Meier Sid

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S’il est habituel de l’associer à la licence Civilization, nous oublions parfois que Sid Meier est un concepteur de jeu touche-à-tout. De la simulation de vol à la gestion économique en passant par la construction et l’exploration, il est aussi celui qui a rendu accessible au plus grand nombre la stratégie au tour par tour.

Une jeunesse inspirée

Originaire d’une famille néerlandaise, Sidney K. “Sid” Meier est né le 24 février 1954 à Sarnia dans l’Ontario au Canada. Très jeune, Sid est bercé par les œuvres de science-fiction avec notamment la série télévisée Star Trek, un rendez-vous qu’il ne loupait pour rien au monde. L’œuvre de Gene Roddenberry a largement influencé son imaginaire et alimenté sa passion pour l’histoire des hommes.

C’est quelque chose qui vous marque à vie, quand vous êtes enfant, et je pense que ma perception du divertissement vient de là. L’excitation du voyage, les guerres de civilisation… Aujourd’hui en tant qu’adulte et que concepteur de jeu, j’essaie d’apporter cette profondeur.

Sid Meier, 19.01.2015, Le Monde

Le jeu qui semble le plus hériter de cet univers est finalement le plus récent (2015) : Sid Meier’s Starships un jeu proche du système des Civilization mais entièrement dans l’espace. Les missions sont à l’image d’un épisode de Star Trek : un règlement de conflit dans un nouveau territoire pour ensuite s’envoler vers une autre aventure. Sid Meier est par ailleurs persuadé qu’un jour les êtres humains n’auront d’autre choix que de conquérir l’espace.

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Sidney K. dit « Sid » Meier

Sid développe très tôt une grande curiosité et ne manque pas de s’imprégner de littérature autour des sujets qu’il affectionne comme la piraterie, l’aviation ou la guerre. Les connaissances qu’il emmagasine lui servent pour ses projets mais c’est bien l’imagination qui est au cœur de ses œuvres. S’il aime se rapprocher de l’Histoire, il est prêt à s’écarter un peu du réalisme pour avantager le ludisme. Plus qu’historiquement, c’est l’idée qu’on se représente dans l’imaginaire qui prime.

Il n’est pas étonnant d’apprendre que Sid est un vieil amateur de jeux de société, jeux de construction et soldats de plomb, des approches présentes dans ses jeux. Finalement, c’est vers les nouvelles technologies qu’il se tourne, il obtient ainsi un diplôme de Sciences Informatiques à l’université de Michigan.

Bill Stealey et les simulateurs

Meier commence en tant que programmeur sur Atari 400 et 800 en BASIC, langage utilisé pour son tout premier simulateur de vol Hellcat Ace. C’est avec ce titre qu’il fonde en 1982 la société MicroProse aux côtés de Bill Stealey, un ancien d’Air Force. Les deux hommes ont créé un jeu de simulation de combat dans l’air d’une grande précision et l’ensemble des premiers jeux de la firme sont bien accueillis tel que Floyd of the Jungle et Chopper Rescue sur Atari 8-bits.

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Une intelligence artificielle de pointe pour F-19 Stealth Fighter

Dès 1984, les deux collègues se tournent vers le Commodore 64 qui commençait alors à prendre le dessus sur les micros Atari. Leur simulateur de vol Solo Flight reste assez primitif mais son intelligence artificielle très évoluée pour un logiciel de ce type est vivement saluée. Sid se fait ainsi la main en programmation avec des jeux comme Mig Alley Ace.

En 1985, Silent Service est la première licence à grand succès de la société MicroProse. Il s’agit d’un jeu très complet de simulation de sous-marin avec des composantes de gestion et de stratégie. Le réalisme prend ici quelques libertés au profit du plaisir de jeu car en effet, un seul homme ne peut gérer toute l’organisation et les commandes d’un vaisseau. Les jeux de sous-marin sont très en vogue sur ordinateur dans les années 80 mais cette série est l’une des seules à être restée dans les annales.

Sid continue de livrer des simulations de qualité pour sa société dont l’adaptation du roman et jeu de plateau de Tom Clancy, Red Storm Rising. Ce simulateur de combat naval comporte des séquences et animations travaillées pour l’époque. D’autres grands titres du genre se sont succédés comme le difficile d’accès F-19 Stealth Fighter en 1988 sur Atari ST et Amiga. Ce dernier marque son originalité non pas par ses batailles mais par ses séquences d’infiltration. A noter également qu’il développe Gunship, le premier simulateur d’hélicoptère de combat. Sid reste fidèle à ses convictions : une bonne intelligence artificielle et un réalisme assoupli pour apporter plus de plaisir. Même si les graphismes peuvent paraître désuets aujourd’hui, il faut savoir que la technologie était au début des années 80 limitée et que c’est un système bien construit mêlé à l’imagination des joueurs qui ont fait les succès de ces premiers jeux MicroProse.

Vers des projets plus ambitieux

Les années 80 voient l’explosion des jeux de guerre sur plateau, certains se révélant parfois très complexes. Les jeux vidéo reprenant ces mêmes thématiques restent eux généralement très basiques. Sid souhaite apporter la richesse de ces jeux de société tout en les rendant accessibles à tous les types de joueurs. Cependant, son premier essai de 1983, NATO Commander, reste très ou trop difficile à prendre en main. Il tente par la suite un sujet pour le moins épineux aux Etats-Unis avec Conflict in Vietnam puis Crusade in Europe sur la guerre mondiale, et Decision in the Desert concernant les campagnes menées en Afrique. L’interface et l’intelligence artificielle sont les points que le concepteur et son équipe tendent à toujours améliorer.

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Pirates ! le premier jeu porteur du label « Sid Meier’s »

Dès 1986, Sid utilise son nom pour le titre et les publicités de certains jeux de Microprose. Bill Stealey souhaite préserver l’image d’une marque qui produit des jeux militaires et Sid veut se diriger vers d’autres types de jeux. Le compromis aurait été d’attribuer la mention “Sid Meier’s” devant le nouveau titre de Sid afin de bien différencier les deux projets de la société. Le premier jeu est Sid Meier’s Pirates ! A l’époque des jeux d’aventures textuels aux scénarios riches, Sid souhaite aller encore plus loin avec des graphismes plus élaborés. Le thème qu’il choisit est l’un de ses favoris à savoir la piraterie. Celui-ci offre de nombreuses possibilités entre les batailles navales, les combats rapprochés et les explorations. Il faut aussi savoir que Sid est admiratif du jeu The Seven Cities of Gold de Dan Bunten. Pirates ! est un jeu aux genres multiples mêlant aventure, stratégie, exploration, gestion et action. Sorti sur C64 puis sur Mac, il devient rapidement une référence à tel point que les deux hommes se sont mis d’accord pour poursuivre avec l’appellation « Sid Meier’s », nouveau label et gage de qualité de l’entreprise. Quand le concepteur est questionné à ce sujet, il considère que ce n’est pas son nom qui est mis en avant mais une marque et insiste sur le fait qu’il y a bien des équipes et des compétences derrière un jeu et non pas un créateur. Sid a d’ailleurs un avis bien tranché sur la reconnaissance des personnalités derrière les jeux, bien que son nom et son visage soit eux très présents. Leur travail est de fournir les outils pour que le joueur modèle sa propre histoire dans le jeu.

les développeurs doivent s’effacer par rapport au jeu et laisser le joueur devenir la vedette et créer son histoire.

Sid Meier, 11.03.2015, 20 Minutes

Le tournant Civilization

Railroad Tycoon a connu de nombreuses suites, le dernier étant sorti en 2006.

Railroad Tycoon a connu de nombreuses suites, le dernier étant sorti en 2006.

Avant de créer la nouvelle série désormais indissociable de l’homme, Sid invente en 1990 un jeu de gestion ferroviaire très bien accueilli nommé Railroad Tycoon. Le but est de se maintenir face à la concurrence et de desservir un maximum de destinations. Ce thème découle d’une passion pour les trains et le système de jeu regroupant à la fois construction, gestion et simulation économique provient d’un tout nouveau titre auquel Sid a beaucoup joué : SimCity. Mis à part ce dernier, les God games sont encore très peu développés et présentent encore une prise de risque. Le concepteur est enthousiaste face à la possibilité de construire petit à petit son monde.

Suite au succès de Railroad Tycoon, Sid se tourne vers un projet encore plus grand et une thématique ambitieuse : l’histoire des civilisations. De nombreuses lectures à ce sujet lui ont permis non pas de donner des leçons d’histoire mais d’apporter une certaine familiarisation de l’histoire auprès des joueurs grâce aux grands noms, aux découvertes, à l’évolution des technologies et aux différentes cultures qu’il convoque dans Civilization. Le système au tour par tour de Sid s’enrichit des désormais célèbres exploration, expansion, exploitation et extermination.

Le tout premier Civilization, celui où Sid Meier s'est le plus impliqué.

Le tout premier Civilization, celui où Sid Meier s’est le plus impliqué.

Sid Meier’s Civilization est une réussite auprès des joueurs et de la critique. En 1995 sort Sid Meieir’s CivNet, permettant de jouer au premier titre en multijoueur. Ce titre provoque une réaction mitigée : son fonctionnement demande l’utilisation de nombreux patches pour un titre dépassé techniquement, juste avant le deuxième opus alors gardé secret par MicroProse. La suite arrive en 1996 sur PC reprenant la base du premier tout en développant de nouvelles options et possibilités du côté diplomatique, des systèmes d’échanges et des combats. Les séquences filmées et la bande son sont de bonne facture, donnant une ambiance toute particulière au titre.

Il est important de signaler que malgré son nom estampillé sur les jeux, une partie de ces derniers ne sont pas issus de sa création. Il n’est pas toujours le concepteur principal, notamment pour la série Civilization. Pour le deuxième épisode, c’est Brian Reynolds qui assume ce rôle, puis James Briggs pour le troisième opus, Soren Johnson pour le quatrième et enfin Jon Shafer pour le cinquième et dernier en date.

Des essais, des contributions et Firaxis Games

CPU Bach, l'intelligence artificielle ovni.

CPU Bach, l’intelligence artificielle ovni.

Le père de Civilization a aussi produit des titres très éloignés de ses habituelles créations. En 1991 sort Covert Action un jeu d’espionnage et d’action à l’image des œuvres cinématographiques de l’époque. CPU Bach sur 3DO révèle une autre passion : la composition musicale. Joueur d’orgue dans une église luthérienne, Sid propose en 1993 un programme qui génère aléatoirement des pièces musicales proches du style de Jean Sébastien Bach. C’est un échec commercial, la plateforme 3DO étant elle-même en difficulté malgré son processeur sonore. L’année suivante est commercialisé Sid Meier’s Colonization développé en grande partie par Brian Reynolds et Jeff Briggs avec une petite contribution de l’homme au label.

En 1996, Sid Meier fonde la société Firaxis Games avec ses partenaires Jeff Briggs et Brian Reynolds, alors très impliqués dans les titres de ses licences.

L’équipe de Sid se lance en 1997 dans l’adaptation PC du très culte jeu de cartes Magic. Le développement est rapidement en difficulté avec d’un côté Arnold Hendrick qui souhaite mettre l’accent sur le mode multijoueur et de l’autre, Sid Meier qui a peur que celui-ci ne pose préjudice à l’intelligence artificielle qui reste toujours son point fort. L’idée d’un mode multijoueur est évincé, ce qui sera vivement reproché à Magic : The Gathering par les fans du jeu original. Il faut attendre l’année suivante et l’extension Manalink pour voir l’arrivée d’un mode multijoueur.

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Sid Meier’s Gettysburg !

C’est en 1998 que Sid Meier se lance dans un projet de jeu de guerre civile. Au départ, il devait s’agir d’un tour par tour avec des batailles en temps réel, mais la multiplication des affrontements risquait de nuire à la bonne compréhension stratégique. Sid prend alors la décision de se concentrer uniquement sur la bataille de Gettysburg, une période de l’Histoire des États-Unis qui lui tenait à cœur. Premier titre programmé en C++ pour le créateur, l’essentiel est placé du côté ludique bien que la part de réalisme apporte un peu de challenge : la perte d’une unité handicape sérieusement le joueur.

Tout en contribuant aux suites des licences qu’il a bâties, il marque son retour auprès du grand public avec Alpha Centauri dont les choix de gameplay se rapprochent de Civilization 2. La différence majeure est la thématique de la science-fiction mais aussi l’approfondissement des différentes capacités dont l’adaptation selon les ethnies. Sid poursuit en 2015 son voyage dans l’espace avec Starships.

Un bon jeu selon Sid Meier

Sid Meier aime tester ses propres jeux. Etant donné qu’il en connaît les mécanismes et stratégies, il trouve que c’est un excellent moyen de voir si le jeu est bon ou non. Cela lui permet de proposer des améliorations, voire même de supprimer des chemins trop faciles amenant ainsi le joueur vers une victoire trop rapide. Ses jeux doivent être des défis et faire appel à l’intelligence stratégique du joueur.

S’il y a une astuce, nous la considérons comme un défaut et nous la supprimons. Même si les joueurs assidus comprennent les rouages du jeu, nous faisons tout pour que le jeu reste un défi pour eux. Si le jeu reste un défi pour moi, qu’il continue à me surprendre, alors ce sera un bon jeu.

Sid Meier, 01.03.2015, Le Point

Sid porte dans ses jeux l’amour qu’il a pour l’évolution de l’humanité. Il est d’ailleurs pour lui préférable de préserver les personnages humains pour que le joueur s’identifie aux différentes personnalités et idéaux rencontrés au cours des parties. L’importance du choix est primordiale : le joueur doit être face à des décisions intéressantes. C’est cela, le fun selon Sid Meier. Le joueur doit réfléchir et peser ses choix pour ainsi s’impliquer davantage, s’identifier et s’éloigner de son quotidien. Toujours d’après Sid, le fait de voyager vers un monde différent et de créer son propre empire répond aux exigences de ce que doit être un jeu et cela n’est pas prêt de s’arrêter :

Je n’ai pas prévu d’arrêter ! J’ai le meilleur boulot du monde ! J’aime créer des jeux !

Sid Meier, 01.03.2015, Le Point

Que l’on soit ou non victime du fameux syndrome du dernier tour, il est impossible de nier l’implication de Sid Meier dans l’évolution des jeux désormais appelés God games ainsi que dans l’élaboration d’une intelligence artificielle digne d’un multijoueur. En 1999, il fait son entrée au Hall of Fame de l’Academy of Interactive Arts and Sciences. Il est le second concepteur de jeux vidéo à y entrer après Shigeru Miyamoto.