Game Older : l’interview d’Oscar BardaInterview

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Game Older ou comment faire découvrir aux seniors la pratique des jeux vidéo

Depuis 3 ans maintenant, la Gaîté Lyrique propose, dans le cadre de son espace jeux vidéo, un atelier Game Older destiné à faire découvrir le jeu vidéo aux séniors. Sur place, Oscar Barda et Théo Kuperholc vont leur apprendre, manettes en mains, à se servir des dernières machines à travers différentes thématiques (jeux d’énigme, d’exploration, etc.).

Culture Games s’est rendu sur place, constatant une ambiance très décontractée, et un réel enthousiasme des participants. Nous avons eu le plaisir d’interviewer Oscar Barda, l’un des deux organisateurs.

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Culture Games remercie Emilie Guicharrousse pour son accueil ainsi que les organisateurs Théo et Oscar.

> GAME OLDER – Gratuit sur inscription en envoyant un mail à publics@gaite­lyrique.net <
Tous les mardis de 10h à midi, jusqu’au 17 juin 2014 – La Gaîté Lyrique, 3 bis rue Papin 75003

Simplement faire découvrir le jeu, c’est un peu trivial : on met des jeux à disposition et on attend que les gens viennent. On s’est alors aperçu que la médiation joue un rôle important

Bonjour Oscar. Vous êtes l’un des deux organisateurs de ces ateliers Game Older à la Gaîté Lyrique. Pourriez­-vous nous décrire votre parcours ?

J’ai commencé par de l’architecture, puis par de la théorie du jeu vidéo pour enfin être game designer dans de gros studios, puis pour le ministère de la culture sur des projets de serious game. Finalement, j’ai été recruté par la Gaîté Lyrique comme conseiller artistique, tout en étant simultanément directeur d’un studio de jeux indépendant : Them Games Studio.

Comment vous est venue l’idée de créer ces ateliers ?

La question de départ était : qu’elle est la mission de la Gaîté Lyrique par rapport aux jeux vidéo ? La réponse est simple : faire connaître le jeu vidéo à ceux qui ne le connaissent pas. Mais simplement faire découvrir le jeu, c’est un peu trivial : on met des jeux à disposition et on attend que les gens viennent. On s’est alors aperçu que la médiation joue un rôle important : ceux qui n’ont jamais joué attendent (ils sont dans une logique de manuel scolaire) que quelqu’un arrive, les aident, leur lisent le manuel et c’est seulement après qu’ils joueront. Les personnes qui ont 50 ans aujourd’hui, ne sont pas nées avec « l’interactivité », elles n’ont pas l’habitude de mettre les mains dessus et d’attendre, de voir ce qu’il se passe. Tout le principe d’action des jeux vidéo, c’est l’interactivité. Il faut que les gens jouent pour que cela existe. Nous, on avait cet espace jeux vidéo ouvert, il y avait des gens qui venaient et auxquels on expliquait… et le truc génial dans ce métier, c’est que lorsque tu fais découvrir un jeu complètement ouf à quelqu’un, par exemple Journey que tout le monde connait, il a forcément les yeux qui brillent.

Si tu fais découvrir ça à quelqu’un qui pense que les jeux vidéo c’est que de la violence et des trucs de bébé, il aura deux fois les yeux qui brillent

S’il s’agit de quelqu’un qui joue déjà aux jeux vidéo, il aura les yeux qui brillent parce qu’il découvre un nouveau jeu, mais si tu fais découvrir ça à quelqu’un qui pense que les jeux vidéo c’est que de la violence et des trucs de bébé, il aura deux fois les yeux qui brillent : il va à la fois découvrir la richesse d’un média dont il n’avait pas idée et découvrir une œuvre de ouf à l’intérieur de ce média : il va vivre quelque chose qu’il n’a jamais vécu. On passe alors d’un gamer qui peut avoir des étincelles dans les yeux à un sénior qui aura un feu d’artifice dans les yeux.

Donc on s’est dit : Soit on fait un truc où on laisse les gens venir en leur laissant la possibilité de ne pas venir et de râler en voyant le terme de jeux vidéo pour que finalement ne viennent que les gens déjà intéressés, ce qui nous ferait perdre notre objectif. Soit on leur enlève cette possibilité et on fait un atelier où on les convoque, on les invite.

Tout le monde arrive en nous disant « Ah vous savez, moi je n’ai jamais mis les mains sur une manette » comme si c’était un cas unique, avec la même idée, la même curiosité : « Voilà, moi j’aimerais bien savoir ce que c’est« .

De cette curiosité, on passe très rapidement à une position de capacité. Et bien voila, tu es un gamer !

C’est le premier pas vers l’accompagnement. Les gens nous demandent ensuite des conseils d’achat car ils ne font pas confiance à internet, etc.

On « dispelle » des conneries comme quoi les jeux vidéo seraient forcément addictifs, violents, etc.

Et vous avez des habitués ?

Oui oui, nous avons même des gens qui viennent depuis trois ans ! Et ces gens-là sont des gens qui vont nous permettre de ne plus faire notre travail. A un moment il y aura assez d’émulation à l’intérieur de l’atelier. Il faut quand même que l’on « kickstarte » l’atelier, on parle un peu, on discute, on « dispelle » des conneries comme quoi les jeux vidéo seraient forcément addictifs, violents, etc. Puis ça roule tout seul ! Mais on est toujours là ! On doit aider de temps en temps, les débloquer, par exemple lorsqu’ils ouvrent un menu en appuyant par mégarde sur le bouton home de la manette. Ça y est, c’est la panique, tout le monde s’arrête, au secours, « OUI / NON, voulez-vous quitter ?« , toutes ses données qui vont enclencher la fin du monde. Ils sont très vite perdus, mais se familiarisent rapidement.

Quel genre de jeux plaisent le plus aux seniors ? Y a ­t-­il un type de jeu particulier auquel ils seraient plus réceptifs ?

C’est clairement ce que les américains voudraient faire en ce moment en créant le « Silver Gaming » : le jeu vidéo pour les vieux avec par exemple du Docteur Kawashima à la mords-­moi le nœud, du Docteur Kawashima mais en moins bien fait.

Pour nous , il n’y a pas de genre de jeu, les gens de 50 ans, ce sont des personnes avec une vie qui est plus complexe que celle des ados qui veulent faire « boum boum » avec des armes. En général, si on veut vraiment trouver, peut-être des jeux un peu plus posés, mais ce n’est vraiment pas une généralité.

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Le jeu, lorsqu’il est multijoueur, est la médiation d’une relation entre deux personnes

Est-­ce que vous pensez que les jeux vidéo sont un moyen de rapprochement entre générations ?

Le jeu, lorsqu’il est multijoueur, est la médiation d’une relation entre deux personnes. Donc on a vraiment pas attendu le jeu vidéo pour ça. Il suffit d’aller à n’importe quel tournoi d’échec pour voir jouer des mômes avec des seniors parce que le jeu, c’est une conversation égalitaire entre deux personnes.

Les jeux vidéo se basent beaucoup sur l’aptitude, la stratégie, la vitesse d’exécution, etc. Mais si tu regardes un tournoi de Civilization, l’amplitude d’âge est bien plus grande. Les gens peuvent parler d’égal à égal sur un sujet donné. Le sujet, c’est la civilisation, les échecs ou les dames. Il n’y a pas de marché ou de genre qu’ils adorent mais ils aiment généralement plus les régimes d’expérience posés ou réflexifs. Où en tout cas les jeux moins compétitifs mais ils peuvent s’éclater sur Pole Rider, ils dansent comme des oufs sur Just Dance… il n’y a rien à bannir !

Pourquoi viennent-­ils d’eux-même la première fois ? Réel intérêt pour le jeu, dans l’optique de jouer avec leurs petits-enfants ?

Il faut comprendre que le jeu vidéo est le deuxième média de divertissement mondial, il fait plus de thunes que le cinéma et la musique réunis, donc aujourd’hui, on n’échappe pas aux jeux vidéo.

Micromania et Jeuxvideo.com, c’est le Marie- Claire du jeu vidéo

A 50 ans, beaucoup se disent qu’ils ne veulent pas être à la ramasse, que c’est pas parce qu’ils ne connaissent pas qu’ils ne peuvent pas apprendre. Où vas-­tu si tu ne connais pas les jeux vidéo ? Chez Micromania ? Des étalages jusqu’au plafond de jeux, avec de la musique où les jeux mis en avant sont très souvent bidons. Micromania et Jeuxvideo.com, c’est le Marie-­Claire du jeu vidéo. C’est une qualité d’écriture, une description du jeu ou du régime d’expérience zéro quoi ! Quand on va dans un Micromania, on va tomber sur quelqu’un qui finalement ne connait rien aux jeux vidéo. Il connait les 15 derniers jeux sortis par cœur de chez par cœur mais le jeu vidéo en temps que domaine, il ne sait pas ce que c’est.

Il va lui filer un Mario et une Wii, parce qu’il est là pour vendre, pas pour conseiller un jeu plus adapté qu’on ne trouvera que sur le net par exemple, des petits jeux indés, qui vont correspondre à son état d’esprit : est-­ce que vous aimez les jeux d’objets trouvés, les jeux de puzzles, les jeux de stratégie, les jeux d’actions, etc. Donc résultat, il va lui vendre une DS et Docteur Kawashima ou une Wii avec Wii Sport.

Penser qu’il existe un marché unifié pour les seniors parce que les seniors c’est « une » personne, c’est absurde, et limite insultant.

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J’allais vous demander si votre atelier rencontrait du succès mais j’ai la réponse sous les yeux…

(rires) Non mais ce qui est drôle, c’est que ça se renouvelle beaucoup, il y a toujours des nouvelles personnes. Tu pourrais te dire que notre atelier a beaucoup de succès mais s’il y avait 30 personnes, les mêmes depuis 3 ans, on aurait touché au total 30 personnes… Mais non, on a eu plus de 300 personnes. Et ce sont des gens motivés, qui ont envie d’être là, qui passent un bon moment.

Et il y en a plein qui sont dans des logiques de clubs, comme un club de couture. « Je joue là-­bas mais pas forcément en dehors. Je vais au club jeu vidéo et lorsque j’ai fini ma séance, j’ai eu ma dose de jeu vidéo pour la semaine. »

Mais d’autres, au contraire, achètent par la suite des consoles, des ordis… Bref, si vos grands-parents ne jouent pas encore et ne savent plus quoi faire de leurs mardis matins, vous savez ce qu’il vous reste à faire !