bonus à débloquer pour une durée de vie toujours plus longue.

L’autre grande franchise de Miyamoto voit enfin le jour en 3D en 1998 avec The Legend of Zelda : Ocarina of Time. L’atmosphère, la musique, les couleurs chatoyantes, l’aventure épique et la liberté de courir avec Epona dans les plaines d’Hyrule font de ce titre à lui tout seul une raison de se munir de la N64. Pour le l’opus suivant, Majora’s Mask, il supervise de loin et fait confiance à Eiji Aonuma. Son esprit particulier est un succès  permettant à la N64 d’augmenter ses ventes et à Nintendo de concevoir la Dolphin.

La déception du Nintendo GameCube

L’engagement total de la conception

shigeru-miyamoto-contenu28Miyamoto annonce en 2000 qu’il travaille exclusivement pour la prochaine console de salon de Nintendo la Dolphin rebaptisée GameCube par la suite. Il en est le chef de projet et se doit de contrecarrer les succès inquiétants de Sony avec la Playstation.

La manette figure parmi les préférées des joueurs par son ergonomie. Facile à prendre en main, chacun de ses nombreux boutons sont différents par la couleur et leur taille permettant ainsi de se familiariser rapidement avec les touches, sans même regarder l’objet.

shigeru-miyamoto-contenu10Il s’engage pour trois titres là encore : Super Mario 128 qui deviendra Super Mario Sunshine, le nouveau concept mêlant action et réflexion Pikmin et The Legend of Zelda : The Wind Waker qui créé la surprise puisque très différent des premières images dévoilées. Miyamoto se tourne avec ce dernier vers un style qu’il connaît bien, celui du cartoon par le cel-shading.

shigeru-miyamoto-contenu29Il se fait voler la vedette par Sakurai et Super Smash Bros. Melee mais il est intéressant de noter que sans l’univers de Miyamoto, ce jeu n’aurait très certainement pas eu le même succès puisque les personnages de Mario et de Zelda sont prépondérants.

Mais les ventes de la machine sont peu satisfaisantes, Nintendo étant en décalage total avec la concurrence Microsoft et Sony qui affichent avec la Playstation 2 et la Xbox des résolutions graphiques bien plus élevées. De plus, Nintendo loupe sa communication autour d’un mode online qui aurait pus être une révolution pour la machine.

De nouvelles idées ?

Avec un tel échec, Miyamoto se remet en question. La vente de ses licences phares ne suffit plus à maintenir la prospérité de la société japonaise. Il tente d’apporter de la nouveauté pour sa série des Mario Kart avec l’original Double Dash proposant des side-cars. Mais les réactions ne sont pas très enthousiastes. Il considère que les joueurs du grand publics ne finissent pas ou très rarement un jeu, alors il décide de produire des jeux un peu plus légers comme Luigi’s Mansion qui se termine en moins de six heures. Pour les gros joueurs, la pilule est difficile à avaler…

shigeru-miyamoto-contenu30Nintendo souffre alors sur le marché du jeu vidéo et c’est Satoru Iwata le nouveau président qui procède à un remaniement et une nouvelle politique qui dans un premier temps de convainc pas Miyamoto : s’ouvrir à un plus large public. Cela commence avec en 2004 avec la Nintendo DS qui aujourd’hui reste le plus grand succès de vente pour une console portable. Le tactile est la nouveauté à ne pas louper qui séduit le plus grand nombre, sauf Miyamoto qui étonnamment s’était, par le passé, toujours empressé de profiter des avancées techniques. Cependant, ses univers sont présent sur la petite console qui attire un public notamment de non-joueurs.

L’ère Satoru Iwata

L’implication Wii

shigeru-miyamoto-contenu37Alors que l’annonce du futur The Legend of Zelda : Twilight Princess donne des frissons à la presse et aux fans avec un scénario plus sombre et des graphismes jamais vu chez Nintendo, Miyamoto est là où on ne l’attend pas : dans la communication de la Wiimote et la nouvelle vision du jeu vidéo. Une telle personnalité comme garant de la Wii, la nouvelle console de salon, ne pouvait qu’avoir un effet positif sur l’avis des futurs acheteurs.

Satoru Iwata et Miyamoto

Satoru Iwata et Miyamoto

Sur Wii, il laisse ses équipes développer de nouveaux titres pour ses licences et se concentre sur le long développement de Mario Galaxy entre 2004 et 2007. La nouveauté et particularité du level design repose sur le fait que le héros arpente toute la surface des planètes, quitte à avoir la tête en bas. Avec son attaque tournoyante, la Wiimote est sollicitée mais c’est surtout la croix directionnelle qui reste encore indispensable pour jouer.

La Wii a apporté comme la DS, de nouveaux publics et des non-joueurs appelé désormais casual. Miyamoto en profite alors pour se lancer dans un tout nouveau concept qui lui est cher : Wii Music.

L’expérience Wii Music

Bien souvent oublié ou même volontairement enterré pour certains, Wii Music est la réponse de Miyamoto face aux titres du type Guitar Hero (Activision) ou Rock Band (Electronics Arts) qu’il juge trop dirigiste laissant peu de place à la créativité. En effet il s’agit de reproduire parfaitement dans le bon rythme ce que produisent les artistes.

shigeru-miyamoto-contenu33 Avec Wii Music, c’est tout le contraire. Le joueur est libre et ce sont les Mii, les nouvelles mascottes de Nintendo qui sont mis en scène. Autrement dit, le musicien c’est vous. Les partitions à jouer sont des fichiers MIDI intégrés et donc modifiables selon les envies. Cela laisse place à l’improvisation et la créativité. Malheureusement, si la démarche était très intéressante l’accueil n’est pas aussi chaleureux que souhaité. La qualité du son est mauvaise et les airs sont des classiques libres de droits et donc peu variés. C’est une grosse déception pour Miyamoto qui pensait honorer l’une de ses plus vieilles passions. Contre la rigidité des jeux de musique à la mode, il pensait libérer les joueurs des contraintes et leur permettre de s’exprimer sans se cloîtrer à un conformisme imposé par la pure imitation des grands musiciens. Mais il en aurait fallu plus pour mettre Miyamoto hors course.

Non, Miyamoto n’est pas mort

shigeru-miyamoto-contenu34Il n’est pas rare ces dernières années d’entendre que Miyamoto a perdu de sa créativité. Cependant, même s’il délègue beaucoup ses licences à ses équipes, il continue d’œuvrer pour la Wii U notamment. Lors du Nintendo Digital Event 2014, des nouveaux jeux ont été annoncés. Le plus attendu étant le moins bavard, le trailer du prochain The Legend of Zelda en a mis pleins les yeux. Le second aussi attendu est Star Fox U qui devait à l’origine sortir sur la Wii. Le gamepad a fait changé d’avis l’équipe qui a travaillé pour optimiser au mieux cet outil, notamment avec l’hélicoptère et la possibilité de jouer à deux. L’expérience de jeu est au cœur de ce nouvel épisode comme le concepteur le déclare lui-même : shigeru-miyamoto-contenu27« Avec Star Fox, nous nous sommes concentrés sur le fait que vous puissiez vous sentir comme dans votre propre vaisseau. » Toujours lors du Nintendo Digital Event, un autre jeu a pu être dévoilé et testé : Giant Robot. Il est question dans un premier temps de fabriquer son propre robot géant dont les possibilités devraient être grandes. Ensuite il faut faire combattre les robots dans une arène où la jouabilité est à première vue déconcertante ; pour faire avancer chacune des jambes du rebot il faut alternativement appuyer sur L et R du GamePad. L’autre projet est Project Guard, un tower defense avec une vue à la première personne utilisant également le GamePad. Il serait question de poser des tourelles pour surveiller puis tirer aux lasers pour venir à bout des hordes d’ennemis. Pour les fans de Pikmin, Miyamoto a créé des petits courts métrages mettant en scène les petits personnages, tout en proposant des concours en lien avec sa création.

Miyamoto aura été un des atout majeur pour la réussite de la société Nintendo, créant alors les deux plus grosses licences de toute son histoire, ainsi que quelques classiques. La reconnaissance tant espérée dans sa jeunesse est aujourd’hui indiscutable et il recevra même en 2006, tout ému, le titre de Chevalier des Arts et des Lettres. Lui qui, enfant baigné par les animations de Walt Disney et adolescent friand de country et de pop américaine, a toujours été ébloui par l’Amérique et plus généralement par l’occident, il a réussi à faire le pont entre ces deux régions du mondes, jusqu’à susciter l’admiration des occidentaux pour tout son travail accompli.